24 heures de la vie d’un journaliste… en 2030

Auteur : Aucun commentaire Partager :

IA et médias : Sandrine Cathelat et Mathilde Hervieu, de l’Observatoire Netexplo, imaginent la journée d’un journaliste dans une douzaine d’années


Sans présager ce que seront les médias dans 12 ans, Sandrine Cathelat et Mathilde Hervieu de Netexplo ont imaginé la journée d’un journaliste en 2030. Si ses tâches quotidiennes seront facilitées par l’intelligence artificielle, certaines questions, tel son libre-arbitre seront posées.

7h30

Simon ouvre les yeux sous le doux chant d’oiseau produit par le réveil de son smartphone qu’il éteint d’un sourire (Earbud Smile Controller). Sous la douche, il écoute la revue de presse concoctée spécialement pour lui par son IA en fonction de ses centres d’intérêts, de son humeur et de son agenda du jour. Et si l’IA détecte qu’un sujet retient plus particulièrement son attention (Cognitive Hearing Aid), elle lui proposera sur son miroir connecté des contenus multimédia, pour aller plus loin. Il va pouvoir visionner une vidéo sur son miroir, en lissant sa barbe pourquoi pas ! ou obtenir les liens vers les personnes qui peuvent nourrir les sujets qui l’intéressent. Ces contenus il pourra également choisir de les consulter projetés en hologramme sur sa table de cuisine, tout en avalant son petit déjeuner (Hololamp). Enfin son fil IA complice lui proposera des contacts intéressant pour approfondir ces sujets ! Simon acquiesce, rencontrer Anna a du sens ! Il laisse le soin à son IA de rentrer en contact et de commencer la conversation à sa place. L’IA complice prendra rendez-vous si elle juge cette rencontre utile !(TinderBox)
Voilà Simon armé pour attaquer sa journée !


Enjeux

Création et diffusion d’une information utile : La sélection de l’information se fait à partir de critères variés (profil, émotions, évènements contextuels) : quid de l’accès aux données personnelles ? La diffusion se fait aussi via des supports variés et s’adaptent au contexte vécu par l’usager. L’information ne s’interrompt jamais mais se transforme en interaction intime avec l’usager et l’environnement.

Filter Bubble : Au nom de la personnalisation, des algorithmes observent nos goûts et suggèrent de nouvelles « découvertes ». Nous entrons dans un renversement de la culture digitale : la fenêtre ouverte sur un monde à explorer devient un miroir de nos préférences. Nous voilà confortés dans nos idées et nos goûts, chacun ne voit que ce qu’il aime déjà et évite tout ce qui pourrait l’interpeller, le questionner, le stimuler. C’est à la conception des algorithmes de sélection de l’information qu’il faut réfléchir au sens (à la vision et à l’ambition) que portera cet algorithme. Après il est souvent trop tard ! Quelle expérience d’usage voulez-vous proposer à vos lecteurs-auditeurs ? quelle aventure pour servir quels objectifs ? Ce n’est pas affaire de technologies mais bien de décisions humaines qui interviennent au moment du codage !


8h30

En route vers le travail ! Dans le métro, Simon profite de son trajet pour visionner les photos de sa fête d’anniversaire du week-end dernier. Et pour une fois il est sur chaque cliché car Google Clips a su immortaliser pour lui les meilleurs moments !


Enjeux

Vers la décision Zéro : Google Clips choisit pour Simon quel moment mérite d’être immortalisé… La machine prend les commandes sans que l’humain n’ait son mot à dire ou n’ait besoin d’appuyer sur un bouton. Nous avons déjà commencé à troquer la « débrouille » personnelle contre un « assistanat » numérique. Jusqu’où déléguer nos décisions à des coachs normatifs ? Certes, on se simplifie la vie mais au risque du conformisme et du déclassement.

Imaginons demain que l’actualité, l’information soit aux mains des algorithmes (et de l’idéologie et des objectifs qu’ils embarquent) plutôt qu’entre les mains d’humains dont la diversité des points de vue garantit une forme de pluralité et de démocratie ?


9h00

En arrivant au bureau, un café dans une main, son smartphone dans l’autre, Simon ouvre les portes et déverrouille son ordinateur sans faire le moindre geste : il est identifié à distance et instantanément grâce à son oreillette NEC. En consultant sa boîte mail, il constate avec une satisfaction non dissimulée que Re:scam s’est chargé pour lui de trier ses messages et de le « venger » des tentatives de phishing en spammant les escrocs en retour. Quel temps gagné dans la sélection des messages importants et « certifiés conformes ».

Et l’IA de Simon est toujours à ses côtés, prête à l’aider ! Oui les équipes de journalistes sont composées d’hommes et de robots maintenant ! Simon a pu personnaliser son IA, son degré d’empathie, sa voix, le type de dialogue qu’il souhaitait (commandes gestuelles, cérébrales ou émotionnelles). C’est aussi lui qui a défini, en accord avec la rédaction du journal, quelle serait la répartition des rôles entre son IA et lui.


11h00

La conférence de rédaction se termine. Pendant que les robots-rédacteurs du journal se chargent de rédiger les brèves les plus factuelles, Simon s’attaque à son dossier du moment : une enquête sur l’abus de biens sociaux d’une grande entreprise française. Aidé dans sa recherche au milieu d’un dossier colossal par son IA (Rosie da Serenata), il recueille de multiples preuves pour étayer son article et pourra bientôt s’atteler à l’écriture. Simon laisse à son IA le soin de défricher le terrain avant de raffiner le matériau et de l’augmenter de sa créativité et de son regard un peu décalé ! Parce que Simon contrairement au code de sa machine, est un peu « fou » et coriace ! Un tandem de choc pour mener une investigation.


