Comment vous est venue l’idée d’étudier le lien entre les animaux dits charismatiques et leur conservation ?
Une opinion répandue est que les animaux charismatiques bénéficient de plus d’efforts de conservation. Avec mes collègues, nous avons voulu approfondir cette question du rapport entre l’image de ces animaux et ce que le public pense de la menace d’extinction qui pèse sur eux. J’ai commencé à m’intéresser à ce problème en 2011.
Qu'est-ce exactement qu'une espèce charismatique ?
Pour définir quels animaux sont charismatiques, j’ai commencé par créer un site internet, en quatre langues, où je demandais aux visiteurs de lister ces animaux. Nous avons obtenu près de 5 000 réponses exploitables. Puis j’ai posé la même question à des écoliers en Angleterre, en Espagne et en France. Ensuite, nous avons recensé les animaux qui figurent sur les affiches des zoos, dans les films d’animation… Les dix animaux les plus charismatiques sont le tigre, le lion, l’éléphant, la girafe, le léopard, le panda, le guépard, l’ours polaire, le loup et le gorille. Cette liste n’est pas surprenante en soi. Ce qui l’est beaucoup plus, c’est la perception qu’ont les gens du danger d’extinction encouru par ces animaux.
Dans quelle mesure la menace qui pèse sur ces espèces est-elle sous-estimée ?
À l’exception du loup, toutes ces espèces sont menacées à un degré assez élevé. Mais à la question : « Cette espèce est-elle en danger ? », les réponses sont souvent erronées. Dans le cas de la girafe, 60 % des personnes interrogées pensent que l’espèce n’est pas menacée, alors que la girafe de Nubie a perdu 97 % de sa population en 35 ans. Même pour l’éléphant, dont la préservation fait pourtant l’objet de beaucoup de communication, une personne sur trois pense que cet animal n’est pas en danger.
Comment interpréter ce biais de perception ?
Ces résultats m’ont interpellé. Si l’on voit autant ces animaux autour de nous, nous devrions bien les connaître et donc savoir que, par exemple, l’éléphant pourrait disparaître d’ici à 50 ans, le lion et le tigre d’ici seulement à 20 ans. Or ce n’est pas le cas. Selon nous, le fait de voir autant de pandas et autres animaux charismatiques dans les médias donne l’impression que ces espèces ne sont pas tant en danger que cela. Des volontaires, en France, ont comptabilisé combien d’images de ces animaux ils repéraient en une semaine. Ils ont vu en moyenne 4,4 lions par jour. Ils croisent donc en moyenne, sur une année, deux à trois fois plus de lions qu’il n’y en a dans toute l’Afrique de l’Ouest.
Quelle solution proposez-vous ?
Aujourd’hui, les moyens dédiés à la conservation ne sont pas à la hauteur de l’urgence. Si nous ne sommes pas capables de sauver le roi des animaux, alors il y a peu d’espoir pour une fleur d’Amazonie ou un invertébré des récifs coralliens. Une piste serait de mettre en place une sorte de « droit à l’image » pour les espèces charismatiques. En effet, de nombreuses entreprises utilisent celles-ci dans leur logo et profitent de leur charisme. Ce qui contribue à désensibiliser la population aux risques d’extinction qu’elles encourent. En s’acquittant d’un droit à l’image, ces entreprises soutiendraient des actions de conservation. Cela serait même bénéfique pour leur réputation. D’ailleurs, certaines, sur la base du volontariat, ont déjà lancé de telles initiatives avec le programme Save your logo ; c’est le cas de Lacoste ou Maaf Assurances. L’étape suivante serait de discuter avec des juristes et d’autres acteurs de la société civile pour étendre et généraliser cette idée.
