Après Orléans, Toulouse, Lyon, Reims, Lille, c’est à Paris que nous avons rendez-vous aujourd’hui. Elles sont quinze cet après-midi à se succéder au premier étage de la boutique Yves Rocher située sur les Champs-Elysées. Pinceaux, houppettes et miroirs, le thème est donné. Se maquiller. Et pourtant. Ces gestes que certaines accomplissent machinalement restent pour d’autres un combat quotidien. En France, 1 personne sur 1 000 est non-voyante et 1 sur 100 est malvoyante*. Le premier atelier maquillage est né en 2013 d’une « idée commune » entre Yves Rocher et HandiCaPZéro. Cette association travaille à « apporter des solutions concrètes » aux personnes malvoyantes et non-voyantes. Il peut s’agir de créer une version audio d’un catalogue ou de mettre à disposition « des étiquettes en braille pour identifier les produits dans la salle de bain, par exemple différencier le shampoing du gel douche », explique Stéphanie Cuppini, de HandiCaPZéro. Cette fois, les participantes vont découvrir ou « réapprendre les bons gestes ». « Il peut s’agir de femmes qui ont perdu la vue et qui ont arrêté de se maquiller. Elles nous avouent parfois avoir peur de ressembler à des clowns », confie Stéphanie.

 

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© Barbara Neyman
 

« Je ne suis pas aveugle de naissance mais c’est un challenge de se maquiller sans se voir dans le miroir »

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Lynda et Soltana © Barbara Neyman

Lynda est venue avec son chien, Elias. Depuis sept ans, il partage son quotidien. Et chacun de ses pas. « Je suis de nature curieuse donc je voulais tester, et puis ça peut aider à être encore plus sûre de soi », confie la jeune femme de 26 ans. « Même si je connais les gestes… Je ne suis pas aveugle de naissance mais c’est un challenge de se maquiller sans se voir dans le miroir », poursuit-elle. « Je suis assez attachée à l’autonomie, c’est dans mon caractère », affirme cette étudiante en droit qui attend un petit garçon pour décembre. Face à elle, Soltana, la conseillère. Première étape : sonder les habitudes des participantes. Se maquillent-elles de temps en temps ? Jamais ? « Je mets juste du khôl sauf pour une occasion particulière, un entretien ou un mariage. Avec le fond de teint, j’ai peur qu’il y ait des démarcations donc j’évite », répond Lynda.

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Lynda © Barbara Neyman
 
Pourquoi ne pas tester une poudre alors ? « La boîte se présente ainsi », explique Soltana à Lynda, la déposant entre ses mains. « Vous pouvez l’ouvrir d’une pression. » Sans attendre, Lynda teste et découvre l’éponge pour appliquer le produit. « Je ne sais pas comment doser », reconnaît-elle. La conseillère lui conseille de « tapoter une fois » : « c’est naturel donc n’ayez pas peur d’en mettre trop ». L’idée est également de faire le plein d’astuces très pratiques. La poudre libre sera plus facile à appliquer que du fond de teint, par exemple. Le mascara, lui, donne des sueurs froides à pas mal de participantes. Lynda ne dira pas le contraire. « Le mascara ça me fait vraiment peur. » La conseillère lui propose un modèle très fin, plus « agréable » à appliquer. « Je vais vous faire un côté, et je vous laisserai faire l’autre ensuite ». A Lynda cette fois, de tenter l’expérience. « J’en ai mis partout. Ca bave trop, ça m’agace », rit-elle. Autre difficulté : la pose du crayon. « Je suis assez réticente », rappelle Lynda dans un sourire. Soltane lui conseille de le « tenir comme un stylo ». « Je suis assez près des cils ? Quel est mon repère pour être au bon endroit ? », interroge Lynda qui « essaye d’être attentive aux sensations ». Conclusion : « C’est compliqué, je ne sais pas si j’aurais assez confiance pour le faire toute seule… ça demande un peu d’entraînement », résume-t-elle. « J’ai bien aimé le côté pédagogique de cet atelier. Parfois, ce sont mes sœurs qui me maquillent ou ma belle-sœur qui est maquilleuse pro donc c’est forcément plus rapide ! Mais j’aime bien l’idée de maîtriser la technique même s’il faut avoir du temps devant soi », nous confiera-t-elle.
 