Enjeux

Disruption du métier de journaliste et production homme-machine de l’information : Les intelligences numériques deviennent de plus en plus productrices de contenus, quelle relation alors entre les humains-journalistes et elles ? Compétition ou collaboration ? Une coopération fructueuse pourrait voir les journalistes déléguer à la machine la production des contenus les plus basiques, pour mieux concentrer leur expertise et leur savoir-faire, leur « intelligence humaine » sur des sujets plus complexes, des idées plus riches, des angles plus créatifs… Les deux fonctionnant en symbiose pour proposer une profondeur d’information personnalisable selon l’intérêt du lecteur.

Dans ce couple Homme-Machine il convient de définir clairement quels sont les pouvoirs et responsabilités de chacun, quels sont les droits et les devoirs de chacun. Et au service de quoi celle collaboration se met-elle ? plus d’efficacité, de perspicacité, de productivité, de créativité ?


13h00

En chemin pour rejoindre son ami avec qui il déjeune, Simon reçoit une notification sur son smartphone : une dizaine de restaurants parisiens se sont faits épinglés pour avoir posté en masse de faux commentaires sur TripAdvisor. Les responsables ? Des restaurateurs aidés par Automated Crowdturfing, cette IA capable d’écrire de faux avis clients crédibles, em masse. Mais Simon n’est pas inquiet, son restaurant, il l’a choisi à partir des commentaires positifs publiés sur Revain, cette plateforme où les avis clients sont certifiés dans la blockchain.


15h00

Simon a rendez-vous avec un informateur pour son enquête. Il se connecte au réseau Wifi du café dans lequel il se trouve, sans crainte, car il sait que son smartphone le préviendrait d’un « pschitt » nauséabond en cas de connexion dangereuse grâce à son diffuseur Smell of Data intégré ! La vidéo de l’interview sera diffusée en live sur le site et les réseaux sociaux du journal. Simon le sait : plus la vidéo sera percutante, plus elle sera visible et relayée, plus son travail aura un impact. Aussi il n’hésite pas à pousser son interlocuteur dans ses retranchements pour obtenir « le » scoop qui suscitera buzz et likes…


Enjeux

Tyrannie du like et égo-actualité : Comment émerger dans le flot d’information quand produire un contenu de qualité ne suffit plus ? Le journaliste doit-il devenir marketeur de son propre contenu ? Et l’actualité c’est celle des autres et la sienne aussi. L’individu connecté est au cœur de son écosystème médiatique, pour son plaisir personnel et pour nourrir son influence et sa visibilité. Les media sont aussi un lieu d’échange et de co-création. L’un des premiers leviers est donc d’éditorialiser la vie des usagers. Selon quelle vision ? Avec quels objectifs ? Qui code cette égo-actualité et comment se diffuse-t-elle ?


17h00

Une fois l’interview terminée, Simon vérifie les tweets préparés par ses complices digitaux restés au bureau avant de les publier. En quittant le café, il checke son fil d’actualité Facebook. Ses contacts sont nombreux à partager le dernier buzz en date, une vidéo où un célèbre acteur semble proférer des insultes racistes lors d’une conversation filmée à la dérobée. Mais déformation professionnelle oblige, Simon vérifie tout de suite l’information sur le site Rootclaim qui l’avertit que tout ceci ne pourrait bien être qu’une énième fake news… Et pour cause, la vidéo a en fait été créée de toutes pièces par une IA et ses utilisateurs malveillants (Synthesizing Obama & Lyrebird) !


Enjeux

Fake news : Les mensonges et manipulations humaines sont aussi vieilles que le monde. Mais les fake news, de plus en plus le fait de robots, gagnent en puissance, en rapidité d’expansion et en non-contrôle… Allons-nous vers un ouragan de fake news robotisé ? En réaction, la tendance actuelle est de confier à des algorithmes le soin de combattre ces fake news. La machine logicielle se retrouve donc des deux côtés de cette guerre dans un combat machine-to-machine autour de la vérité. L’Humain va-t-il se retrouver exclu de la boucle ? Et qui aura programmé le logiciel menteur et le logiciel vérificateur ?


21h00

De retour chez lui et un peu stressé, ce soir Simon a besoin de se détendre. Son IA le sait et a choisi en fonction de son humeur la série dont il a besoin ! Reste à choisir entre la version à l’ancienne sur la Télé  en 2D ou la version immersive en Réalité Virtuelle ! Mais pas avant l’incontournable séquence publicitaire, personnalisée bien sûr grâce aux données de son profil Wysker.


23h00

Il est temps pour Simon d’aller dormir. Il checke une dernière fois ses réseaux sociaux. Il éclate de rire devant la vidéo que son meilleur ami lui a envoyée : surpris par une souris, un chat fait une pirouette des plus spectaculaires ! Et épuisé, il n’a même pas besoin de bouger le moindre pouce pour liker, Polygram s’en est chargé pour lui dès qu’il a détecté son rire. Simon peut alors s’endormir en paix… Avant de commencer la prochaine des 12 775 journées qui lui restent à vivre selon AI Mortality Predictor…!


Tout ça vous semble relever de la science-fiction ? Et pourtant ! Retrouvez toutes les innovations du Netexplo 100 édition 2018 sur Netexplo.org.

Par Sandrine Cathelat et Mathilde Hervieu de l’Observatoire Netexplo

 


Lire aussi :

Interview de Sandrine Cathelat, Directrice des Etudes de l’Observatoire Netexplo (février 2018)

La télé et les médias dans 10 ans, selon Bruno Patino (avril 2018)

tous nos articles sur le futur des médias

Article précédent

Les grandes orientations des études marketing en 10 points

Article suivant

« TV : la roue réinventée …», une tribune de The Wit

Vous pourriez également aimer...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.