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Europe

Des pêcheurs bloquent plusieurs ports européens pour s’opposer à la pêche électrique

Interdite en Europe, sauf dérogation, la pêche électrique est pourtant pratiquée illégalement par les Pays-Bas. Et son lobby fait pression sur l’Europe pour l’autoriser largement. Lundi 18 juin, des pêcheurs bloquent plusieurs ports pour s’y opposer.

  • Actualisation - Lundi 18 juin 2018 - Dans plusieurs ports de l’Union européenne, des pêcheurs ont décidé d’agir pour dénoncer la pêche électrique : à partir de 9 heures ce lundi, des pêcheurs vont bloquer plusieurs ports en Europe : IJmuiden (Pays-Bas), Nieuwpoort (Belgique), Lowestoft (Royaume-Uni) et sept îles en Irlande (Arranmore, d’Inishbofin Island, Clare Island, Inis Lyre, Inis Oirr, Bere Island, Sherkin Island), Flensbourg sur la Mer Baltique (Allemagne), Mandriola et Oristano (Italie).
    -  En France, les ports de Saint-Mandrier, sur la côte méditerranéenne, et de Saint-Jean-de-Luz, sur la côte atlantique vont aussi être perturbés. A Boulogne-sur-Mer, qui avait été déjà bloqué en janvier, les pêcheurs devraient recevoir le soutien du député européen EELV Yannick Jadot.
    -  Par ailleurs, les pêcheurs et les ONG ont lancé une plateforme d’action collective pour interpeller les décideurs : Stop electric fishing. L’ensemble de ces actions vise à empêcher les institutions européennes d’autoriser cette pêche destructrice.

  • Actualisation - Mercredi 2 mai 2018 - Alors que le « trilogue » européen (le Parlement européen, le Conseil des ministres et la Commission européenne) qui doit décider du sort de la pêche électrique en Europe n’a pas encore statué sur l’interdiction de cette méthode de pêche destructrice, les industriels néerlandais viennent ce mercredi 2 mai à Paris rencontrer les représentants nationaux des pêcheurs français (le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins — CNPMEM) « sans que les pêcheurs artisans français, directement impactés par la pêche électrique, ne soient conviés », alerte l’association Bloom. « Le pire est à craindre car le lobby de la pêche industrielle néerlandaise VisNed a procédé de façon identique au Royaume-Uni pour obtenir des accords permettant le maintien de la pêche électrique dans des zones dédiées », poursuit l’association dans un communiqué publié ce mardi

  • Actualisation - Mardi 16 janvier 2018 - Les eurodéputés ont massivement voté, à 402 voix contre 232, pour l’interdiction définitive de la pêche électrique.

  • Actualisation - Lundi 15 janvier 2018 - Le Parlement européen se réunit en plénière mardi 16 janvier. A l’ordre du jour, diverses décisions sur la pêche, dont l’autorisation de la pêche électrique. Une perspective qui suscite une vaste opposition où, pour une fois, pêcheurs artisanaux et écologistes sont unis.

  • Actualisation - Mardi 21 novembre 2017 - Les 27 eurodéputés de la Commission de la pêche du parlement européen ont voté ce mardi un amendement permettant une extension de la pêche électrique en Europe. Pour Claire Nouvian, de l’ONG Bloom, « les lobbys de la pêche industrielle ont gagné ». Néanmoins, la Commission a refusé de donner mandat au rapporteur du texte : il faudra donc un vote en plénière de tous les eurodéputés pour valider cet amendement.
    Plus précisément, 23 eurodéputés contre 3 ont approuvé un compromis politique (le compromis n°10 sur l’article 24) permettant d’étendre largement le nombre de chalutiers électriques en Europe. Ce compromis permet d’équiper 5 % de la flotte de chaque secteur de pêche en techniques « innovantes », qui incluent maintenant la pêche électrique. En Mer du Nord, cette limite de 5 % a même été supprimée et les Néerlandais peuvent donc maintenant équiper 100 % de leur flotte en chaluts électriques.
    Le seul espoir, d’après Mme Nouvian, « c’est que le Parlement adopte une position défavorable à la pêche électrique. » Car la Commission a refusé de donner mandat au rapporteur du texte : il faudra donc un vote en plénière de tous les eurodéputés pour valider cet amendement. Après ce vote, qui pourrait intervenir d’ici février 2018, le Parlement se retrouvera en trilogue avec la Commission européenne et le Conseil européen, tous deux plutôt favorables à la pêche électrique, afin de négocier le texte final.

