Orientation : dans les coulisses de la machine Parcoursup

Facs et écoles classent en ce moment les dossiers des futurs bacheliers. Qui décide qui sera pris ? Comment gère-t-on la pénurie de places ? Notre enquête met en évidence des stratégies très différentes d’un campus à l’autre.

 Les personnels enseignants se réunissent dans tous les établissements pour classer les 6,3 millions de candidatures dans le supérieur.
Les personnels enseignants se réunissent dans tous les établissements pour classer les 6,3 millions de candidatures dans le supérieur. LP/Philippe Lavieille

    « Nous allons remettre de l'humain dans le processus d'orientation », promettait Frédérique Vidal en novembre en dévoilant sa réforme du post-bac. Six mois plus tard, « l'humain » est bien là : des enseignants se réunissent en ce moment dans tous les établissements, pour classer par ordre de préférence quelque 6,3 millions de candidatures dans le supérieur, formulées par plus de 800 000 élèves de Terminale et étudiants en réorientation.

    Ce chantier est une première. Auparavant, seuls les cursus sélectifs examinaient les dossiers des lycéens. A l'université, un algorithme, APB, affectait les élèves automatiquement en fonction de leurs préférences. Mais en dernier recours, quand la demande excédait l'offre, la machine procédait à un tirage au sort, faute d'autre critère pour départager les candidats.

    Enormes disparités

    L'algorithme APB est mort, mais pas l'informatique. Dans les facs, chaque commission a en fait fabriqué son propre logiciel pour gérer le flux, sur la base des principes et outils communs fournis par le ministère. Conséquence : une très « humaine » disparité de l'orientation post-bac, qui s'observe d'un bout à l'autre des campus.

    Ici, on ne jure que par l'excellence académique. Ailleurs, on scrute les lettres de motivation. Dans d'autres lieux enfin, on refuse tout simplement de choisir. Même si elle se manifeste dans une minorité de facultés, l'opposition de principe à Parcoursup existe toujours. Plus d'une centaine d'équipes pédagogiques refusent de s'y plier, selon le recensement du collectif Sauvons l'université.

    « Comment départager des milliers de dossiers qui ont tous des moyennes quasi-identiques? Parcoursup donne une illusion d'objectivité, mais son potentiel d'injustice est énorme », fait valoir Hervé Christofol, le porte-parole du syndicat enseignant Snesup-FSU.

    Beaucoup d'autres enseignants voient au contraire dans la loi Vidal un moyen d'aider les jeunes à mieux s'orienter. C'est cette partie de l'iceberg que préfère éclairer le ministère de l'Enseignement supérieur… tout en lâchant du lest aux opposants. Les filières où le nombre de candidats est peu élevé ont gagné le droit depuis quelques jours de ne pas classer les dossiers des élèves - en clair, de ne pas appliquer Parcoursup à la lettre.

    L'important est que le système fonctionne : les lycéens attendent pour le 22 mai les réponses à leurs candidatures. « Ils se sont peu mobilisés contre Parcoursup jusqu'à présent, mais cela pourrait changer s'ils se retrouvent nombreux sans affectation », glisse avec espoir un opposant à la réforme. Pour le gouvernement, ce scénario du pire est à éviter absolument. Alors le Premier ministre rassure : il vient de s'engager à créer de nouvelles places dans le supérieur « là où ce sera nécessaire » en fonction des demandes, d'ici à la fin juin.

    D'UN CAMPUS A L'AUTRE, LA RÈGLE CHANGE

    Le lycée d'origine compte

    Université Paris-Descartes, Paces (études de santé) : 13000 dossiers/1450 places

    Une majorité des lycéens d'Ile-de-France qui se rêvent en blouse blanche ont tenté leur chance à Paris-Descartes, star de la discipline. Pas question pour autant de les accueillir tous dans l'amphi : « Ne serait-ce qu'en termes de mètres carrés, c'est impossible », tranche le président de la fac, Frédéric Dardel. Le classement était « presque fini » en fin de semaine, par les enseignants de médecine. Leur sélection a pris en compte les notes, mais aussi… le taux moyen de réussite au bac dans le lycée d'origine des candidats. Les jeunes issus de pépinières à élite qui caracolent à 100 % se verront ainsi gratifiés d'un bonus.

