« Etudiante en médecine, j’avais alors 18 ans, raconte la gynécologue Danielle Gaudry, militante au Planning familial. Je courais d’un meeting à l’autre, les mecs, qui accaparaient la parole, n’étaient absolument pas féministes. En mai 68, le combat féministe n'a pas encore éclaté. Et ce n'est que deux ans plus tard que le mouvement va exploser.
Nos histoires de contraception, de mères célibataires, ce n’était pas un sujet pour eux. » Le slogan : « Les hommes au micro, les femmes à la ronéo (1) » circule, et une fois les barricades détruites, des femmes exaspérées face à cette division sexuelle du travail militant lancent leurs propres groupes avec une constante : la non-mixité. « Cela a été une libération de la parole incroyable, poursuit Danielle Gaudry. On pouvait parler de tout entre nous, de sexualité, des violences subies au sein de la famille ou dans la rue, et transformer cela en message politique. » Pour la chercheuse féministe Françoise Picq (2), « de Mai 68 le mouvement des femmes a gardé le radicalisme, l’utopie, la volonté de changer la vie. Mais au “tout est politique” on a ajouté : “Le personnel aussi est politique.” A la supériorité des spécialistes et théoriciens, on opposait l’importance de l’expérience vécue et la nécessité d’être soi-même l’objet de sa propre lutte. Et changer la vie, pour nous, c’était changer les rapports entre les hommes et les femmes. »
Sans pour autant perdre le sens de l’humour et le goût de la transgression. Ainsi, le 26 août 1970, sous l’Arc de triomphe, elles sont dix à déposer une gerbe à la femme du Soldat inconnu, plus inconnue encore. Des journalistes, s’inspirant du Women’s Lib américain, parlent alors de mouve ment de libération des femmes. Le MLF est né. Il va fédérer une nébuleuse de groupes et associations, et militer pour la criminalisation du viol et la répression des violences conjugales, son succès le plus spectaculaire étant la légalisation de l’avortement, obtenue après des années de lutte émaillée de manifestations, procès et manifestes. « La loi Veil (en 1975, ndlr) a mis fin à ces années mouvement, explique Françoise Picq. Le féminisme s’est institutionnalisé à partir de l’élection de François Mitterrand (en 1981). Mai 68 était loin, il fallait changer de perspective, être dans la social-démocratie et non plus dans la révolution bolchevique. »
Un sentiment de sororité, une vision de notre place dans la société et un engagement profond qui perdure
A part la nostalgie, que reste-il de ces années de combat ? « Un sentiment de sororité, une vision de notre place dans la société et un engagement profond qui perdure », répond Danielle Gaudry. Pour Rebecca Amsellem(3), fondatrice de l’association Les Glorieuses, « sans le MLF, nous, jeunes féministes, on n’existerait pas. Mais tout n’est pas résolu. On a obtenu l’égalité des droits sur le papier mais pas toujours dans la vraie vie. Et surtout, il nous manque toujours les privilèges qu’ont les hommes et l’égalité salariale. On ne part pas avec les mêmes contraintes. Nous, nous travaillons à l’étape suivante. »
Le féminisme après 1968 en 5 dates
Mai 1970 : Premières réunions non mixtes à l’université de Vincennes.
26 août 1970 : Dépôt d’une gerbe à la femme du Soldat inconnu, sous l’Arc de triomphe.
Octobre 1970 : Quarante femmes s’enchaînent aux grilles de la prison de la Roquette, à Paris, et scandent: «Nous sommes toutes des prisonnières.»
5 avril 1971 : Publication dans Le Nouvel Observateur du Manifeste des 343 – bientôt rebaptisé «manifeste des 343 salopes» – personnalités du spectacle, de la littérature et de la politique qui déclarent avoir avorté.
20 novembre 1971 : Plus de 40000 femmes défilent à Paris pour le droit à l’avortement.
1. Machine à reproduire des textes dactylographiés.
2. Auteure de Libération des femmes, quarante ans de mouvement, éd. Dialogues. 3. Auteure de Les Glorieuses, chronique d’une féministe, éd. Gallimard.
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