De l'esclave à la négritude : une histoire du mot "Noir"

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De l'esclave à la négritude : une histoire du mot "Noir"

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Pantins, couple de Noirs, 1er quart du 20e siècle
Pantins, couple de Noirs, 1er quart du 20e siècle
- © Conservation des musées et expositions de sites du Parc naturel régional des V

Vidéo. En cette journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions, revenez en vidéo sur l'histoire de la désignation de "Noir" et ses usages depuis l'Antiquité ; un vocable qui forme avec le mot "Blanc" le revers d'un même fait colonial.

L'histoire de la désignation de "Noir" et de ses usages depuis l'Antiquité révèle des aléas dont le nœud se situe au paroxysme de la traite négrière, au XVIIe siècle. 

1/ Antiquité et Moyen Âge : le mot "noir" pour décrire les Africains    

Le mot "noir" vient du latin "niger" qui désigne sans connotation péjorative la couleur noire. Dans la Rome antique, les hommes noirs peuvent être symboles de richesse, de noblesse. Un noir peut avoir des qualités, être beau, être libre.  Le noir n’est alors qu’une couleur, qui s’oppose au blanc. 

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Au Moyen Âge, on parle de Maures, qui signifie "tête couleur de mûre", d’Africains ou d’Ethiopiens, des termes plus géographiques ou descriptifs que péjoratifs. L’image antique d’une Afrique sauvage, habitée par des hommes monstrueux, se développe cependant progressivement.  

Petit à petit, la connotation péjorative se construit : Blanc est synonyme de pureté, de virginité. Le christianisme renforce encore l’association entre noir et péché, mal absolu. "Le grand cavalier noir" désigne par exemple Satan. 

2/ Au XVIIe siècle : la traite négrière fait basculer le mot "noir" vers le mot "nègre"

A partir de 1650, avec la traite esclavagiste, le mot "noir" bascule vers le mot "nègre". "Noir" ne désigne plus une couleur, mais un statut social, tout en bas de l’échelle. Le mot "nègre", vient en France par le Portugal, au XVIe siècle. Les Africains vendus sur les côtes sont considérés comme du bétail de labeur. Le Noir ne désigne plus seulement un Africain, ni plus seulement une couleur. Le mot n'est que péjoratif : Blanc = maître ; Noir = esclave. 

L’économie sucrière et le système esclavagiste produisent une superposition entre "Noir", "nègre" et "esclave". L'expression "Travailler comme un nègre" signifie travailler comme un esclave d’origine africaine. Alors que l’économie sucrière décolle, en 1732, le mot "nègre", dans le dictionnaire, désigne "un esclave noir vendu sur le marché". En 1740, le mot "noir" entre dans le dictionnaire avec son synonyme nègre. 

3/ Au XVIIIe siècle : un terme de combat

Avec le mouvement en faveur de l’abolition de l’esclavage, "Noir" devient un terme de combat en se démarquant du mot "nègre". "Noir", avec une majuscule, est réintroduit pour dénoncer l’inhumanité de l’esclavage et pour décrire les populations en phase d’affranchissement. 

En 1804, les Haïtiens indépendants revendiquent qu’on les appelle Noirs et non plus nègres. Il ne désigne plus les populations d’Afrique, mais les anciens esclaves noirs des colonies américaines.

4/ Au XIXe siècle : un statut "scientifique"

Alors que l’Europe étend sa colonisation, l’infériorité du Noir est consacrée "scientifiquement". 

La couleur de peau détermine alors les aptitudes intellectuelles et morales. Etre noir ne se réduit pas aux ressemblances physiques, c’est une condition. Elle implique de porter les stigmates de l’Afrique vue par l'Europe, au cours des siècles.

5/ Au XXe siècle : le mot "Noir" pour désigner un phénotype

Au milieu du XXe siècle, l'intellectuel martiniquais Aimé Césaire se ressaisit du mot "nègre" en prenant en compte les connotations esclavagistes qu’il contient, pour le magnifier. Avec la "négritude", il veut montrer que le "Nègre" participe de la civilisation et de l’universel. 

Le mot "Noir" devient ainsi le symbole d’un stéréotype refusant aux Noirs la capacité de se définir eux-mêmes.