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Après le plafond, la «falaise de verre»

Des études ont montré que les entreprises en crise ont souvent recours à des directrices générales, alors que ces groupes ne le feraient pas en temps normal. Cette tendance est moins liée aux stéréotypes féminins qu’au symbole de changement que représentent ces patronnes, explique une nouvelle étude de l’Université de Genève.

Marissa Mayer représente ces femmes que l'on appelle comme directrices générales lors de problèmes quasi insolubles.  — © Ethan Miller/Getty Images
Marissa Mayer représente ces femmes que l'on appelle comme directrices générales lors de problèmes quasi insolubles.  — © Ethan Miller/Getty Images

Marissa Mayer, appelée au secours de Yahoo! en 2012, représente certainement l’incarnation du phénomène de la «falaise de verre». Après le plafond de verre, métaphore désignant les difficultés des femmes à accéder aux postes de direction, cette terminologie désigne la tendance des entreprises en crise à avoir recours à des femmes directrices générales – ce que ces groupes ne feraient pas ou rarement en temps normal – pour résoudre leurs problèmes. Même si ceux-ci sont parfois insolubles, comme dans le cas du moteur de recherche américain.

Il existe une foule d’autres exemples de ce phénomène. Maître-assistante et chargée de cours en psychologie sociale à l’Université de Genève, Clara Kulich cite la patronne de General Motors, Mary Barra, arrivée en plein marasme pour redresser le fabricant automobile. Le phénomène se produit aussi en politique, Theresa May étant une autre représentante de ces «femmes héros» appelées dans des situations inextricables.

Femme, ou minorité

Clara Kulich se penche depuis plusieurs années au-dessus de cette «falaise de verre», déjà décrite dans nombre d’études académiques sans qu’on parvienne complètement à l’expliquer. Elle et ses collègues viennent de publier une série d’études dans la revue The Leadership Quarterly, avec des résultats qui les ont surpris. «Notre hypothèse de départ supposait que des qualités réputées comme étant «féminines» étaient recherchées en période houleuse, explique Clara Kulich. Mais nos résultats sont tout autres.» Ils sont même complètement inverses.

Les chercheurs ont présenté des CV de deux hommes et de deux femmes. Pour chaque genre, l’un des dossiers insistait sur les qualités qui leur sont généralement associées (écoute, sensibilité, tact émotionnel, pour les stéréotypes féminins, détermination, prise en charge, confiance en soi pour les stéréotypes masculins). Les dossiers des autres personnes se concentraient sur les qualités de l’autre genre. Une centaine de personnes devaient choisir un candidat pour reprendre une entreprise dans la tourmente et un autre pour une société en bonne santé.

Ce sont les caractéristiques masculines qui ont été choisies pour reprendre le groupe en difficulté – indépendamment du genre – dans 63% des cas. Confirmant cette tendance, «deux autres études ont montré que, lorsqu’il s’agit de choisir quelle sorte d’entreprise dirigera une personne aux caractéristiques masculines, 76% choisissent une entreprise en crise», explique Clara Kulich.

Femme symbole

Comment réconcilier ce résultat avec les exemples que nous offre la réalité? D’une part, les caractéristiques dites masculines et féminines n’apparaissent pas nécessairement de façon aussi stéréotypée. Et, d’autre part, un élément semble prédominer: «La femme symbolise le changement à la tête d’une entreprise, qui permettrait à celle-ci de redorer son image, de montrer à ses concurrents, à ses clients ou au public qu’elle est consciente des problèmes et qu’elle prend des mesures», indique la chercheuse. C’est d’ailleurs la différence qui importe, avant le genre. «Certaines entreprises ou certains partis politiques font aussi appel à des hommes issus de minorités dans ce contexte», ajoute-t-elle.

Plusieurs problèmes en découlent. Dont le risque d’échec – forcément plus courant dans ces entreprises à redresser que dans celles en bonne santé – et son corollaire, le fait d’être désigné comme bouc émissaire. D’autant, ajoute encore la chercheuse, que «d’autres études ont montré aux Etats-Unis que les femmes et les Afro-Américains qui se trouvent à la tête d’entreprises en difficulté bénéficient de moins de soutien et sont plus vite remplacés que les hommes blancs, à qui on laisse plus de temps pour redresser la barque.»