  • Article original - 17 octobre 2017

La pêche électrique est une méthode de pêche qui utilise l’électricité pour déloger les poissons du fond des mers et océans, et les faire remonter à la surface. Les filets des chaluts de fond sont équipés d’électrodes qui envoient des décharges électriques dans les sédiments, les poissons se convulsent sous l’effet de la décharge et le courant électrique les ramène vers le filet. Ceux qui sont remontés dans les chaluts sont souvent couverts de brûlures, d’ecchymoses, ou ont subi des déformations du squelette du fait de l’électrocution. C’est l’intensification en Europe de cette pratique que l’association Bloom, qui œuvre à la préservation des océans et à la défense d’une pêche durable, a dénoncée lundi 2 octobre en déposant une plainte contre les Pays-Bas auprès de la Commission européenne.



Pratique jugée destructrice des ressources marines en Asie au terme d’une dizaine d’années d’utilisation, la pêche électrique a été interdite à Hong Kong en 1999 et en Chine en 2000.

Pourtant, aujourd’hui, le commissariat européen aux affaires maritimes et à la pêche, dirigé par le Maltais Karmenu Vella, arguant des avis de conseils scientifiques, fait de cette pêche une pratique plus « écologique et économique » que la pêche au chalut traditionnel : « La Commission fait des propositions sur la base des avis scientifiques indépendants du Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) et du Comité scientifique technique et économique de la pêche (CSTEP). Ces deux conseils scientifiques ont (...) mis en évidence un nombre considérable d’avantages biologiques, écologiques et économiques de la pêche au chalut électrique par rapport à la pêche au chalut à perche traditionnel, du fait notamment des incidences négatives de cette dernière sur les fonds marins, et du niveau élevé de captures non désirées et d’émissions de CO2 qui lui sont associées. »

C’est un changement de ton. Car cette méthode de pêche avait été interdite en Europe en 1998, en même temps que la pêche aux explosifs, au moment de la rédaction du Règlement sur les mesures techniques, visant à mettre en œuvre la politique commune européenne de la pêche.

« Au prétexte de recherches d’innovation » 

En 2007, les Néerlandais ont obtenu des dérogations, « au prix d’un lobbying efficace et au prétexte de recherches d’innovation », selon Frédéric Le Manach, directeur scientifique de l’association Bloom. La réglementation permet désormais à chaque État membre de l’Union européenne d’équiper en électrodes jusqu’à 5 % de sa flotte de chalutiers à perche (sur lesquels des filets sont fixés à une perche déployée sur le côté).

Bloom vient de pointer la transgression de cette dérogation par les Pays-Bas. La plainte qu’elle a déposée lundi 2 octobre auprès de la Commission européenne porte sur le nombre excessif de licences que cet État a accordé à ses navires : 84, contre les 15 maximum qui auraient dû être délivrées. Elle vise également le niveau du courant électrique utilisé : les navires néerlandais équipés de chaluts électriques emploient des tensions comprises entre 40 et 60 volts, alors que la loi les limite à 15 volts.

Hors-la-loi, la pêche néerlandaise qui utilise la tension électrique a tout de même bénéficié de subventions publiques. Toujours selon Bloom, « de 5,7 millions d’euros depuis le 1er août 2015, dont 3,8 millions d’euros du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche ».

Sollicité par Reporterre, le commissariat européen aux affaires maritimes et à la pêche justifie le dépassement du nombre de licences accordées aux Pays-Bas par l’importance des recherches menées par ce pays sur l’impact de la pêche électrique : « Conformément à l’article 14 de la Politique commune de la pêche, les Pays-Bas sont autorisés à mener des projets pilotes dans le domaine de la pêche au chalut électrique dans le but d’explorer pleinement toutes les méthodes pratiques permettant d’éviter, de réduire ou d’éliminer les captures non désirées. (…) Le programme a pour but spécifique de répondre aux incertitudes qui subsistent quant à l’impact de la pêche au chalut électrique sur l’ écosystème marin au sens large. »

Conséquences néfastes sur les écosystèmes marins

« En Chine, ils ont été obligés d’arrêter cette pêche parce qu’ils se sont rendus compte qu’elle faisait trop de dégâts. Ils avaient davantage de bateaux équipés que nous n’en avons en Europe, mais en une dizaine d’années, la pratique a porté de graves dommages à leur stock de ressources marines », argumente M. Le Manach.

