Le roman-photo, un genre littéraire injustement boudé

Frédérique Deschamps, commissaire de l’exposition du Mucem dédiée aux feuilletons illustrés, revisite l’histoire d’un genre universellement moqué. Propos recueillis par TOMA CLARAC.
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Je t’aime à l’italienne

« Quand le roman-photo apparaît dans l’Italie de l’après-guerre, tout est rationné, y compris le papier, mais le pays a besoin de rêver. En 1947, deux titres – Il mio Sogno et Bolero Film, à qui on doit le néologisme fotoromanzo – publient, à trois semaines d’intervalle, leur première histoire. Le succès est foudroyant, comme en témoigne dès 1949 un documentaire sur le sujet signé Antonioni, auquel nous consacrons une salle dans l’exposition. On y voit une lectrice se jeter sur un acteur de roman-photo comme une groupie. Un motif central du Cheik blanc, de Fellini, qui sortira trois ans plus tard. »

Piero Orsola, diapositive pour un roman-photo, Rome, années 1960. Ektachrome 120. Collection Frédérique Deschamps © Piero Orsola. Cliché : Josselin Rocher

« Nous Deux » à Minuit
« Le motif universel du roman-photo – en gros, une histoire d’amour chaotique qui se finit bien – permet son exportation immédiate autour de la Méditerranée puis en Amérique du Sud. En 1954, Nous Deux, l’hebdomadaire lancé par l’Italien Cino Del Duca, se vend chaque semaine à 1,5 million d’exemplaires et dans les années 1960, on estime qu’un Français sur trois lit des romans-photos  ! Ra­pi­dement, on dénombre des publications érotiques, des déclinaisons comiques dans Hara-Kiri ou encore des détournements situationnistes. Dans les années 1980, des tentatives expérimentales voient même le jour, no­tamment aux Éditions de Minuit. »

Couverture du magazine Nous Deux n° 1277, 1971. © Nous Deux

Pépinière d’étoiles
« De nombreuses stars sont apparues dans les romans-photos, souvent pour des raisons alimentaires, avant de devenir célèbres. En Italie, Sophia Loren en a tourné à 16 ans. Vittorio Gassman a joué dans un roman-photo paru dans le féminin Grand Hotel. En France, Cino Del Duca relance Nous Deux dans les années 1960 en faisant tourner les icônes de la génération yé-yé. Mais le ­roman-photo a aussi ses vedettes originales au destin digne des histoires dans lesquelles elles brillaient. »

Raymond Cauchetier, maquette originale du ciné- roman À bout de souffle, d’après le film de Jean-Luc Godard avec Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo, Paris, 1959-1969. Carton, tirages photographiques collés. Collection Mucem © Raymond Cauchetier. Cliché : Mucem/Yves Inchierman

La voie du people
« Le roman-photo entame son déclin à partir des années 1970. Je pense que les feuilletons à l’eau de rose, qui faisaient le sel du genre et lui ont valu d’être très largement haï par les intellectuels communistes autant que par les chrétiens, ont été supplantés par les histoires d’amour des stars sublimées par la presse people. Aujourd’hui, l’âge moyen de la lectrice de Nous Deux est de 69 ans. Mais, comme l’explique Grégory Jarry dans le catalogue de l’exposition, des initiatives récentes montrent que le roman-photo peut trouver un avenir. Ainsi de L’Illusion nationale, enquête au long cours sur le Front national parue début 2017. »section