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Laurent Berger : « Macron veut imposer une relation directe avec le peuple qui est dangereuse pour la démocratie »

INTERVIEW - A quelques semaines du congrès de la CFDT, qui se tiendra à Rennes début juin, son numéro un expose les priorités du syndicat.Il s'en prend vertement au patronat et au chef de l'Etat accusés de ne pas jouer le jeu de la négociation.

Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, met en garde le chef de l'Etat contre la montée de la contestation violente.
Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, met en garde le chef de l'Etat contre la montée de la contestation violente. (Joël Saget/AFP)

Par Leïla de Comarmond

Publié le 6 mai 2018 à 17:00Mis à jour le 7 mai 2018 à 19:24

Vous rencontrez ce lundi Edouard Philippe sur la réforme de la SNCF. Qu'attendez-vous de ce rendez-vous ?

Ce rendez-vous est pour moi un acte d'ouverture. J'en attends des engagements clairs sur la reprise de la dette, la politique d'investissement de l'Etat dans le ferroviaire et la garantie de l'Etat que l'Union des transports ferroviaires négociera une convention collective de haut niveau en matière notamment de protection sociale, de classifications et de carrière. Tout dépendra de l'option choisie par le gouvernement : soit il cherche à mettre à terre les organisations syndicales et nous serons forcément en désaccord, soit il fait des avancées. La tribune que nous avons publiée avec le secrétaire général de la CFDT cheminots, Didier Aubert, donne des pistes pour cela.

Les cheminots CFDT ne sont-ils pas sur une ligne plus dure que vous ?

Pas du tout. Demandez à la CFDT cheminots et vous verrez. Nous sommes totalement en ligne et mobilisés sur nos objectifs que sont un système ferroviaire de qualité et un cadre social de bon niveau qui respecte les cheminots.

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Le non a gagné à Air France. N'est-ce pas un échec pour la CFDT qui appelait à voter oui

La CFDT n'a en rien perdu. Seuls deux syndicats appelaient à voter oui dont la CFDT et 45% des salariés l'ont fait. Mais la question n'est clairement pas celle-ci aujourd'hui. Air France entre dans une grave crise de gouvernance dans un contexte économique et concurrentiel très difficile. Le dialogue social est bloqué car aux mains d'un syndicat de pilotes - le SNPL - qui l'instrumentalise dans une logique corporatiste au mépris de la situation économique et des autres personnels. Il y a de quoi être inquiet et je le suis tout comme nos équipes d'Air France. La CFDT qui est la première organisation chez les personnels au sol va continuer de se battre pour l'emploi et la situation des salariés de la compagnie aérienne.

Vous allez rempiler lors du congrès de la CFDT pour un nouveau mandat. Ce sera le dernier ?

J'irai au bout de ce mandat. Après, je n'en sais encore rien. En tout cas, je sais que ce n'est pas bon de lancer une succession trop en amont et que j'aurai une vie après la CFDT. Mais pour l'heure, ce n'est pas du tout d'actualité.

Le congrès de Force ouvrière a été très violent et a contraint Jean-Claude Mailly à partir par la petite porte. Cela vous a-t-il surpris ?

Je ne suis pas un spécialiste des congrès de Force ouvrière. Je trouve juste dommage d'avoir besoin de « tuer le père » pour exister. Que l'on soit d'accord ou pas avec lui, je pense que Jean-Claude Mailly ne méritait pas ça. Je le lui ai d'ailleurs dit.

Pourrait-il y avoir des turbulences aussi pendant votre congrès ?

Je vais une à deux fois par semaine débattre avec des militants depuis que j'ai été élu secrétaire général. Ces rencontres sont l'occasion d'exprimer leurs questions, leurs interrogations et parfois leurs désaccords. Les débats au congrès en seront, bien sûr, le reflet. Le bilan de la CFDT est positif - nous sommes devenus la première organisation syndicale dans le privé ! - et je suis satisfait du boulot que les militants ont fait, que la confédération a fait.

Mais ces quatre années ont été très denses et compliquées. A la crise sociale, dont on n'est pas encore sorti, se sont ajoutées trois réformes du dialogue social, et un bouleversement politique profond avec l'arrivée au pouvoir de personnes peu convaincues du rôle de la démocratie sociale. Tout cela est intervenu alors qu'il y a des transformations majeures du travail et dans un environnement mondial beaucoup plus incertain et anxiogène qu'auparavant. Cela bouscule forcément le corps militant même si la CFDT a tenu son cap, sa vision du syndicalisme, de la démocratie, de ses valeurs.

