Les patrons de Google et Facebook et leur vie privée : "Faites ce que je dis, pas ce que je fais"

Les patrons de Google et Facebook et leur vie privée : "Faites ce que je dis, pas ce que je fais"
Mark Zuckerberg et sa famille. (ZUCKERBERG FAMILY / AFP)

Quand les patrons de Google ou Facebook prêchaient la fin de la vie privée, c'était pour les autres...

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On connaît de longue date le grand écart pratiqué par plusieurs dirigeants de géants du numérique en matière d'éducation : concevant et vendant des services ou des objets high-tech, ils éduquent leurs enfants à l'écart des écrans. Steve Jobs en fut l'exemple le plus connu, mais il n'était pas le seul.

A l'heure du scandale Facebook-Cambridge Analytica et du RGPD (Réglement général sur la protection des données) qui oblige les services web à modifier leurs règlements (ou leur organisation pour en limiter les effets), il y a un autre hiatus à souligner : celui sur la transparence.

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J'ai enquêté sur ce que Facebook, Google, Uber et Netflix savent de moi (et ça fait peur)Voici un rappel de deux cas particulièrement saillants.

En décembre 2009, Eric Schmidt, alors président exécutif de Google, avait frappé les esprits en déclarant dans une interview à CNBC, à propos de la collecte des données : 

"S'il y a quelque chose que vous voulez que personne ne sache, peut-être que vous ne devriez tout simplement pas le faire."

Cette affirmation hautement controversée était d'autant plus remarquable que Schmidt lui-même a un sens du secret affirmé : en 2005, il avait blacklisté le site d'actus tech CNet, coupable d'avoir dévoilé des informations sur lui – salaire, hobbies, dons à des partis etc.

Des journalistes punis pour leur curiosité

Ces informations personnelles sur Schmidt avaient toutes été collectées par les journalistes de CNet... tout bêtement grâce au moteur de recherche de Google. Dans leur article, ils rapportèrent notamment avoir trouvé, en une demi-heure, que Schmidt totalisait l'année précédente une fortune évaluée à 1,5 milliard de dollars (Forbes l'évalue maintenant à 13 milliards et quelque), qu'au début de 2005 il avait retiré près de 90 millions de dollars de la vente d'actions Google et plus récemment cette année-là 50 millions de dollars de plus de la même façon.

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Sa femme Wendy et lui habitaient dans la ville d'Atherton, en Californie, où le patron de Google avait versé cinq ans plus tôt 10.000 dollars de contribution au candidat démocrate à l'élection présidentielle, Al Gore. On apprenait aussi que Schmidt est pilote amateur.

Petit tour sur les comptes Facebook et Twitter des patrons français de… Facebook et TwitterEn représailles pour cet affront, pendant un an, tous les journalistes du site d'actu furent exclus de toute conférence de presse ou échange officiel avec des gens de Google.  

En septembre 2013, à propos de l'espionnage par les gouvernements (quelques mois auparavant, Edward Snowden avait transmis ses révélations sur la NSA), Eric Schmidt commentait pourtant avec fatalisme :

"L'espionnage existe depuis des années, la surveillance existe depuis des années, et ainsi de suite. Je ne vais porter de jugement là-dessus, c'est dans la nature de notre société."

La vie privée, une norme sociale

Un peu plus tôt cette année-là, en juillet 2013, le "Daily Mail" publiait justement un long article sur de supposées liaisons d'Eric Schmidt avec plusieurs femmes.

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L'occasion étant trop facile, le tabloïd anglais reprenait la fameuse déclaration de Schmidt et terminait l'article en le citant ironiquement : "S'il y a quelque chose que vous voulez que personne ne sache, peut-être que vous ne devriez tout simplement pas le faire".

"Surveiller, tout en se cachant, est la forme la plus haute du pouvoir"Autre illustration d'un discours pas trop en adéquation avec les pratiques réelles, avec le PDG de Facebook. En janvier 2010, Mark Zuckerberg déclarait :

"Les gens sont devenus vraiment à l'aise non seulement avec le partage de plus d'informations et de différentes sortes, mais aussi plus ouvertement et avec plus de gens. Cette norme sociale, c'est quelque chose qui a juste évolué au fil du temps."

