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Votre ado est en échec? Lâchez-lui la bride!

L’enfer parental? Voir son rejeton ne plus s’intéresser aux études et opposer une résistance à toute manœuvre: chantage affectif, cris, confiscation du smartphone… Et s’il fallait tout simplement les laisser vivre? Car de plus en plus de parents en font trop

Pour Emmanuelle Piquet, psychologue et fondatrice des centres «Chagrin Scolaire», l’autonomisation est la seule voie pour rendre la motivation. — © Yann Bastard
Pour Emmanuelle Piquet, psychologue et fondatrice des centres «Chagrin Scolaire», l’autonomisation est la seule voie pour rendre la motivation. — © Yann Bastard

«Mon ado ne veut pas travailler, que faire?» «Comment mettre mon ado au travail?» «10 moyens pour motiver votre adolescent» «Faut-il punir un adolescent qui ne travaille pas?»… Le nombre d’articles consacrés au phénomène sur les sites de parentalité témoigne du désarroi grandissant de géniteurs soudain confrontés à leur adolescent frappé «d’apathie scolaire», comme la surnomme Emmanuelle Piquet.

Cette psychologue a fondé Chagrin Scolaire, des centres dédiés à la souffrance à l’école, qui accueillent enfants, parents et enseignants en proie au doute, entre la Suisse et la France. Et son expérience du terrain est rythmée par ces plaintes de parents évoquant une «léthargie académique de leur rejeton». Mal d’autant plus perturbant que l’ado réside souvent dans un foyer agréable, avec des parents aux petits soins. Mais peut-être trop, justement…

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Une cause sournoise

«On sait que 60% des enfants qui décrochent à l’école le font en raison d’un problème de harcèlement scolaire, souligne-t-elle. Mais l’apathie scolaire est différente car plus sélective. C’est une léthargie qui se manifeste pour les devoirs ou vider le lave-vaisselle, mais pas pour voir les copains. Elle se concentre donc sur des tâches qui n’intéressent pas l’adolescent, parce qu’il sait que ses parents vont finir par les faire à sa place…»

Genève, où 10% à 15% des jeunes n’obtiennent pas de certification du secondaire, a fait du décrochage scolaire une priorité. Dès la rentrée 2018, la formation sera obligatoire jusqu’à l’âge de 18 ans. On sait que les raisons de décrocher sont nombreuses. Une équipe de chercheurs français a ainsi démontré la corrélation entre un marché local de l’emploi sinistré et la démotivation scolaire. Habiter un territoire urbain, périurbain ou rural aurait également une incidence sur l’envie de trimer ou non.

Sans oublier l’effet de pairs: un élève a 1,5 fois plus de risques de sécher les cours quand l’absentéisme dans son collège est important. Mais la dévotion de papa et maman est une cause plus sournoise qui peut générer le décrochage. Les Américains les appellent «parents hélicoptères», parce qu’ils sont surinvestis et donnent l’impression de voler en permanence au-dessus de leurs bambins.

© Yann Bastard
© Yann Bastard

Une bombe à retardement

«Dès l’entrée à l’école, on voit des parents comptabiliser auprès de la maîtresse le nombre d’anniversaires dans la classe, pour vérifier si leur enfant a été assez invité, soupire Emmanuelle Piquet. C’est une génération d’enfants dont les parents désirent beaucoup à leur place, et leur disent ce qu’ils doivent ressentir, penser, faire… Parce qu’ils sont inquiets, pensent que leur enfant doit avoir les dents blanches, les bons amis, et aimer les langues, le sport, et les arts plastiques pour réussir. Sauf que ce surinvestissement est contre productif.»