Les débats au congrès seront animés. Les congrès, ça sert à sortir avec des lignes claires donc il faut qu'il y ait des débats. Mais notre culture syndicale ce ne sont pas les joutes verbales, c'est la recherche de solutions. Si le syndicalisme n'en est pas capable, il mourra et je suis persuadé que sans syndicalisme, ce serait la jungle du chacun pour soi et du pouvoir tout puissant des employeurs.

A la rentrée, la réforme du Code du travail a suscité un malaise dans l'organisation. Cela va mieux ?

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On a largement eu le temps de s'expliquer sur le positionnement de la CFDT sur les ordonnances. Personne ne remet en cause l'intérêt d'avoir participé aux concertations. Mais certains éléments de la réforme nous posent encore et toujours un gros problème, y compris dans notre action au quotidien. Je pense particulièrement aux fortes difficultés rencontrées par nos équipes d'entreprise dans la mise en place des comités sociaux et économiques.

Le rapport d'activité rappelle que la revendication d'un développement de la négociation d'entreprise date des années 1970. Les militants de la CFDT devraient être ravis…

Le renforcement de la négociation d'entreprise est notre leitmotiv depuis cinquante ans. Un des acquis fondamentaux de la CFDT en mai 1968 a été la création de la section syndicale d'entreprise et depuis nous n'avons eu de cesse de tirer ce fil car nous sommes convaincus que c'est au plus près des travailleurs, sur leur lieu de travail, qu'on peut construire du progrès pour eux.

Ce renforcement de la négociation d'entreprise est accepté dans la maison mais il faut que les moyens suivent et aussi les interlocuteurs. Et ce n'est trop souvent pas le cas. Le gouvernement ne peut pas affirmer qu'il veut développer le dialogue social dans l'entreprise et réduire les moyens et le nombre d'élus du personnel. La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, nous dit qu'il y a possibilité de négocier plus. Mais, en réalité, dans beaucoup d'entreprises, la direction refuse et on se retrouve avec le minimum légal.

Au congrès de Marseille, il y a quatre ans, les militants s'étaient plaints d'un trop-plein de réformes à intégrer alors que le patronat ne jouait pas le jeu. Avec les nouvelles qui se sont ajoutées, ne craignez-vous pas un ras-le-bol des militants ?

Sans doute, car il y a eu trois réformes du dialogue social en quatre ans. Je vous rappelle d'ailleurs que nous n'étions pas demandeurs des ordonnances. Elles s'ajoutent aux évolutions des entreprises elles-mêmes. Avant, les difficultés se concentraient dans l'industrie, maintenant, regardez ce qui se passe dans le commerce. Et qui peut tracer la route pour les 3, 6, 10 années à venir avec certitude ?

Face aux incertitudes, nos valeurs d'émancipation collective et individuelle et de justice sociale sont une boussole précieuse pour nous positionner face aux évolutions du monde : c'est vrai sur les enjeux fondamentaux comme par exemple pour condamner ce que subissent les migrants ou encore ne pas hésiter une seconde à appeler à voter Emmanuel Macron au soir du premier tour de l'élection présidentielle car l'extrême-droite ne sera jamais une option pour nous.

C'est aussi vrai face aux évolutions du travail pour construire un modèle social qui propose des protections et des possibilités de rebondir à chacun et pas seulement à quelques-uns.

Le moment où vous devenez première organisation syndicale est aussi celui où la place de la négociation est remise en cause…

On aurait pu espérer que nos interlocuteurs patronaux et politiques en profitent pour faire émerger une confrontation sociale positive et ce n'est pas forcément ce qui est fait. Nous sommes trop souvent confrontés dans la période à une absence d'interlocuteurs, de la base au sommet. C'est ce que disent certaines de nos équipes syndicales confrontées à des patrons qui considèrent que le dialogue social est un frein ou qui n'anticipent pas suffisamment les évolutions économiques. Heureusement, ce n'est pas le cas partout.

Au niveau interprofessionnel, nous avons le même problème. Ces dernières années, une partie du patronat a déserté sa responsabilité. L'insuffisance des contreparties en matière d'emploi et d'investissement au CICE en est un bon exemple. Sous Pierre Gattaz, le Medef a préféré le lobbying au dialogue social. Il s'est enfermé dans la plainte permanente et n'a pas compris que l'économique et le social vont de pair.

Avec un certain succès, non ?

Cela a peut-être marché, mais ce n'est pas responsable. Nous aussi, nous aurions pu nous réfugier dans la protestation et le « y'a qu'à faut qu'on » sans mettre les mains dans le cambouis. Le patronat a fui ses responsabilités. Cela n'a pas été notre choix, ni celui de FO cette dernière année, d'ailleurs. J'attends avec impatience l'arrivée d'un nouveau président du Medef pour relancer la dynamique de négociation. Il y a des chantiers importants à ouvrir. Je pense, par exemple, à la question des mobilités, des compétences ou des discriminations.