La pratique de la pêche électrique néerlandaise est très contestée par les pêcheurs français du Nord pour ses conséquences néfastes sur les écosystèmes marins : « Cette pêche tue tous les juvéniles. Les témoignages des bateaux français qui pêchent dans les mêmes eaux que les bateaux néerlandais entre 3 et 20 nautiques nous disent tous la même chose : il n’y a plus de petits poissons dans les eaux de la mer de Nord », témoignait le pêcheur et président du Comité des pêches du Nord-Pas de Calais/Picardie, Olivier Leprêtre, en 2014.

Même si le manque d’études sur le sujet rend difficile toute appréciation de cette question du renouvellement des ressources, pour le directeur scientifique de l’association Bloom, « ça tombe sous le sens. En envoyant des décharges électriques dans les fonds marins, on électrocute forcément des larves ou des femelles pleines, et ça ne peut pas ne pas avoir d’incidences sur la reproduction. Cette technique de pêche va accélérer l’épuisement des stocks de poissons. » Pourquoi des études scientifiques ne sont-elles pas lancées ? « Pour la Commission européenne, il n’y a pas besoin de recherches supplémentaires, poursuit le scientifique. Pour elle, la pêche électrique est sélective puisqu’elle ne vise que certains poissons, ceux qui ont une certaine taille et sont orientés d’une certaine façon. »

Interrogés par Reporterre sur cet aspect menaçant de la pêche électrique, les services du commissaire européen aux affaires maritimes et à la pêche, le Maltais Karmenu Vella, n’ont pas répondu.

« C’est un aveu total de faillite » 

Outre cet épuisement soupçonné des ressources qu’elle génère, la pêche électrique a aussi des conséquences néfastes sur l’artisanat de la pêche, qu’elle concurrence déloyalement, avec des moyens techniques hors de sa portée. « Pourtant, estime M. Le Manach, favoriser l’artisanat, c’est-à-dire des méthodes de pêche plus douces, ce serait mieux pour tout le monde, pour les ressources marines, pour les pêcheurs, et même pour notre goût à nous, consommateurs. »

L’Europe a mis en place des outils de gestion des ressources halieutiques, notamment les quotas à ne pas dépasser selon les régions et les espèces, mais les stocks restent pauvres. « C’est un cercle vicieux, reprend M. Le Manach. Pour maintenir leurs marges, les industriels n’ont pas d’autre choix que de limiter les coûts de production, en réduisant la consommation de carburant, et d’inventer des méthodes de pêche de plus en plus efficaces. Le recours à cette technique électrique est symptomatique d’une ressource halieutique mal gérée au niveau mondial. Et c’est un aveu total de faillite : on est prêt à fermer les yeux sur les risques de destruction des ressources pour conserver un profit à court terme... »

La commission de la pêche du Parlement européen devait voter en octobre la proposition de la Commission européenne de déclasser cette méthode de pêche électrique pour la déclarer conventionnelle. « Nous avons proposé de remplacer la limitation du nombre de licences de pêche au chalut en vigueur par une limitation géographique afin que cette technique de pêche soit limitée à la Mer du Nord méridionale », précise-t-elle.

Mais ce vote a été reporté à fin novembre par le Parlement. « Notre plainte, déposée lundi 2 octobre au terme d’une bonne année de recherche sur le sujet, a dû dérouter le lobby de la pêche, et il a sûrement besoin de temps pour peaufiner ses arguments en faveur de la pêche électrique… D’où le report de vote, une stratégie très com’. Et puis, ce chiffre de 84 bateaux néerlandais équipés illégalement est embarrassant », conclut M. Frédéric Le Manach. La commission des pêches va en discuter mardi 21 novembre.

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