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« 2001 » ou l'histoire d'une fin sans fin

Le monument de Stanley Kubrick fêtera ses 50 ans au Festival de Cannes. Voilà donc un demi-siècle que l'on s'interroge sur une fin mythique: une chambre, un monolithe noir et un foetus astral qui n'en finissent pas d'inspirer, de fasciner ou d'agacer.

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Par Adrien Gombeaud

Publié le 11 mai 2018 à 01:01

Parmi les premiers spectateurs de 2001 : l'Odyssée de l'espace, beaucoup n'ont jamais vu la fin. Ils furent 241 à quitter l'avant-première en pleine projection, dont Rock Hudson qui s'exclama exaspéré: «Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel?» Tout simplement l'histoire de l'univers...

Le film s'ouvre à «l'aube de l'humanité», quand nos ancêtres préhistoriques découvrent un monolithe noir. Peu après, le chef d'une tribu s'empare d'un fémur qu'il emploie comme une arme pour terrasser ses rivaux. Dans un geste de victoire et sur la partition d'Ainsi parlait Zarathoustra, de Richard Strauss, il lance l'os vers le ciel qui, dans un raccord stupéfiant, se transforme en navette spatiale. À bord, un diplomate voyage vers la Lune où l'on a découvert un monolithe. Dix-huit mois plus tard, cinq astronautes et l'ordinateur HAL se dirigent vers Jupiter. Quand les explorateurs évoquent la possibilité de le désactiver, l'ordinateur entreprend de les exterminer. Seul survivant, le commandant Bowman poursuit sa mission, croise le monolithe, plonge dans un tunnel interstellaire et atterrit dans une chambre de style régence. Il y franchira trois stades de sa vie, jusqu'à son lit de mort, face à l'énigme du monolithe. Enfin, un foetus flotte dans le cosmos, observant la Terre... et le spectateur aussi ébloui que désemparé. En un demi-siècle, 2001 : l'Odyssée de l'espace va générer une vaste littérature qui tentera plus ou moins de répondre à la question que posait Rock Hudson un soir de 1968.

Les exégètes s'attardent volontiers sur les premières minutes mais s'aventurent avec plus de prudence dans la chambre de l'épilogue. «Une idée originale? Pas vraiment, s'agace le critique de Newsweek à la sortie. Il y a des années, Ray Bradbury a déjà raconté l'histoire de gens qui trouvent une ville de l'Indiana sur Mars.» La plume tranchante du New Yorker Pauline Kael pourfend le «manque d'imagination» du cinéaste. Au fil des années, plus le culte grandit, plus Kael trépigne. En 1977, elle profite d'un article sur Rencontre du troisième type de Spielberg pour revenir à la charge. Kubrick «aurait pu se contenter de déclarer: «Ce que j'ai vu de l'avenir me donne envie de dormir»». En 1980, à la sortie de Shining, elle poursuit: «Kubrick a réussi à esquiver les implications de sa propre sottise en donnant à «2001» sa fin utopique et technologique - par la grâce de la science, l'homme était réincarné sous forme de foetus angélique interplanétaire.»

sur la piste des extraterrestres

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L'idée du foetus en orbite n'est pourtant pas de Stanley Kubrick mais de son coscénariste, le romancier Arthur C. Clarke. Il est dès lors tentant de décrypter le film à partir du roman (du même titre) qu'il a écrit parallèlement au scénario. À la dernière page, «l'enfant des étoiles» fait exploser les armes nucléaires de la Terre et se retrouve maître d'un monde à reconstruire. Ayant déjà conclu Dr Folamour sur une explosion, Kubrick préfère écarter cette fin, qui n'appartient qu'au livre. Le roman nous conduit sur la piste des extraterrestres. Dès l'avant-propos, Clarke annonce qu'il relate une future rencontre avec d'autres formes de vie. Kubrick avait fait dessiner plusieurs croquis d'aliens... avant d'abandonner l'idée. Si les extraterrestres n'apparaissent pas à l'écran, peut-être n'en sont-ils pas moins présents. Cependant faut-il vraiment chercher la clé du film dans un roman qui a sa propre autonomie? Surtout, ne vaut-il pas mieux voir dans la fin de 2001 une allégorie plus qu'un simple dénouement?