Emmanuel Macron ne veut pas non plus de votre modèle de dialogue social…

Il veut imposer une centralité et une relation directe avec le peuple qui est dangereuse pour la démocratie. Malgré cela, je persiste à dire qu'il doit réussir, sinon nous aurons le Front national. Mais s'il s'obstine à ne pas prendre en compte la diversité de la population qui s'exprime à travers les corps intermédiaires et sans mener une politique sociale assumée, c'est-à-dire en faisant croire que pour l'instant il faut uniquement de la sueur et des larmes, cela fera monter le Front national. Avec Emmanuel Macron, soit on est d'accord sur tout, soit on n'a pas voix au chapitre. Cela va faire monter les radicalités et la violence dans la société et le chef de l'Etat va se retrouver seul au moment du bilan.

Cela dit, nous ne lui ferons pas le cadeau de tomber dans la contestation à tous crins sans rien proposer. Je le dis au président de la République et à la majorité : la transition écologique, la révolution du numérique, les banlieues… le monde de demain, on l'a plus pensé que vous !

Quelles vont être vos priorités pour les années à venir ?

Encore et toujours le travail, la qualité de vie au travail. C'est pour la CFDT un enjeu prioritaire trop souvent délaissé. Nous sommes à l'écoute des salariés. Et puis, il y a aussi la poursuite de la construction de nouvelles protections collectives via des droits attachés à personne et non à son statut en travaillant sur la mobilité des parcours professionnels.

Nous voulons aussi investir davantage les questions sociétales, telles que les discriminations, l'égalité homme-femme (dont la féminisation de nos instances dirigeantes). Concrètement, les débats au congrès se concentreront sur la question du partage des richesses, la robotisation, les écarts de rémunération, le revenu universel, la fonction publique, mais aussi la réforme des retraites ou la représentation des free-lances. Et, bien sûr, une de nos principales priorités sera d'accompagner nos sections syndicales sur le terrain face aux réformes.

Le précédent congrès vous avait mandaté pour renforcer le « pôle réformiste ». Où en êtes-vous ?

D'abord, je vous renvoie aux derniers résultats des élections de représentativité. Ils montrent que le syndicalisme de contestation est en train de décliner. Pas nous qui défendons un syndicalisme de proposition et de mobilisation. Dans les entreprises, les salariés attendent des représentants qui s'engagent, proposent, mobilisent et négocient pour construire des solutions. La SNCF, les Ehpad, Carrefour ou Vivarte… Ces derniers mois, contrairement à ce que certains pensent, la CFDT s'est beaucoup mobilisée y compris dans la rue. Nous n'excluons aucune mobilisation à la condition qu'elle porte des propositions et recherche des résultats. Il faut aussi réfléchir aux modalités d'action. Quand il y a une manifestation, combien de salariés des entreprises est-on capable de faire sortir dans la rue ?

Par ailleurs, avec l'UNSA et la CFTC, des étapes ont été franchies depuis quatre ans. On a eu des positions communes, on s'est rencontré souvent, on a travaillé ensemble. C'est évidemment différent dans les branches et les entreprises où nous sommes en concurrence parfois. Mais au vu du désert syndical, le plus gros sujet n'est pas la concurrence éventuelle entre nous.

Depuis quelques années, les comptes de la confédération sont en déficit. Jusqu'à quand allez-vous pouvoir tenir grâce à vos réserves ?

Pendant quelques années, nous avons fait un gros effort d'investissement sur notre fonctionnement interne et notre système d'information. Nous avons aussi accompagné la fusion de nos unions régionales pour nous adapter à la réforme territoriale. Nous comptons bien que tout cela produise ses effets, y compris en termes de syndicalisation, donc de ressources.

Vous avez promis en mars 2017 de faire la transparence sur vos effectifs avant le congrès. Il ne reste plus beaucoup de temps…

Ce sera fait avant le congrès. On est en train de faire certifier notre comptage. « Partons du réel pour mieux le transformer ». Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Jaurès. Vous voyez je cite mes sources.

En douze ans, vos effectifs n'ont pas progressé. En 2016, ils ont même baissé montrent vos documents de congrès. Comment l'expliquez-vous ?

Chaque année, on réalise autour de 60.000 adhésions mais nous avons des départs, pour l'essentiel du fait des départs en retraite. Nous avons un enjeu d'attractivité énorme ainsi que d'implantation dans les petites entreprises et chez les free-lances. Nous allons mettre en place un dispositif pour accompagner les militants sur le sujet. L'enjeu est clairement de se développer où nous sommes mais aussi dans de nouvelles entreprises et administrations.

Propos recueillis par Leïla de Comarmond   

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