    Un critère très contesté, tant il risque d'accentuer les inégalités sociales entre les étudiants. Frédéric Dardel s'en défend, assurant qu'il ne cherche qu'à « compenser le fait que les établissements ne notent pas tous avec la même exigence ». Preuve de sa bonne foi, ajoute-t-il, un coup de pouce sera aussi accordé aux élèves de bahuts défavorisés partenaires de l'université. Cette année, six lycées de la couronne parisienne sont concernés.

    Le président de la fac s'y colle

    Université Paris-Descartes, Sciences de l'éducation : 3000 dossiers/80 places

    Frédéric Dardel, le président de l’Université Paris-V regarde les dossiers Parcoursup pour la filière Sciences de l’éducation. LP/Philippe Lavieille
    Frédéric Dardel, le président de l’Université Paris-V regarde les dossiers Parcoursup pour la filière Sciences de l’éducation. LP/Philippe Lavieille LP/Philippe Lavieille

    Dans ce département qui forme les futurs professeurs des écoles, les enseignants ont unanimement refusé de constituer une commission chargée de « trier » les dossiers. Une procédure selon eux contraire aux principes de l'université censée accueillir tous les bacheliers sur un pied d'égalité. Résultat : c'est le président de l'université, responsable de l'application de la loi, qui a commencé à s'y coller ce week-end avec deux adjoints. Frédéric Dardel a commencé à élaguer, à grands coups de tableau Excel, éliminant d'office « ceux qui ont moins de 7/20 de moyenne en français, en histoire-géographie et en anglais, et qui n'ont suivi aucun cours ou option scientifique en première. »

    Plus de 2 000 dossiers sont ainsi tombés droit dans la poubelle. Sur les 900 restants, seuls 250 émanent des académies de recrutement de la fac, Paris et Versailles. « Je regarderai attentivement ces 250 dossiers-là », promet le président.

    Un logiciel maison fondé sur les notes

    Université Paris-Descartes, Écogestion : 12 000 dossiers/240 places

    Dans cette discipline où la statistique est reine, les professeurs ont inventé leur propre logiciel pour classer les candidats. Ils ont comparé les résultats aux partiels de leurs élèves actuels de licence avec les moyennes que ces derniers obtenaient l'an dernier quand ils étaient encore lycéens. Sur cette base, ils ont concocté un savant « modèle prédictif » de réussite, essentiellement basé sur les notes.

    Mais les lettres de motivation ont aussi été épluchées, avec quelques surprises au tournant. Ainsi de cette candidate qui vante les mérites incomparables de la faculté d'Orsay… dans sa lettre à Paris-Descartes. « Une erreur de copier-coller », suppose le président de la fac qui songe à débuter une collection de « perles de Parcoursup ».

    En sport, la même règle du jeu

    Université Paris Est Créteil (Upec), Staps : 6 000 dossiers/300 places réparties sur deux sites à Créteil et Sénart

    Le parcours Staps de l’universite Paris-Est Créteil est très demandé. LP/Agnès Vives
    Le parcours Staps de l’universite Paris-Est Créteil est très demandé. LP/Agnès Vives LP/Philippe Lavieille

    Staps est un cursus très couru : c'est dans les études de sport qu'a dû être instauré ces dernières années un tirage au sort, faute, jusque-là, de critère légal pour départager les jeunes trop nombreux sur la ligne de départ. La réforme Vidal, qui autorise le tri des étudiants sur des critères scolaires, a sifflé la fin de l'aléatoire. Les Staps de toute la France se sont accordées sur quatre critères, notés sur 30 points chacun : les notes en sciences, les notes dans les matières littéraires, les résultats sportifs, et l'engagement citoyen ou associatif. « Un sportif de haut niveau aura le même bonus qu'un scientifique avec 18/20 de moyenne en maths ou qu'un jeune pompier volontaire », détaille Didier Delignières, le doyen des facultés de Staps.