Dans son livre de référence, Kubrick (éd. Calmann-Lévy), Michel Ciment écrit: «L'homme dépasse le stade animal par le moyen de la technologie, il atteint le stade de surhomme en se délivrant de cette même technologie.» Une explication qui a le mérite d'être concise. Au xxie siècle, un certain Jay Weidner veut démontrer que Kubrick a non seulement mis en scène 2001, mais aussi les premiers pas de l'homme sur la Lune pour le compte de la Nasa. Il consacre un documentaire au film de Kubrick qu'il décortique avec une méticulosité maniaque. Dans la dernière séquence de 2001, il compte 64 carrés lumineux sur le sol, comme les 64 cases d'un échiquier, comme les 64 codons du code génétique, comme les 64 hexagrammes du Yi King... L'exercice est fascinant car il prouve que la fin de 2001... n'a pas de fin.

Du LSD, Mr Kubrick?

Pour certains, 2001 est plus un «trip» qu'une «odyssée». À la sortie, un journaliste de Playboy interroge le cinéaste: a-t-il consommé du LSD? Non, répond Kubrick, un créateur cherche la transcendance dans son art et «les drogues sont plus utiles aux spectateurs qu'aux artistes». L'auteur refuse cependant de donner un sens précis à son oeuvre: «S'intéresserait-on encore à la Joconde si Léonard de Vinci avait expliqué ce qui la fait sourire?» Il avait d'ailleurs envisagé puis écarté la possibilité d'une voix off explicative. «Les interprétations proposées (il y en a eu des foules) rebondissent toutes telles des balles de ping-pong, sur la surface impénétrable de l'énigmatique monolithe qui est un des héros du film: une dalle verticale toute noire qui est l'inverse d'un miroir puisqu'elle ne reflète rien du tout», écrit Michel Chion dans son essai Les Films de science-fiction (éd. Cahiers du cinéma). Ce mystère insolent donnera lieu à quelques-uns des plus beaux passages de l'histoire de la critique. Pour Philippe Fraisse, dans Le Cinéma au bord du monde (éd. Gallimard), Kubrick aurait composé la symphonie de la vie même: «Si on y fait un peu attention, on entend dans «2001» la musique de la vie intra-utérine, quand Dave Bowman est au-delà de l'infini, c'est-à-dire quand il vit dans une chambre utérine la métamorphose qui précède sa renaissance.» Et l'essayiste de conclure: «Contemporain d'un siècle de désastres, l'artisan Kubrick n'ambitionne rien de moins que nous redonner le paradis carmin des mélodies utérines.»

La lycéenne qui a tout compris

Margaret Stackhouse était une lycéenne du New Jersey. Elle avait 15 ans lors de la sortie de 2001, et décida d'en faire le thème d'une dissertation. Dans ce devoir, elle expose un faisceau d'explications et de questionnements, soigneusement ordonné. Elle détaille deux épilogues possibles en se gardant d'en choisir un. «Que le film soit très pessimiste ou optimiste dépend de la réponse à cette question: l'homme à la fin représente-t-il juste notre «cycle» ou tous les «cycles» pour l'éternité?» Son professeur envoya la copie à Stanley Kubrick, qui déclara à l'écrivain Jerome Agel: «Les réflexions de Margaret Stackhouse sur le film sont sans doute les plus intelligentes que j'ai lues à ce jour, en disant cela, je tiens compte de tous les articles parus ainsi que des centaines de lettres que j'ai reçues.» Kubrick est mort en 1999 dans son manoir de Grande-Bretagne. Dans ses derniers instants, peut-être a-t-il vu se dresser un grand monolithe noir. Et dans sa barbe hirsute on devinait, qui sait, le sourire de Mona Lisa.

Par Adrien Gombeaud

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