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ALGÉRIE

Massacres du 8 mai 1945 : "Faire un procès à l’État français n'aurait pas de sens"

Alors que la France commémore, ce mercredi, le 8 mai 1945, cette date est, en Algérie, synonyme de massacres. Gilles Manceron, historien, revient pour FRANCE 24 sur cette page méconnue de l'histoire.

Capture INA
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C’est une page noire et méconnue de l’histoire franco-algérienne. Le 8 mai 1945, alors que Paris célébrait la fin de la Seconde Guerre mondiale et la victoire des Alliés sur l'Allemagne nazie, de l’autre côté de la Méditerranée, en Algérie française, les festivités tournent au drame. Dans les cortèges qui défilent, des Algériens brandissent des drapeaux nationalistes et scandent "Vive l’Algérie indépendante !". La réponse des autorités est immédiate. Et sanglante. Les manifestations des villes de Sétif, Guelma et Kheratta sont réprimées dans le sang. Bilan : 103 victimes européennes et 1 500 algériennes selon la France, 45 000 selon l’Algérie. Combien de morts y a-t-il eu réellement ? Impossible de le savoir. Car 68 ans plus tard, ces évènements, aujourd’hui considérés comme les prémices de la guerre d’indépendance, sont toujours occultés en France. Le seul petit pas vers la reconnaissance du drame a eu lieu le 26 février 2005. L’ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de Verdière, qualifie alors les massacres du 8 mai 1945 de "tragédie inexcusable". Peut-on pour autant parler de "crimes contre l’humanité" ? Eléments de réponse avec Gilles Manceron, historien et auteur de plusieurs ouvrages sur l'Algérie, dont "Marianne et les colonies" paru aux éditions La Découverte.

FRANCE 24 : Que s’est-il passé le 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kheratta ?

Gilles Manceron : Le 8 mai 1945, journée de la capitulation allemande lors de la Seconde Guerre mondiale, des manifestations ont célébré la victoire en France. Ce fut le cas aussi en Algérie. Dans le Constantinois (nord-est, NDLR), région de fort développement du mouvement national algérien en 1943-1945, des cortèges d’Algériens se joignent à ceux des Européens et arborent, notamment à Sétif, le drapeau algérien à côté de ceux des alliés. Pour donner un coup d’arrêt à l'essor du mouvement national algérien, la répression commence par s’abattre sur les manifestants. À Sétif, où il y a le principal cortège de manifestation nationaliste, les Algériens font l’objet de tirs de policiers face à leur refus de retirer le drapeau. Les choses s’enchaînent ensuite : débandade des Algériens, violences exercées contre les Européens et insurrection dans l’ensemble de la région.

À Guelma, le scénario est un peu différent. La formation d’une milice européenne armée par le sous-préfet de Guelma, André Achiary, juste avant le 8 mai, a joué un rôle prédominant dans la répression. C’est une réaction violente de la part des éléments les plus colonialistes, partisans du maintien du statu quo. Mais la police et l’armée ont, bien entendu, eu un rôle.

À Alger, on parle de 45 000 victimes algériennes alors que, du côté français, on estime le bilan à 103 Européens et 1 500 Algériens tués… Qu’en est-il ?

G. M. : 45 000, chiffre lancé on ne sait pas trop pourquoi, ne repose pas sur un décompte fiable. On sait qu’il y a eu 102 victimes européennes. On a leur nom, leur âge, car seules ces victimes ont suscité l’intérêt des autorités de l’époque. Les autres morts étaient bons pour la fausse commune et un bon nombre de corps ont disparu dans un four à chaux de Héliopolis, près de Guelma. De multiples témoignages en attestent. Lors de la panique qui a suivi la dispersion de la manifestation, des Européens ont été pris à partie au hasard. Certains on été ciblés parce qu’ils avaient tiré de leur balcon. Lors de l’insurrection du Constantinois, des objectifs militaires ou représentant l’ordre colonial ont aussi été visés par les insurgés. Il y a eu des milliers, 10 000 ou peut-être 15 000 victimes algériennes du fait des milices, de la police ou de l’armée, mais aussi de l’utilisation de l’aviation et de bombardements de la marine, notamment à Kherrata. Des charniers ont été découverts.

Les historiens pensent cependant que le chiffre de 45 000 est mythique. Il a été avancé très vite et le mouvement national a considéré par la suite qu’il ne fallait pas le remettre en cause.

Aurait-on pu éviter ce drame ? En février 1945, le consul britannique en Algérie, John Carvell, avait prédit ces troubles en Algérie…

G. M. : En 1943, Ferhat Abbas, l'auteur du "Manifeste du peuple algérien", qui n’était pas favorable à l’indépendance de l’Algérie dans les années 1930, se rallie à cette idée. Comme 90 % de la société arabo-musulmane dans les années 1942-1945. Cette montée du mouvement national, les Américains l’avaient compris et les Anglais y étaient attentifs. Ils voyaient bien que la décolonisation était en marche partout.

Peut-on parler de crime contre l’humanité ?

G. M. : C’est un massacre de civils d’une grande ampleur mais les historiens emploient des termes pour qualifier les massacres de masse qui ne sont pas ceux des juristes. Je ne pense pas qu’une judiciarisation quelconque puisse intervenir. L’idée de faire un procès à l’État français n’a pas de sens. Il faudrait plutôt que les autorités reconnaissent les faits et permettent aux historiens d’accéder aux archives. On doit se résoudre à faire la lumière et à rendre justice aux victimes d’une autre manière. Les protagonistes, pour l’essentiel, sont morts. Il faut maintenant dire quelles ont été les implications politiques : le rôle du gouverneur général Yves Chataigneau, du président du Conseil Charles de Gaulle, du ministre de l’Intérieur Adrien Tixier. Je ne vois pas qui on pourrait juger aujourd’hui.

La demande de reconnaissance des crimes de l’État français par les autorités algériennes n’est-elle pas vaine ? Lors de la visite de François Hollande en Algérie en décembre 2012 à l'occasion du cinquantenaire de l’indépendance du pays, on attendait déjà une forme de repentance…

G. M. : La visite de François Hollande a donné l’occasion à la France de se prononcer sur la période coloniale comme elle ne l’avait jamais fait auparavant. Le président français a eu plusieurs formules reconnaissant que la domination coloniale avait été un drame pour l’Algérie, une violation des droits de l’Homme. C’est le pas le plus important jamais franchi. Il n’a pas parlé de la guerre d’Algérie ni du 8 mai 1945 mais il a déjà avancé sur le sujet.

Cette page de l’histoire reste donc à écrire ?

G. M. : Il faudrait davantage ouvrir les archives afin que les historiens puissent reconstituer les faits. Elles ne le sont pas pour cette période, elles ont même été fermées à plusieurs reprises durant les années 2000 -2010. Ce n’est pourtant pas à l’État de dire l’histoire mais c’est à lui de la reconnaître. Le travail des historiens algériens est important. C’est un travail conjoint qu’il faut faire.

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