SOS Vélib' : retour sur un plantage industriel historique

SOS Vélib' : retour sur un plantage industriel historique
Il est rare de voir autant de Vélib d'un coup ! (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

Smovengo, le nouveau concessionnaire des Vélib' parisiens a fini par admettre son échec. Un plan d'urgence est lancé... sans échéance.

Par Claude Soula
· Publié le · Mis à jour le
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Parisien.ne, Francilien.ne, tu comptais profiter des beaux jours pour refaire du vélo dans le cadre de ton abonnement Vélib' ? Oublie définitivement ce fol espoir. Le "Vélibgate" a tourné au cauchemar et c'est le nouveau concessionnaire Smovengo qui le dit lui-même : le système, loin de décoller, ne marche plus du tout.

De 30.000 courses par jour début avril – chiffre très mauvais si on le compare aux 100.000 courses par jour de l'ancien Vélib', mais jugé bon par le nouveau concessionnaire – on est désormais tombé à 10.000 courses par jour, car la plupart des stations sont bloquées. Et, en prime, le personnel s'est mis en grève ! Smovengo a donc dû sortir un plan d'urgence, ce jeudi 3 mai, pour tenter de conjurer le désastre. Mais les nouvelles ne sont franchement pas bonnes.

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La moitié des vélos à l'arrêt 

Commençons par le début. Le Syndicat Autolib Vélib' Métropole (SAVM), l'association de Paris et des villes de banlieues associées dans la gestion du système avait donné, l'été dernier, les clés des vélos en libre-service à Smovengo, consortium piloté par la start-up Smoove, ainsi que les parkings Indigo, Mobivia et Moventia). L'ancien concessionnaire Decaux avait été effacé, car le nouveau était censé faire mieux...

Smovengo avait donc remporté le contrat Vélib' avec deux grandes évolutions. D'abord, des vélos électriques, qui devaient représenter 30% de la flotte. Ensuite, un système "parking plus" qui devait permettre de déposer les vélos même sur les stations pleines. Finie l'infernale recherche d'une station avec des places disponibles dans les quartiers de bureaux, toujours pleines aux horaires de boulot. Ces deux innovations sont un désastre.

Les vélos électriques ne fonctionnent pas car la plupart des nouvelles stations ne sont pas reliées au réseau électrique. Pour aller plus vite, Smovengo a fait fonctionner 70% des 670 stations ouvertes avec un système de batteries électriques autonomes, car il n'a pas réussi à se brancher sur Enedis. Ces stations se sont épuisées très vite et se sont bloquées. Et il est devenu impossible de recharger les vélos, de fait inutilisables. Pour pallier ce bug, Smovengo va enlever les 2.000 bicyclettes électriques mises en circulation,  pour les ramener quand les stations marcheront mieux. On ne sait pas quand...

Le système de "parking plus" est lui aussi suspendu jusqu'à nouvel ordre : il faudra à nouveau chercher une place libre pour garer son vélib' et pas le mettre entre deux autres. Signalons aux autorités, qui avaient pourtant béni l'idée, que le système inventé par Smovengo est stupide : d'abord, la méthode – mettre le vélo tête-bêche entre deux vélos déjà garés convenablement, puis l'accrocher à la borne – était si compliquée et si mal expliquée que c'était mission impossible. Le vélo finissait par être accroché aux voisins et, ainsi, tous se trouvaient bloqués ! 3.000 bicyclettes "au moins", voire 4.000, se sont ainsi retrouvées out. Si l'on ajoute les 2.000 électriques, cela fait donc 6.000 vélos inutilisables. Sur 9.000... Et ce n'est pas tout : il faut aussi compter les engins en panne car mal conçus ! Bref, quelque 4.000 vélos sont actuellement utilisables. Moins de la moitié de ce qui était prévu.

"Le système était, début avril, a un taux d'utilisation plutôt bon : 30.000 courses par jour. On est tombé à 10.000. Ce n'est pas satisfaisant",  a reconnu Jorge Azevedo, le directeur général de Smovengo.

C'est même un échec absolu ! On peut signaler, en prime, que le seul fait d'activer les nouvelles cartes est déjà un casse-tête pour la plupart des abonnés. Les plus optimistes diront que la situation stimule la conversation autour des bornes entre naufragés du système, et que Vélib' crée ainsi de la convivialité ! Mais à quel prix ? Et surtout, à quel prix électoral pour la mairie d'Anne Hidalgo qui est à l'origine de ce capharnaüm ?   