La vie privée, décidément un truc ringard ? Zuckerberg déclarait dans le même entretien : "Nous considérons que notre rôle dans le système, c'est d'innover en permanence et de mettre à jour notre système pour refléter ce que sont les normes sociales actuelles."

Nous voilà éclairés, grinçait CNet qui rapportait ces propos :

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"Peut-être n'étiez-vous pas conscient de cette nouvelle norme sociale, la tranquillité avec laquelle les gens partagent des infos. Peut-être étiez-vous assez naïf pour croire que les gens utilisent des ordinateurs portables et des réseaux sociaux pour se connecter très spécifiquement à des personnes précises pour partager des choses précises. Vous savez, de façon relativement privée. Comme des courriers qui partent à la vitesse de la lumière. Vous vous trompiez."

Depuis cette profession de foi du fondateur de Facebook sur cette supposée norme sociale du partage tous azimuts, le réseau social a maintes fois présenté des excuses pour diverses "erreurs" et promis de mieux respecter les données personnelles de ses utilisateurs.

Ce goût du partage clamé par Zuckerberg avait curieusement trouvé ses limites en mars 2012 : des hackers se sont amusés à diffuser 14 photos privées du jeune PDG sur Imgur, un site d'hébergement de photos, en ajoutant comme message "Il est temps de réparer ces failles de sécurité, Facebook". Un bug leur avait permis de détourner un outil de signalement d'images "inappropriées", en s'en servant pour aller voir des images d'autrui, sans tenir compte du réglage "privé" de ces images.

Enquête sur l’algo le plus flippant de FacebookRien de scandaleux dans ces quelques images (Zuckerberg préparant la cuisine avec sa compagne, tenant un poulet ou encore rencontrant le président Barack Obama), mais cette publication, relevée entre autres par la BBC, montrait que même le patron du réseau social se ménage une vie privée, sans parler de l'effet fâcheux sur l'image de l'entreprise (le bug avait été supprimé dans la foulée, avait assuré Facebook).

L'année suivante, en 2013, Mark Zuckerberg avait illustré le prix qu'il attache à sa propre vie privée : il a acquis pour 30 millions de dollars quatre maisons autour de la sienne, à Palo Alto (Californie).

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But de l'opération, selon Business Insider, assurer sa tranquillité après avoir appris qu'un développeur voulait acheter une de ces maisons pour faire de la proximité du créateur de Facebook un argument marketing. Après avoir acquis ces demeures, Zuckerberg comptait les louer à leurs occupants déjà installés avant l'achat.

"La forme la plus haute de pouvoir"

Avant Schmidt et Zuckerberg, d'autres figures de la tech américaine ont tenu des discours similaires, comme Scott McNealy (Sun Microsystems) en 1999 – "on a zéro vie privée aujourd'hui. Faites-vous y".

Bruce Schneier, spécialiste connu de la sécurité informatique et essayiste, soulignait en 2010 le contexte de ces déclarations tonitruantes sur la prétendue "mort de la vie privée" :

"Avec toute cette érosion de la vie privée , ces PDG peuvent effectivement avoir raison – mais uniquement parce qu'ils travaillent à tuer la vie privée. Sur Internet, nos options de confidentialité sont limitées à celles que nous laissent ces compagnies [...] Si nous pensons que la vie privée est un bien social, quelque chose de nécessaire à la liberté et à la dignité humaine, alors nous ne pouvons pas nous en remettre aux forces du marché pour la préserver."

Alors, ces belles paroles sur la transparence et le partage généralisé ? En 2016, Frank Pasquale, professeur de droit américain, expliquait à Rue89 :

"La capacité de surveiller les moindres faits et gestes des autres, tout en cachant les siens, est la forme la plus haute du pouvoir. C’est l’histoire platonicienne de l’anneau de Gygès : celui qui est invisible, et qui donc peut voir tout ce que font les autres à leur insu, dispose d’un avantage stratégique énorme. C’est le ressort central d’entreprises comme Google ou Facebook."

Thierry Noisette

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