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© Barbara Neyman

« On peut vivre avec une déficience visuelle en France, il faut le dire ! »

Installée à quelques mètres de Lynda, une de ses amies, Ashley. « Habituellement, je me maquille un peu les yeux mais je ne vois pas trop les détails », explique la jeune femme de 26 ans à Sieglind, une autre esthéticienne. « Comme vous avez les yeux très foncés, on va partir sur une couleur nude sur les yeux et de la prune à la place du crayon noir, ça donne du peps », propose-t-elle. C’est parti pour le crayon à sourcils puis le fard à paupières. Chaque geste est expliqué, analysé, décortiqué. « Je veux bien essayer car je ne suis pas sûre du geste », confirme Ashley. Comment bien appliquer le fard sur la paupière ? Et surtout à quelle dose ? Tout est une question de répartition. « Je m’aperçois que je le faisais assez approximativement avant », constate Ashley. « Maintenant, je sais comment utiliser la poudre pour le teint aussi. »

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Sieglind et Ashley © Barbara Neyman
 
Verdict au bout d’une heure ? « Je me sens bien ! J’ai appris à maquiller autrement mes yeux et mon teint ». Ashley en est persuadée : « ça aide beaucoup sur la prise de confiance. C’est super ce type d’atelier, car on a tendance à infantiliser les personnes handicapées, même les médias qui souvent disent "oh la pauvre" quand ils abordent le sujet », rappelle-t-elle. « Moi, je ne dis pas que j’ai un handicap mais que je suis malvoyante. On peut vivre avec une déficience visuelle en France, il faut le dire ! » Depuis son enfance, son ordinateur c’est son allié. Elle peut ainsi suivre ses études de psychologie à la fac comme des milliers d’autres étudiantes. 

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Ashley © Barbara Neyman

« Rendre la beauté accessible à toutes les femmes »

« C’est une journée d’émotion. On rencontre des personnes qui nous étonnent, arrivent à faire des choses mieux que des voyants », livre de son côté Sieglind. « C’est important pour nous ces ateliers car cela fait partie de nos valeurs chez Yves Rocher : rendre la beauté accessible à toutes les femmes. Au niveau des équipes, cela donne du sens aussi. Il faut beaucoup oraliser, raconter, nous n’avons pas de barrière au niveau du discours et on dit aux conseillères et aux esthéticiennes d’y aller avec leur cœur ! », décrypte Valérie Santerre, en charge du développement responsable pour le marché Yves Rocher France. Elle raconte certaines femmes en larmes de se découvrir métamorphosées. Son meilleur souvenir ? « Une petite fille malvoyante de 6 ans, rencontrée à Orléans. « Nous avons été contactées par sa maman, et nous avons décidé de lui faire du sur mesure : on lui a mis du vernis flashy, des bijoux de peau. Voir l’émotion de ceux qui les accompagnent, c’est précieux aussi », poursuit-elle.

« Prenez-moi en photo ! », s’exclame en riant une autre participante.  Elle a « l’œil gauche qui ne voit plus ». « Mettre du mascara, ça fait peur mais on m’a appris des techniques. Il ne faut surtout pas trop bouger la tête ! », plaisante-t-elle. Fard à joues, à paupières, puis rouge à lèvres : elle est rayonnante. La jeune femme va mettre en application ce qu’elle a appris, et c’est elle qui le dit. « Ça va me donner envie de me maquiller au moins deux fois par semaine. Je n’ai pas dépassé ! », déclare celle, pas peu fière, qui se contentait bien souvent d’un peu de fond de teint et de gloss transparent auparavant. « Je me trouve belle, ça me va bien. Le maquillage,ça donne confiance en soi », poursuit-elle. « Je n’ai pas peur d’affronter le regard des autres », nous glisse-t-elle en partant. Et elle a bien raison.

*Source : OMS