 

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Jorge Azevedo, PDG de Smovengo le 12 janvier 2018. (Lionel BONAVENTURE / AFP)

Des objectifs intenables

Le deuxième problème, c'est le renvoi aux calendes grecques de la promesse d'un nouveau Vélib' fonctionnel. Plus aucune date n'est fixée pour sa mise en place ! On se souvient que l'équipe Smovengo promettait initialement un service normal à partir du mois d'avril. En trois mois, tout devait être plié. C'était l'été dernier, quand, à la surprise générale, ils ont remporté le contrat qui leur assure le marché pour quinze ans, et leur rapporte 600 millions d'euros – une somme énorme pour un service désormais concurrencé par OFO et Mobike, sociétés chinoises et... privées.

Puis les retards ont commencé. Decaux a lui-même démonté ses stations avec une particulière lenteur. Puis, les nouvelles stations se sont avérées plus compliquées à installer que prévu. Smovengo a notamment découvert qu'il était difficile de se brancher sur le réseau électrique, d'où l'idée saugrenue, pour tenir les délais, de mettre des batteries dans les stations, afin de les rendre autonomes. Un échec technique : ça ne marche pas.

En janvier, Smovengo promettait encore d'installer 80 nouvelles stations par semaine, alors qu'ils n'ont jamais pu en ouvrir plus de 60... Et pour la plupart inutilisables. Les responsables de l'entreprise ont peu communiqué jusqu'à présent, et ils ont dit n'importe quoi la plupart du temps. Quand les 1.400 stations promises marcheront-elles ? On ne le sait plus. Désormais, Smovengo ne promet plus qu'une chose : il n'ouvrira plus de stations sous batteries. Seules 300 stations sur 670 sont branchées normalement sur le réseau et l'objectif est d'arriver à 800 stations, qui seront à 80% électrifiées. Autrement dit, 20% d'entre elles continueront à ne pas fonctionner. Donc, tout cela reste une très mauvaise plaisanterie.

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Une grève bien méritée

Côté personnel, c'est aussi la catastrophe. Dans un premier temps, l'été dernier, Smovengo a refusé de reprendre le personnel Decaux. Puis quand la Mairie de Paris, se souvenant de son étiquette socialiste, est intervenue, ils ont accepté de les reprendre, mais à leurs conditions : sans l'ancienneté, sans les primes de nuit et de jours fériés, et en changeant l'organisation de travail. Avec Smovengo, on travaille plus la nuit, moins le jour !

Résultat : une dégradation des conditions de travail, et une grève !  Plus de la moitié des salariés – 50 à 60 sur 100 –, ceux qui sont censés faire tourner les stations, sont mobilisés ce qui bloque un peu plus le système. Ceux qui protestent sont surtout les ex-Decaux. Leur nouvel employeur négocie d'un côté, et, de l'autre, tente de briser la grève, en faisant travailler des sous-traitants, pour changer les batteries des fameuses stations non reliées au réseau électrique. Smovengo s'en défend, en expliquant que changer les batteries n'est pas le job normal de ses salariés, payés pour entretenir et transférer les vélos d'une station pleine à une vide. Ubuesque !

Des remboursements rabotés

Et pour dédommager les usagers, qui paient leur abonnement depuis octobre pour un système inutilisable, Smovengo n'est pas concerné : c'est du ressort du Syndicat public SAVM, donc plus ou moins de la Mairie de Paris, qui est aux abonnés absents. Le SAVM a décidé de frapper Smovengo d'une amende (1 million par mois) et, plutôt que de prolonger les abonnements, de les rembourser pour janvier, février et mars (mais il faut le demander sur le site, pas très pratique). Et rien n'est prévu pour novembre et décembre, où ça ne marchait déjà plus...

Depuis octobre, grosso modo, Vélib' ne fonctionne pas. Mais seuls trois mois sont remboursés. C'est donc la faute des pouvoirs publics, mais devant la catastrophe, tous les élus ont disparu. On en revient donc à la question de départ, celle de l'an dernier : pourquoi avoir cassé le système Decaux qui marchait bien,  pourquoi avoir fait un appel d'offres qui ne prévoyait pas la reprise obligatoire des anciennes stations ? Pourquoi un tel gâchis d'argent public ?

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En raison des règles administratives qui gèrent les appels d'offres. Au bout de dix ans, il y a obligation d'en relancer un. Cela pour empêcher les rentes de situation. Mais il est difficile de croire qu'il n'y avait pas une solution pour permettre aux Franciliens de continuer à profiter de vélos qui leur avaient déjà coûté très cher à installer, et qui, eux, roulaient !

L'absurdité continue donc. On a échangé Decaux pour Smovengo en nous disant que ce serait mieux. Smovengo a remporté un contrat en promettant la Lune et ces promesses se révèlent intenables. Donc Smovengo revient en arrière et ne propose plus que le Vélib' à l'ancienne, mais en version ultra-dégradée. Echec complet sur toute la ligne : pour les politiques publiques, pour le mieux vivre ensemble et pour le plan vélo de la Mairie de Paris.

Claude Soula

Claude Soula
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