Tensions entre Iran et Israël : que font les forces iraniennes en Syrie ?

La tension est brusquement montée jeudi entre l’Iran et Israël en Syrie, où Téhéran est un allié du régime.

 Archives - Déploiement d’un missile iranien en 2012.
Archives - Déploiement d’un missile iranien en 2012. AMIN KHOROSHAHI/ISNA/AFP

    Comme redouté par de nombreux observateurs, la décision des Etats-Unis de se retirer de l'accord nucléaire iranien a fait l'office d'une déflagration dans la région du Levant. Considéré plus que jamais par Israël comme une menace, l'Iran est accusé d'avoir tiré depuis la Syrie une vingtaine de roquettes vers la partie du Golan occupée par Israël. C'est la première fois depuis le début en 2011 de la guerre en Syrie que l'Etat hébreu impute de telles frappes aux brigades iraniennes al-Qods. L'occasion de faire un point sur l'engagement iranien dans ce pays voisin d'Israël.

    Quelles sont les forces iraniennes présentes en Syrie ?

    L'Iran s'est engagé rapidement dans le conflit en Syrie, et des forces régulières y ont été déployées pour combattre Daesh. Mais ces artilleurs et parachutistes ne sont plus là-bas aujourd'hui. « L'Iran n'est plus en Syrie dans une optique de combat mais de dissuasion, et dans ces cas-là, ce ne sont pas les soldats de l'armée régulière qui sont envoyés », explique Pierre Razoux, directeur de recherches à l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire (IRSEM). A la place, la République islamique s'appuie sur ce qu'elle appelle pudiquement des « conseillers militaires », qui sont en fait des « Pasdarans », ces Gardiens de la Révolution évoluant en parallèle de l'armée régulière iranienne. Et plus spécifiquement les forces Al-Qods, brigades spécialisées dans les opérations à l'étranger. « Sur place, en ce moment, on peut trouver des experts balistiques, des experts en commandement, en communication, en renseignement… Ce sont eux qui contrôlent ce qui est lié à la force de dissuasion, comme les missiles balistiques », explique l'auteur de « La guerre Iran-Irak » (Tempus-2017).

    Combien sont-ils ?

    Pour Pierre Razoux, « on peut dire qu'ils sont de l'ordre du millier, mais personne ne peut avancer de chiffres précis car l'Iran compte également sur la présence des milices chiites en Syrie, ainsi que sur le Hezbollah en Syrie et au Liban ». Pour Karim Pakzad, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste du Moyen-Orient, on parle effectivement de « plusieurs centaines » d'individus.

    Pourquoi cette présence en Syrie ?

    Après avoir combattu pendant plusieurs années sur le territoire syrien pour chasser les groupes djihadistes, l'Iran, allié du régime d'Assad, veut récolter les fruits de son engagement. « Le régime syrien et ses alliés russe et iranien sont en train de reprendre tout le contrôle de la Syrie, et la victoire du Hezbollah libanais (principal allié de l'Iran, NDLR) la semaine dernière aux législatives ne peut que pousser Téhéran à continuer dans ce sens », explique Pierre Razoux. A plus long terme, selon l'expert, l'Iran cherche à « sécuriser un corridor terrestre pour permettre de joindre l'Iran au Liban et à la Méditerranée afin d'exporter son gaz et son pétrole vers l'Europe ». Pour autant, selon Karim Pakzad, Téhéran se doute bien « qu'il ne pourra pas garder indéfiniment ses troupes dans cette région voisine d'Israël ». L'objectif à moyen terme serait donc de rester en Syrie le temps de garantir une gouvernance favorable aux intérêts iraniens…

    Les positions des forces iraniennes sont-elles connues en Syrie ?

    Karim Pakzad est catégorique : la localisation des forces iraniennes est connue de tous les services de renseignement. L'Etat hébreu a assuré ce jeudi avoir touché en représailles toutes les installations iraniennes en Syrie.

    Constituent-elles une véritable menace pour Israël ?

    L'Iran promettant régulièrement de détruire Israël, sa présence militaire en Syrie a légitimement de quoi inquiéter l'Etat hébreu, voisin du régime de Damas. Mais pour Karim Pakzad, l'essentiel n'est pas là : « Quelques centaines de soldats et quelques missiles, ce n'est rien à côté de l'armada israélienne, mais ça valide le point de vue israélien », explique le chercheur : « La politique de défense d'Israël a toujours été basée sur un élément fondamental : faire comprendre au monde que sa sécurité est menacée », précise-t-il. Donc quand l'Iran lui tire dessus, « Israël est confortée dans sa doctrine ».

    Qui est responsable de l'escalade actuelle ?

    Il est évidemment compliqué de répondre à cette question sans tomber dans le simplisme mais la justification des « représailles » israéliennes ce jeudi peut être mise à mal. Le 8 mai au soir, dans la foulée de l'annonce par Donald Trump du retrait américain, une frappe israélienne a visé un dépôt d'armes des Pasdarans. « Cette frappe était totalement symbolique, elle ne répondait pas à une agression, Israël n'a même pas pris la peine de la justifier, explique Karim Pakzad, alors même que Téhéran avait prévenu qu'il répondrait à toute attaque ». Au final, selon le chercheur, c'est Donald Trump qui a appuyé sur le détonateur, en toute connaissance de cause : « il a sciemment choisi de contribuer à la montée des tensions » entre Israël et l'Iran.

    Y a-t-il un véritable risque de guerre ?

    « Il y a plusieurs conflits en cours sur le territoire syrien, et l'un d'entre eux est l'épreuve de force que se livrent Iran et Israël, explique Karim Pakzad. Si la tension ne retombe pas, les autres forces en présence, le régime syrien, le Hezbollah libanais, les force irakiennes ne tarderont pas selon lui à être impliquées ». Ça peut vraiment « mettre la région à feu et à sang », craint l'expert. Mais pour l'heure, le stade de non-retour ne semble pas atteint. « Israël et l'Iran sont une dans une stratégie de gesticulation militaire, chacun montre à l'autre quelle ligne rouge ne pas franchir, estime Pierre Razoux. Il s'agit pour les deux pays de montrer leur force pour pouvoir ensuite être crédible dans la discussion. »