Écho de presse

1901 : la « galanterie française » mise en accusation

le 28/05/2018 par Pierre Ancery
le 30/04/2018 par Pierre Ancery - modifié le 28/05/2018
Jeune couple en pied, assis, circa 1850 - source : Gallica-BnF

Dans le journal La Justice, une chronique virulente et révolutionnaire brocarde la galanterie française, « condescendance dédaigneuse que la politesse masculine croit devoir accorder à la femme ».

La galanterie, une tradition sexiste et rétrograde ? C'est le point de vue défendu le 3 mai 1901 par le quotidien fondé par Georges Clemenceau La Justice, qui publie une chronique anonyme sur le sujet. Dans cette charge féministe sans concession, le (la ?) journaliste se dresse contre un usage défini comme une forme d'hypocrisie au service de la domination masculine.

« Elle se meurt, disent les uns ; elle est morte, disent les autres ! Croyez-vous ? Quant à moi, je n'y vois aucun inconvénient.

 

La galanterie française n'a jamais été que l'hypocrisie la plus éhontée de l'homme vis-à-vis de la femme, elle n'a jamais servi qu'à préparer ses chutes, et ses déchéances morales, combinée d'ailleurs avec cette fameuse effervescence du tempérament français que beaucoup de femmes désabusées et assagies ont enfin remise au point. »

S'attaquant aux « gracieuses et vides phrases » de la galanterie, « banalités apprises » si utiles aux hommes, l'anonyme poursuit :

« Certes, en niant l'efficacité de la galanterie, je ne souhaite pas voir revenir l'homme aux sauvageries primitives, au servage par lequel il fait encore de la femme, dans certaines parties du globe, une bête de somme [...].

 

L'éducation, l'affinité des mœurs ont corrigé chez l'homme les rugosités de sa nature ; la civilisation l'a policé par les rapports sociaux ; mais la galanterie est une mièvrerie menteuse qu'il a puisée dans son égoïsme.

 

La galanterie, dans sa parfaite indifférence, n'indique, chez l'homme, ni l'amour, ni même le simple désir ; elle a des phrases toutes faites, qui ne traduisent en rien les sentiments élevés que l'être masculin doit professer envers la femme ; elle n'est même point l'impression que la beauté du corps produit sur l'organisme sensuel de l'homme !  

 

La galanterie ne tend qu'au mensonge, au déguisement de la pensée, et outrage la femme sans la hausser jamais !... »

Par quoi la remplacer ? Par « la politesse, le respect, les égards dans toutes les phases de la vie ». C'est-à-dire le contraire de « cette galanterie française qui a atteint son plein épanouissement à la Renaissance », faisant de la femme « l'objet le plus décoratif du chevalier » :

« Plaire à l'homme : en tout et toujours !... Dans sa galanterie, l'homme ne cherche que lui-même !... […] Tous se disent volontiers féministes et se prétendent “trop galants pour ne pas l'être”. – “Nous aimons la femme, disent-ils encore et nous sommes avec elle ; elle est la reine du foyer, etc., etc.”

 

Tout cela est magnifique ! Mais quand il s'agit de leur proposer les plus élémentaires réformes tendant a donner à la femme, fusse une parcelle d'égalité sociale, la prétendue galanterie s'effondre et l'on se trouve en présence de l'être dur et profondément égoïste qui forme le plus beau spécimen de l'homme actuel ! [...]

 

La galanterie s'adresse surtout aux formes physiques ; par une banalité inconsciente, l'homme cherche à en pénétrer les mystérieux recoins réservés au seul être aimé ; il déshabille mentalement une femme, sans purifier d'aucune sincérité ces investigations intimes. L'homme qui aime vraiment une femme est toujours discret ; ce qui le touche le plus en elle c'est, surtout, ce que lui seul respire d'elle.

 

Donc la galanterie ne saurait honorer la femme, elle la matérialise tout comme la situation économique matérialise, forcément, les rapports sociaux des deux sexes et en crée les rivalités. »

L'article conclut :

« En somme, la galanterie n'est qu'une condescendance dédaigneuse que la politesse masculine croit soi-disant devoir accorder à la femme. Je lui préfère un sentiment vrai de justice et une réelle franchise et qu'enfin l'homme reconnaisse que la femme est son égal, un être qui le vaut, le complète, et qui doit rester, au point de vue naturel et moral, son amour et sa voie. »

 

Le journal n'est pas le seul à s'interroger sur cette spécialité française. La même année, Le Figaro publie un long article dans lequel le romancier Marcel Prévost s'en prend à « cette vaste corporation de Français oisifs qui imposent aux femmes leur galanterie anonyme » :

« Paris et la France sont remplis d'individus, souvent braves garçons, qui s'imaginent sincèrement que toute passante leur appartient.

 

“Cette jeune femme est seule et chemine à pied : donc je puis la suivre ostensiblement, lui barrer la route au tournant des rues, l'attendre à la porte des magasins où elle fait emplette, l'accoster, lui débiter des fadeurs, et même pis, la forcer à m'entendre et à me parler, fût-ce pour me congédier.” [...]

 

Et les hommes qui se comportent ainsi ne se tiennent pas pour des goujats. Ils se rendent au contraire, in petto, le témoignage d'être de bons Français, garants envers le sexe, de la franche lignée d'Henri IV ».

L'année suivante, un article paru en une de Gil Blas et signé « Colombine » émettra en revanche un point de vue différent :  

« Je ne sais pas si le féminisme ne se trompe point radicalement en ceci. Il me semble au contraire que la galanterie est le correctif nécessaire de la violence et de la tyrannie masculine, inventé et mis en usage par la civilisation chrétienne et chevaleresque, et conservé par nous avec l'ensemible de traditions héritées de nos aînés. Or, il ne paraît pas que la violence et la tyrannie dont il s'agit soient en voie de décroissance [...].

Pourquoi donc conspirer contre nos propres intérêts et spécialement au nom de je ne sais quelle hypothétique dignité, la suppression d'une barrière séculaire qui nous a tant bien que mal protégées jusqu'ici contre la rudesse de l'homme ? »