A general view shows the Lafarge Cement Syria (LCS) cement plant in Jalabiya, some 30 kms from Ain Issa, in northern Syria, in February 19, 2018.
The choice to cling on in Syria after other international firms fled the fighting has plunged Lafarge, which merged with Swiss firm Holcim in 2015, into a spiral of scandal and recriminations that has dragged in the French state.  / AFP PHOTO / Delil souleiman

La cimenterie Lafarge de Jalabiya, dans le nord de la Syrie.

AFP

C'était le 4 janvier 2018. L'avocat Georges Holleaux, représentant l'association Life for Paris, avait pris sa plus belle plume afin d'écrire aux juges chargés du dossier du financement présumé de Daech par Lafarge. Quelques lignes sans plus d'explication pour se constituer partie civile, au nom de l'association des victimes du 13 Novembre et de leurs proches, dans l'affaire qui met en cause le géant mondial du ciment, suspecté d'avoir établi des relations financières avec le groupe terroriste (et d'autres) qui a inspiré la majorité des attentats commis à Paris.

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Il serait donc possible de faire le lien entre les événements parisiens de 2015 et les sommes versées par Lafarge en Syrie ? Les juges ont répondu oui. Et ont admis l'association le 29 janvier dernier au rang de partie civile. Selon l'ordonnance consultée par L'Express, les magistrats estiment qu'il a "été établi" que Daech percevait une taxe "en fonction de marchandises transportées que la société Lafarge répercutait sur son prix" et que "le montant global et la durée" de ces financements sont susceptibles d'avoir permis de "pérenniser" Daech en Syrie et de lui permettre de "planifier et de réaliser des opérations violentes sur zone et à l'étranger, y compris en France". Le raisonnement juridique s'appuie sur la notion de "fongibilité" des sommes en question: pour être clair, l'argent de Lafarge perçu par des personnes liées ou appartenant à l'organisation terroriste aurait perdu toute traçabilité et se serait fondu dans la masse des ressources de Daech.

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Le président de Life for Paris, Arthur Dénouveaux, s'interrogeait d'ailleurs récemment sur France Inter: "Les attentats du 13 novembre 2015 ont été financés en grande partie depuis la Syrie par le groupe État islamique. La concomitance des faits entre le financement par Lafarge d'une partie des activités du groupe EI et les attaques nous fait nous poser la question de savoir si l'argent est traçable."

2015: l'irruption de Daech en France

La juge Charlotte Bilger conclut en tout cas dans son ordonnance qu' "aucun élément ne permet d'écarter l'hypothèse que les sommes susceptibles d'avoir été versées par la société Lafarge aux groupes terroristes aient pu servir à financer les attaques terroristes de Paris le 13 novembre 2015". Le parquet de Paris s'était lui opposé à la recevabilité de l'association comme plaignante : les infractions poursuivies ne rentraient pas selon lui dans le champ de l'activité de l'association.

Selon les Douanes judiciaires chargées d'enquêter pour le compte des magistrats, des fonds ont été payés par Lafarge jusqu'en 2015 inclus à différentes organisations terroristes, dont l'Etat islamique. La date est importante : le 9 janvier 2015 en effet, Amedy Coulibaly commet ses crimes à l'encontre d'une policière municipale à Montrouge et à l'Hyper Cacher de Vincennes au nom de Daech - le lien a été formellement établi grâce à une video posthume. Le groupe terroriste fait ainsi à cette date irruption sur le territoire français en provoquant la mort de cinq personnes et en en blessant cinq autres. Il refera parler de lui le 13 novembre de la même année en revendiquant la terreur répandue au Bataclan, au Stade de France et sur diverses terrasses de cafés parisiens.

Des paiements après les premiers attentats

Les enquêteurs ont dressé un tableau des paiements versés via des intermédiaires identifiés comme étant notoirement proches des terroristes, et il semble que ces paiements ont perduré après la première revendication de Daech concernant des exactions commises en France... Ainsi, une ligne de ce tableau intitulée "paiements approvisionnements" note que sept fournisseurs de matières premières implantés à Raqqah - une ville syrienne passée sous la coupe de l'Etat islamique en 2013 - auraient touché de la part de Lafarge l'équivalent de quelque 3 millions de dollars entre 2010 et février 2015 - ce que des cadres du cimentier mis en cause, tel Frédéric Jolibois, directeur de l'usine nommé à l'été 2014, relativisent dans leurs interrogatoires, estimant qu'il ne suffit pas que ces fournisseurs aient été installés dans cette zone pour qu'ils soient "nécessairement" liés à Daech.

Une autre ligne du tableau présente des "paiements à des intermédiaires" effectués entre le 4 décembre 2013 et le 31 janvier 2015, pour la somme globale de 240 000 dollars. Sans que le détail des fonds et des dates apparaisse encore avec plus de précisions. Visiblement, pas de quoi embarrasser certains responsables de Lafarge, qui ont donc continué à verser leur "obole", selon le mot de l'un d'entre eux, à l'organisation.

En tout état de cause, la présence, certes symbolique, au sein des parties civiles, d'une association de victimes du 13 Novembre vient dramatiser un peu plus un dossier aux lourds enjeux.

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