Analyse

Accord sur le nucléaire iranien : les boîtes françaises font le deuil des deals

Après les menaces américaines de sanctions, Airbus, Total et Renault pourraient se trouver en sérieuse difficulté.
par Lilian Alemagna et Jean-Christophe Féraud
publié le 9 mai 2018 à 21h06

Ils étaient plus de 150 en septembre 2015 dans les bagages de Stéphane Le Foll, alors porte-parole du gouvernement, et Matthias Fekl, secrétaire d'Etat au Commerce extérieur. Des patrons français venus à Téhéran pour signer des contrats ou tâter le terrain iranien. Quelques mois plus tard, c'était le jackpot pour Airbus, Total, PSA ou Sanofi. «En deux ans, la France avait multiplié par trois son excédent commercial avec l'Iran», soupirait mercredi le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire. Les exportations françaises ont ainsi bondi d'à peine 500 millions d'euros en 2014 à 1,5 milliard en 2017.

Aujourd'hui, les espoirs français se prennent le mur de l'intransigeance américaine : l'administration Trump a menacé de «graves conséquences» tous «ceux qui font du business en Iran» et «n'auront pas renoncé à leurs activités» dans les cent quatre-vingts jours qui viennent (ou quatre-vingt-dix selon les secteurs). «On est en train de regarder, d'analyser, dit-on à Bercy, de voir comment nos entreprises pourront s'adapter.»

Le coup est particulièrement rude pour Airbus. En janvier 2016, l'avionneur avait annoncé une mégacommande iranienne portant sur plus d'une centaine d'appareils, dont le fameux A320neo. Raboté de moitié, à 10 milliards d'euros, après l'abandon d'une option sur des A380, ce contrat est désormais caduc, de l'avis d'un ex-cadre du groupe interrogé par Libé : «C'est no chance pour Airbus, impossible de vendre des avions embarquant des équipements américains contre l'avis des Américains, d'autant que tout se fait en dollars.» Airbus semble avoir fait le deuil du deal : «Nous analysons attentivement cette annonce et évaluerons les prochaines étapes […] dans le respect complet des sanctions et des règles de contrôle des exportations», a déclaré un porte-parole.

Total risque aussi de perdre très gros dans l'affaire. La major pétrolière française avait signé en juillet 2017 un accord pour exploiter le gisement de South Pars avec le chinois CNPC avec l'objectif de produire 400 000 barils par jour : un premier investissement de 1 milliard de dollars, sur 5 au total. Mais Total avait prévenu que l'avenir du deal dépendait de la position de Washington : «Si les sanctions sont de retour, nous devrons faire une demande de dérogation» pour rester, avait anticipé le PDG du groupe, Patrick Pouyanné, le 19 avril. «Dans une économie totalement dollarisée comme le pétrole, Total n'a pas d'autre choix que de mettre ses projets sur pause, analyse un expert du secteur. Mais Pouyanné va tout faire pour garder de bonnes relations avec les Iraniens en espérant un revirement géopolitique. Dans cette région, il ne faut jamais injurier l'avenir.»

Présent en Iran depuis des décennies avec 30 % du marché, PSA a peut-être moins à craindre : il ne vend pas de véhicules aux Etats-Unis. Mais Renault, qui a vendu 160 000 voitures en Iran l’an dernier, pourrait être touché : son allié Nissan pèse lourd outre-Atlantique. Bercy étudie minutieusement les directives du Trésor américain pour tenter de sauver des sanctions le business de l’automobile française en Iran.

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