Certains rêvent de berlines avec chauffeur. Eux préfèrent les mobylettes. Le 26 mai, le Lot accueillera une étape du Grand Prix Meule bleue, une compétition décontractée où des chefs d'entreprises et leurs équipes enfourchent des cyclomoteurs vintage pour resserrer les liens. Député Les Républicains (LR) du département, Aurélien Pradié a convaincu ses amis et collègues Ian Boucard (Territoire de Belfort), Pierre-Henri Dumont (Pas-de-Calais) et Jean-François Parigi (Seine-et-Marne) d'y participer. Leurs collaborateurs parlementaires sont également conviés. "Chacun d'entre nous sera sponsorisé [pour régler les frais de participation] et nous verserons le surplus d'argent récolté à une association de lutte contre le handicap", précise le Lotois.

Des députés au grand coeur ? Jusque-là, la jeune garde LR à l'Assemblée nationale jouissait plutôt d'une réputation de grandes gueules. Chaque semaine, avec ses camarades Pierre Cordier (Ardennes) ou Thibaut Bazin (Meurthe-et-Moselle), Aurélien Pradié, 32 ans, prend un malin plaisir à "bordéliser" les séances de questions au gouvernement. Il interpelle ministres et orateurs à voix haute et fait claquer son pupitre en signe de réprobation. En novembre, le président de l'Assemblée, François de Rugy, convoque le turbulent pour le sermonner. Sans aucun résultat...

Comme les Toubon et Madelin de 1981

Le 18 avril, lors d'une séance de nuit consacrée au projet de loi asile-immigration, Pierre-Henri Dumont, 30 ans, et Fabien di Filippo (31 ans, Moselle) provoquent la fureur de Jacqueline Gourault, la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Intérieur. Au micro, les compères réitèrent inlassablement la même question : existe-t-il un plan caché de régularisation de migrants ?

La représentante du gouvernement louvoie, sans jamais répondre. Mais craque la première. Excédée, elle apostrophe le président du groupe LR, Christian Jacob, présent dans l'hémicycle. "Qu'est-ce que c'est que ces méthodes ?" tempête l'ex-sénatrice MoDem. Elle est prestement renvoyée dans les cordes. "Le gouvernement est responsable devant le Parlement, pas l'inverse", lui répond le chef des Républicains.

La vidéo fait la joie des réseaux sociaux. La majorité peut bien hurler au manque de courtoisie, le duo Dumont-di Filippo marque le point. Et s'attire les compliments de ses aînés. "Ils ont poussé Gourault dans ses retranchements, se réjouit un proche de Laurent Wauquiez, le président de LR. Ça m'a rappelé le harcèlement des Toubon et Madelin contre le pouvoir socialiste entre 1981 et 1984."

Christian Jacob "les adore"

L'analogie n'est pas fortuite. Comme après la victoire de François Mitterrand, la droite est en miettes. L'élection en juin 2017 d'une nouvelle génération LR à l'Assemblée est la seule bonne nouvelle enregistrée ces derniers mois. Conséquence du non-cumul des mandats et de la déroute Fillon, le groupe a été profondément renouvelé : près de la moitié de ses 102 membres sont des néodéputés. Parmi eux, les trentenaires se distinguent rapidement. Souvent élus des zones rurales et populaires, ils ont, pour la plupart, un long passé militant derrière eux. Plusieurs ont conquis des municipalités en 2014, voire des cantons en 2015.

Assidus à l'Assemblée, ils ne rechignent pas devant le travail forcément ingrat d'un député de l'opposition. Pour le plus grand bonheur de leur président de groupe, Christian Jacob. "Je les adore", dit-il. Lors des débats sur la loi asile-immigration, Pierre-Henri Dumont est intervenu à 150 reprises et a rédigé 25 amendements. En pure perte. "Les questions régaliennes sont le point faible d'Emmanuel Macron. Il était donc important pour la droite d'être très bruyante sur ce texte", note l'élu du Calaisis.

"Impertinents et combatifs"

Bûcheurs mais libres. Comme plusieurs autres jeunes députés LR, Dumont n'a pas hésité à s'abstenir sur le projet de loi ferroviaire, quand la consigne du groupe était de voter pour. "Cette jeune génération n'est pas composée d'héritiers. Ils ont réussi sans l'aide du parti, taillé leur place au couteau et résisté au tsunami En Marche. Cela les conforte dans leur côté flibustier", note la députée REM de l'Essonne, Marie Guévenoux, ancienne secrétaire nationale à la jeunesse de l'UMP. Elu LR du Vaucluse, Julien Aubert, qui lui aussi a fait partie d'un groupe de turbulents, les Cadets Bourbon, regarde cette relève avec bienveillance : "Ils sont impertinents et combatifs, la droite en a drôlement besoin !"

La castagne, les nouveaux venus adorent ça. "Quand il faut mettre les gants de boxe, je passe rarement mon tour", admet Fabien di Filippo. Les débats en séance sont leur ring favori. "Eloquents et pas du tout inhibés, ils sont doués pour l'aspect théâtral de l'exercice. Pour le meilleur et pour le pire", concède Marie Guévenoux. Chacun cultive son style. Trublion revendiqué, Aurélien Pradié ne résiste jamais à une bonne provocation pour réveiller des échanges trop "aseptisés" à son goût. "Mais sans jamais dépasser les limites du respect", précise-t-il. Qu'importe, son comportement agace la majorité. Le 6 décembre, le secrétaire d'Etat chargé des Relations avec le Parlement, Christophe Castaner, a lui-même organisé la bronca lorsque le député LR du Lot a posé une question orale au Premier ministre, Edouard Philippe.

Fabien di Filippo, lui, préfère repérer une faille et l'attaquer ad nauseam. "Tout en rudesse idéologique", dixit un collègue LR, le député de Moselle a intégré en décembre l'équipe de direction des Républicains, comme secrétaire général adjoint responsable des adhésions. "C'est mon préféré chez les Républicains", dit de lui Marine Le Pen, citée par L'Opinion. "Marine échangerait volontiers un di Filippo contre une Emmanuelle Ménard", note un proche de la présidente du Front national.

Fan de rap

Le courant passe nettement moins bien avec les élus La République en marche. Ainsi, Aurélien Pradié n'a guère goûté la boum organisée en novembre par quelques députés marcheurs, un soir de vote du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. "Je ne supporte pas davantage de voir certains se restaurer dans l'Hémicycle, ce qui est d'ailleurs interdit", glisse le Lotois, sourcilleux de l'image de l'Assemblée. Il exècre tout autant "l'arrogance" de la phalange de jeunes élus proches de l'Élysée, menée par Sacha Houlié et Pierre Person. "Ils se rêvent déjà tous ministres... ", grince-t-il.

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Au Palais-Bourbon, Aurélien Pradié a pour voisins de bureaux Pierre-Henri Dumont et Ian Boucard. Ce dernier note : "Ce couloir, personne n'en voulait. On s'y est installé et ces locaux ont créé un bon esprit entre nous." L'ambiance y est parfois potache. Fan de Booba et de rap américain, Dumont monte régulièrement le son. "Il nous casse les oreilles avec sa musique", sourit Pradié, sans lui en tenir rigueur. Lui-même professe une ligne de conduite : "Restons légers !" Un mantra inspiré d'un slogan publicitaire pour les biscuits Mikado.