Et la bombe peut exploser à l’adolescence, après la période de latence enfantine. Karine, mère au foyer aisée, se retrouve ainsi avec une grande de 16 ans démobilisée après des années de brillants résultats. «Elle dit que les profs l’ennuient, qu’on l’étouffe, et qu’elle veut vivre à fond son adolescence, parce qu’on n’en a qu’une. Elle fonce au collège, mais pour s’amuser avec les copains. Toutes ses notes sont en chute libre. Avec son père, on s’est d’abord dit qu’elle déprimait pour se saboter ainsi, et on l’a envoyée chez un psy. Il a répondu qu’elle est très bien dans sa peau. Alors j’ai moi-même vu une psy, qui m’a conseillé de lâcher prise et lui dire qu’elle est responsable de ses résultats, c’est sa vie. Mais c’est dur à appliquer…» Il le faut pourtant, martèle Emmanuelle Piquet, pour qui l’autonomisation est la seule voie pour rendre la motivation.

Il y a une différence entre prendre soin d’eux, et les prendre en charge, qui est l’expression d’une angoisse qui peut les paralyser

«Je suis fascinée de voir des parents m’expliquer qu’ils doivent rappeler à 18h à leur grand ado que c’est l’heure des devoirs. Il faut vraiment mettre une distance et dire à son enfant: c’est ta scolarité, je ne t’en parlerai plus sauf si tu m’en parles, et tu as trois possibilités: ne pas faire tes devoirs et en subir les conséquences, les faire seul, ou me demander de l’aide, mais pas plus de trente minutes. Il y a une différence entre prendre soin d’eux, et les prendre en charge, qui est l’expression d’une angoisse qui peut les paralyser.»

Des chercheurs de l’Université Brigham Young ont d’ailleurs mené l’enquête sur 483 étudiants en situation d’échec, et constaté qu’un tiers d’entre eux avaient des parents qui prenaient toutes les décisions à leur place. Conclusion des scientifiques: même en se montrant chaleureux et aimants, les parents trop interventionnistes incitent leurs enfants à s’impliquer moins dans leur scolarité, à décrocher ou à hésiter plus sur leurs choix d’orientation.

Comment élever un adulte

Pire, selon Emmanuelle Piquet, porter un ado à bout de bras peut amoindrir ses chances de formation: «Il est bon de savoir le plus tôt possible qu’un enfant n’est pas scolaire, pour chercher d’autres solutions. Or si on fait tout à sa place, jusqu’à la maturité, parce qu’il a des résultats médiocres, le décrochage survient souvent juste après.» Sauf si les parents hélicoptères continuent leur survol alors que leur marmot entre dans l’âge adulte, comme c’est notamment le cas aux Etats-Unis.

En vingt ans de carrière, l’ancienne doyenne de l’Université de Stanford Julie Lythcott-Haims raconte avoir reçu un nombre de plus en plus alarmant de parents réclamant de changer la note de leur rejeton, ou de lui trouver un colocataire plus sympa… En quittant l’université, elle estimait le nombre de parents surinvestis entre 35 et 40%. Depuis, elle a écrit un best-seller, How to raise an adult (Comment élever un adulte), et donne des conférences TED dans lesquelles elle répète que cette intrusion «peut laisser les jeunes adultes sans les compétences, la volonté et le caractère nécessaires pour se connaître et créer leur propre vie.»

Jusque chez l'employeur

Hélas, les hélicoptères débarquent à présent jusque chez l’employeur, comme s’en inquiétait en janvier le média Quartz, dans un article intitulé «Les parents de la génération Y sont trop impliqués dans la carrière de leurs enfants». Au programme des recruteurs, désormais: des géniteurs qui veulent assister à l’entretien d’embauche, négocier le salaire, quand ils ne débarquent pas avec des gâteaux, pour soudoyer la hiérarchie. A moins qu’ils ne contestent une mutation…

«La crise financière de 2008 et l’essor du texto, qui a permis une communication constante entre parents et enfants, n’a fait qu’intensifier la tendance», constate le média, qui raconte que Google et LinkedIn ont même créé des journées «Amenez vos parents au travail» pour leur faire visiter les locaux. Pas sûr que ce soit une très bonne idée…