    Un barème contesté par une partie des universitaires, « mais qui a le mérite de rendre la situation bien plus juste », estime Thierry Maquet, le directeur de la filière à l'université de Créteil. Dans son UFR, une quinzaine de profs se sont attelés à l'examen des 6 000 dossiers. Un exercice moins fastidieux qu'attendu : les candidats sont « trois fois moins nombreux » que l'an dernier. Un effet, suppose Thierry Maquet, « de la meilleure information des jeunes sur le contenu de la formation ». Une partie pourrait s'être reportée sur le « brevet professionnel jeunesse et sport », un diplôme de niveau bac moins exigeant, qui forme des animateurs.

    Tout le monde 1er ex-aequo

    Rouen (Seine-Maritime), Licence de sciences physiques : 350 dossiers/200 places

    A l'université de Rouen, où la contestation contre la réforme Vidal a provoqué blocages et assemblées générales ces dernières semaines, « notre solution a été acceptée le jour où des élèves se sont mis à bloquer les locaux de la présidence de l'université », relève avec gourmandise Pierre-Emmanuel Berche. Ce maître de conférences scientifique, syndiqué au Snesup-FSU, a refusé avec ses collègues de classer les 350 candidats à la licence de sciences physiques. La commission a préféré couronner tous les dossiers premiers ex aequo, sans les ouvrir !

    Une manière d'empêcher l'entrée du loup de la sélection dans la bergerie universitaire. « Un principe de réalité aussi », argumente l'enseignant. « Quelle est l'utilité de trier des candidatures, là où on sait pertinemment qu'il y aura de la place pour tous ceux qui souhaitent venir ? » Avec un peu moins de 2 chaises pour 3 postulants, le suspense n'est guère insoutenable : le jeu des désistements des jeunes reçus dans plusieurs formations exercera un écrémage naturel, et il y aura peut-être même des sièges vides dans l'amphi en septembre. Mais avant même que les faits ne confirment la tendance, « on peut d'ores et déjà rassurer les lycéens, se réjouit Pierre-Emmanuel Berche. On leur garantit la bienvenue dans notre licence quel que soit leur profil. Nous sommes contents d'avoir obtenu cette concession du ministère. » Et d'ajouter : « En quelque sorte, Parcoursup ne s'appliquera pas chez nous. »

    (Petit) rab de places

    IUT de l'Allier : 6 800 dossiers/516 places à Montluçon, Moulins et Vichy

    La population chute dans l'Allier… sauf dans son IUT : l'institut universitaire, qui dépend de la fac de Clermont-Ferrand, enregistre des candidatures en hausse de 34 %. Un mouvement en phase avec l'attrait massif au niveau national des élèves, y compris les plus brillants, pour ces filières initialement conçues comme la continuation des lycées technologiques. Dans ces cursus sélectifs, comme les BTS ou les classes prépas, la réforme Parcoursup ne change pas la sélection des dossiers : elle existait déjà au temps d'APB.

    L'enjeu, ici, est plutôt de pousser les murs : l'an dernier, il y avait en France deux fois moins de places en IUT que de candidats ayant classé cette filière comme leur premier choix. Cette année, le gouvernement leur a accordé une enveloppe. Ainsi, dans celui de l'Allier, une deuxième classe va être créée dans le nouveau département d'Infocom. Il y aura 56 places au lieu de 28… pour 2 250 candidats ! La directrice, Cécile Charasse, en convient : « Une partie des élèves classés, c'est-à-dire ceux dont on estime qu'ils seraient en capacité de réussir chez nous, ne pourront pas être pris. »