“L’Hécatombe des fous” : 45 000 malades mentaux morts de faim sous le régime de Vichy

Des milliers de personnes abandonnées jusqu’à la mort entre les murs des hôpitaux psychiatriques : c’est l’effroyable réalité d’un fait méconnu de la Seconde Guerre mondiale. Dans un documentaire diffusé sur Spicee, Elise Rouard tente d’éclaircir cette zone d’ombre de l’Histoire de France. 

Par Marie-Joëlle Gros

Publié le 07 mai 2018 à 17h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h24

Cest un chapitre de notre histoire que peu de Français connaissent. L’Hécatombe des fous raconte comment quarante-cinq mille personnes atteintes de maladie mentale sont mortes de dénutrition dans les asiles français pendant la Seconde Guerre mondiale. Une réalité passée sous silence, dérangeante.

Ex-rédactrice en chef à LCI, aujourd’hui sur France Info TV, la journaliste Elise Rouard a pris connaissance de cette histoire presque par hasard : « Je pensais tout connaître de la guerre, avoir tout lu, quand je me suis rendue dans une exposition à l’hôpital psychiatrique de Montdevergues (Vaucluse). Là, je suis tombée sur l’agonie de ces malades, dont j’ignorais tout. » Elle y redécouvre le destin de Camille Claudel, internée à Montdevergues depuis 1913, visitée de loin en loin par son frère Paul, et finalement morte en 1943, affamée et seule, comme tant d’autres, dans toute la France. « Un choc », résume Elise Rouard.

Assez vite, la réalisatrice trouve trace de ces morts aux Archives nationales, mais très peu de photos et aucun film. A la Libération, le sort de ces malades que personne ne voulait voir n’a pas été documenté. Des historiens comme Isabelle von Bueltzingsloewen (1) ou le psychiatre Max Lafont ont fait un travail de mémoire, mais les images manquent cruellement. C’est l’une des faiblesses majeures de ce doc : comment raconter une histoire qui possède si peu d’archives visuelles ? Le film s’en ressent, d’autant qu’Elise Rouard n’a pas spécialement soigné sa construction. Mais son enquête, fouillée, donne à entendre plusieurs témoins en mesure de raconter le quotidien des patients sous l’Occupation.

Comme cette incroyable Aimée, 103 ans aujourd’hui. Au premier rendez-vous, l’ancienne infirmière de l’hôpital de Maison-Blanche (Neuilly-sur-Marne) ne se souvient de rien. Quand la journaliste revient la voir avec des chiffres et des noms de malades décédés dans son hôpital, la mémoire de la vieille dame se déverrouille, et tout remonte à la surface. Les corps qui n’ont plus que la peau sur les os, son impuissance, et les cerises qu’elle cueille l’été dans son jardin pour ses patientes. « Comme beaucoup de ceux qui ont traversé des tragédies, Aimée avait enfoui tous ses souvenirs et n’en avait parlé à personne », souligne Elise Rouard.

Puis la réalisatrice cherche des responsabilités, politiques, administratives. Le régime de Vichy, Pétain ? Sa quête tourne en rond. Sous l’Occupation, il était difficile pour tous de se nourrir, racontent les historiens et les témoins sollicités. Les Français se débrouillaient comme ils pouvaient, entre tickets de rationnement et marché noir. Mais ce système D s’arrêtait aux portes des lieux fermés, comme les hôpitaux. Pour manger une tranche de jambon ou un morceau de beurre, les malades ne pouvaient compter que sur les visites de leur famille. Beaucoup n’en recevaient plus. Délaissés, nourris de soupes claires par des soignants désolés d’avoir si peu à offrir, plusieurs milliers d’entre eux sont donc tout simplement morts de faim.

Malgré l’insistance de la réalisatrice à identifier des coupables, il n’y a pas eu de volonté délibérée de laisser mourir les malades mentaux. Et cette vérité est presque plus difficile à admettre. Ce qui remue tout au long du récit de cette Hécatombe des fous va au-delà de la tragédie de ces malades que l’on ne pouvait pas soigner, faute de traitement, et qu’on a préféré cacher, oublier. La démonstration de cette « lâcheté collective », sans doute la plus grande réussite du film, interroge en écho nos regards sur les « fous » d’aujourd’hui.


(1) L’Hécatombe des fous, d’Isabelle von Bueltzingsloewen, Flammarion, 2009.

A voir

L’Hécatombe des fous, sur la plateforme Spicee, sur abonnement (8 euros par mois, premier mois offert).

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