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L’ex-otage de djihadistes « canadiens-français » raconte son calvaire

Un ex-otage américain retenu prisonnier sept mois par Al-Qaïda en Syrie en 2013 raconte dans son nouveau livre, The Dawn Prayer, le rôle détaillé qu’ont joué dans son calvaire trois djihadistes à l’accent « canadien-français ». Barbe Rousse, Dodu et Lunettes, comme il les a surnommés, l’ont forcé à fournir ses mots de passe de cartes de crédit et de comptes bancaires, qui ont ensuite été vidés. Ils ont fait preuve d’une certaine compassion, lui offrant du chocolat. La GRC a des Québécois dans sa ligne de mire relativement à cette affaire.

Le kidnapping

« Un homme en noir a ouvert la porte du taxi, il a attrapé l’AK-47 du chauffeur, qui était entre mes jambes, l’a mis sous son bras et m’a tiré doucement. Il m’a conduit à la Jeep et m’a mis sur le siège arrière. […] L’altercation a probablement duré moins d’une minute. Une seconde plus tard, nous avons commencé à rouler. »

— Extrait du livre

Le photojournaliste Matthew Schrier a été kidnappé le 31 décembre 2012 par le Front Al-Nosra, une branche d’Al-Qaïda, alors qu’il terminait un reportage à Alep. Il était en route pour la Turquie lorsque son taxi a été intercepté en pleine rue par trois hommes « armés jusqu’aux dents ». La Presse a déjà parlé de son histoire.

Durant sept mois, l’Américain a été transféré d’une geôle à l’autre, enfermé parfois seul, parfois avec des prisonniers syriens, et la majeure partie du temps avec un compatriote, le journaliste Theo Padnos, kidnappé séparément. Schrier a été torturé, battu et affamé. Quatre fois durant sa détention, il a croisé le chemin d’hommes masqués qu’il identifie comme des « Canadiens français ».

Les djihadistes canadiens

« “Comment ça va ?”, a demandé quelqu’un avec un accent canadien-français. “Ça n’a jamais mieux été”, ai-je répondu en relevant ma casquette. J’étais assis dans un cercle avec cinq personnes : l’émir, trois jeunes gars avec des masques noirs et un homme plus âgé avec un air d’autorité allongé sur le côté comme un bouddha. Il y avait des fusils partout, mais aucun n’était pointé vers moi. »

— Extrait du livre

C’est un mois après avoir été kidnappé que Schrier a croisé les Canadiens pour la première fois. Il était détenu avec Theo Padnos dans ce qu’il croyait être un hôpital désaffecté lorsqu’il a été amené, les yeux bandés, dans une salle d’interrogatoire.

Il affirme que trois djihadistes masqués avec un accent québécois se sont adressés à lui. Il leur a attribué des surnoms. Barbe Rousse, un homme « dans la vingtaine avec des yeux tombants et un peu de roux dans sa barbe », Dodu, un « rondelet » à la poignée de main « extraordinairement faible », et Lunettes, apparemment le leader du trio, un homme « grand qui portait des lunettes à monture noire par-dessus son masque ».

À l’assaut des comptes bancaires

« [Un homme] m’avait rendu plusieurs visites dans ma cellule, tenant mes cartes de crédit et demandant les mots de passe, mais je continuais d’expliquer que ce n’étaient pas des cartes de guichet automatique et feignais de ne pas savoir où il voulait en venir. Il avait même envoyé des gros bras armés, mais ni l’un ni l’autre ne parlait anglais, alors ils ne sont pas allés très loin non plus. »

— Extrait du livre

C’est ici qu’entrent en scène les Canadiens. L’organisation terroriste les aurait mandatés pour soutirer à Matthew Schrier ses informations bancaires, croit le protagoniste.

Le photographe décrit ainsi la première rencontre. « Les trois m’ont posé des questions et m’ont expliqué qu’ils avaient été amenés dans le processus en raison de la barrière linguistique. Ils m’ont servi le même discours sur le fait que j’étais dans un tribunal et que je serais libéré si je disais la vérité. Ils m’ont tendu une feuille de papier et un stylo et m’ont demandé d’écrire mon numéro d’assurance sociale, mes mots de passe pour mes courriels, mes comptes bancaires et mes cartes de crédit, pour Facebook, mon site web et Verizon… »

À un moment, il a cru qu’il s’agissait d’une véritable enquête à son sujet qui pourrait mener à sa libération. Ce n’est pas arrivé.

À la pointe du fusil

« “Génial ! Vous êtes ici pour me ramener à la maison ? Tout a donné de bons résultats ?” “Non, a répondu Barbe Rousse. Aucun des mots de passe n’a fonctionné.” »

— Extrait du livre

Deux jours après sa première rencontre avec les Canadiens, Schrier était à nouveau escorté dans la salle d’interrogatoire.

Cette fois, les hommes avaient un ordinateur portable. C’est à la pointe du fusil qu’ils ont ordonné au photographe de se connecter à son dossier bancaire. Il avait à l’époque 25 000 $ et des cartes de crédit.

En février 2013, il revoyait deux des hommes. Barbe Rousse portait un gilet militaire « chargé de tous les outils dont on pourrait avoir besoin pour faire la guerre », lit-on. C’est aux questions de sécurité pour accéder aux cartes de crédit qu’il s’intéressait.

Depuis la dernière visite, l’otage avait changé de prison et ses conditions s’étaient grandement détériorées. En entendant qu’il était affamé et battu, Barbe Rousse a sorti de sa poche un biscuit de la taille d’un Oreo. « J’ai arraché l’emballage comme un animal et je l’ai dévoré. » Puis, Dodu lui a tendu une barre Kit Kat.

Il a revu Dodu une dernière fois en mars 2013, lorsque les terroristes l’ont forcé à enregistrer une vidéo dans laquelle il admettait travailler pour la CIA. Le Canadien traduisait les questions en anglais.

En juillet 2013, Matt Schrier a réussi à se sauver par la fenêtre d’une cellule.

Une enquête au Québec

« Le FBI savait qui ils étaient avant même que je rentre à la maison. Pendant que j’étais en captivité, ils surveillaient mes comptes et chaque cent qui y était volé. Ils ont suivi deux articles qu’un terroriste a postés au Québec sous son vrai nom. Ce terroriste est retourné au Canada où il vit en homme libre, n’ayant jamais été arrêté ou puni d’aucune façon. »

— Extrait du livre

Aux États-Unis, Schrier a découvert que ses comptes de banque étaient vides. Des documents obtenus par La Presse démontrent que des articles achetés avec ses cartes ont été livrés à Montréal et à Laval. Un document judiciaire prouve que la GRC a mené des perquisitions chez de jeunes Québécois qui ont fait un séjour au Proche-Orient en 2012 et 2013. Ils sont soupçonnés d’avoir participé à une prise d’otage au profit d’un groupe terroriste. Au moins deux de ces hommes vivent librement au Canada. Deux autres ne sont jamais revenus au pays. L’un a été arrêté l’an dernier par les autorités turques et l’autre est recherché. Schrier accuse le FBI d’avoir profité de sa captivité pour traquer les terroristes plutôt que de lui porter secours.

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