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Chez les Gomis, on est gardiens de but de père en fils

Trois frères de cette famille d’origine sénégalaise installée en Italie évoluent dans différentes divisions du championnat transalpin.

Par Romuald Gadegbeku

Publié le 11 mai 2018 à 11h40, modifié le 11 mai 2018 à 11h40

Temps de Lecture 4 min.

Alfred Gomis, lors d’un sauvetage sur sa ligne le 25 octobre 2017, à Turin.

Il y a trente ans, Charles Gomis est arrivé à Coni, en Italie, avec un objectif déterminé. Celui d’être le dernier rempart d’une équipe de football. En réalité, il gagnerait bien sa vie grâce à ses mains, mais en goudronnant les routes de la cité piémontaise. En revanche, ses fils Lys (28 ans), Alfred (24 ans) et Maurice (20 ans) sont aujourd’hui gardiens de but. Chaque week-end, ils jouent au plus haut niveau ou s’en rapprochent. L’aîné évolue à Paganese, en Serie C, le plus jeune à la Nocerina, en Serie D. Le cadet, lui, est doublure à la SPAL Ferrara, en Serie A. Il devrait se déplacer à Turin pour le match du dimanche 13 mai contre le Torino.

En 1996, Lys a 7 ans lorsqu’il quitte Ziguinchor, en Casamance, avec son petit frère Alfred et sa mère pour rejoindre son père. Maurice naît l’année suivante. « Notre père a joué gardien au Sénégal, un temps en Autriche, et il a même fait un essai à Naples, raconte ce dernier. Pour lui, ce n’était pas une histoire de don ou de destin. Il nous a appris le travail et le respect. Il nous a dit aussi qu’ici, en Italie, on ne nous donnerait rien. »

Le patriarche n’est plus là. Il s’est éteint en 2016, à 51 ans. L’héritage qu’il a laissé : sa passion pour le poste de gardien de but, mais aussi une éducation, des valeurs humaines. Car Charles Gomis, qui aida les premiers migrants sénégalais à s’installer dans la région, était un modèle. A la mairie de Coni, une plaque commémorative lui rend hommage. « Il avait fondé Manko, une association pour résoudre les problèmes de la communauté sénégalaise, aider pour les permis de séjour et pour tout autre document, en collaborant avec la mairie », explique Lys.

Premier gardien africain en Serie A

« Il ne nous a jamais forcés à jouer. Il voulait juste que nous soyons heureux, peu importe le domaine », se souvient Lys. « Sa passion nous a influencés », affirme en revanche Maurice, qui précise : « Ses idoles étaient Dino Zoff et Thomas N’Kono. »

Si les trois frères ont fait leurs classes au Torino, seul l’aîné a pu goûter aux joies de l’équipe première. En entrant en jeu sous les couleurs du « Toro », le 30 novembre 2013, il est devenu le premier gardien africain à évoluer en Serie A. Vivre son rêve à travers son fils fut une émotion particulière pour Charles. « L’appel est venu à minuit ; ma femme, Anne-Marie, et moi l’attendions. Lys était au septième ciel ! Ce moment, c’est ce que je leur ai enseigné : le travail. Je dois remercier le Torino de prendre soin de mes enfants », déclarait-il alors dans Tuttosport, un quotidien sportif transalpin.

Depuis, Lys Gomis est devenu international sénégalais (quatre sélections), comme son frère Alfred (une sélection) – « le plus talentueux » selon lui. Percer au haut niveau offre parfois un choix difficile lorsqu’on a deux nationalités, deux cultures. Il y a la dimension sportive, mais pas seulement.

« Tu es Noir, pas Italien… », c’est l’antienne, accompagnée de cris de singes, qu’a souvent entendue Mario Balotelli lorsqu’il foulait les terrains de Serie A. Moins connus et moins excentriques que l’attaquant transalpin, qui joue actuellement à l’OGC Nice, les frères Gomis ont aussi fait face au racisme.

En 2013, Alfred Gomis, lors de son passage au FC Crotone, dénonçait par un tweet les cris simiesques des supporters de Bari. Même chose pour Maurice, lors d’une défaite avec les Molossi de Nocera en novembre. « Aujourd’hui, j’ai [été la cible] de nombreux cris racistes lorsque je touchais le ballon. Ma question est : pourquoi ? Quelle est ma différence avec les autres ? Pourquoi devrais-je être touché par ça ? L’ignorance n’a aucune limite », a-t-il réagi sur les réseaux sociaux après le match.

« Je découvre mes liens avec le Sénégal »

Né à Coni, Maurice a obtenu son passeport italien à 18 ans. Il a ensuite porté le maillot de la sélection italienne des moins de 20 ans de Luigi di Biagio, avant de dire oui aux Lionceaux de la Teranga. « Ça m’ennuie qu’il y ait encore des gens dans la rue ou dans les bars qui puissent s’opposer au fait que nous soyons italiens. Maintenant je découvre mes liens avec le Sénégal, mais j’ai étudié ici, j’habite ici, je respire ici », explique le jeune gardien.

Lys a participé à la Coupe d’Afrique des nations en 2015 sur le banc, spectateur de l’échec des Lions, éliminés dès le premier tour. Alfred a, lui, de bonnes chances de figurer dans le groupe d’Aliou Cissé qui s’envolera disputer le Mondial en Russie, du 14 juin au 15 juillet. Pour lui, la sélection sénégalaise s’est présentée comme une opportunité sportive bien plus accessible que la Squadra Azzura, mais aussi comme une manière de se reconnecter au pays de son père et de rendre hommage à ce dernier. L’histoire aurait probablement été différente si les frères avaient été des piliers de Serie A…

Dans les années qui viennent, il y a aura toujours un Gomis prêt à garder la cage des Lions. Parce que derrière les trois colosses se cache David, le dernier-né de la fratrie. Il a 12 ans et porte le numéro 1 dans le dos.

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