Mamy Ravatomanga

"Mamy" Ravatomanga, influent homme d'affaires malgache.

(www.madagate.org)

Une suspicion de trafic de bois de rose, des soupçons de détournement de fonds au détriment de la compagnie nationale d'eau et d'électricité de Madagascar, des montages offshore, des SCI en pagaille et, finalement, une boîte aux lettres dans le hall d'un immeuble dont l'adresse apparaît dans les affaires judiciaires du couple Balkany.... Voilà les ingrédients d'une sulfureuse histoire née bien loin de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), dans l'océan Indien: l'affaire Ravatomanga, du nom d'un puissant homme d'affaires malgache dont le succès défraie la chronique depuis une bonne dizaine d'années.

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Pour Maminiaina Ravatomanga, qui se fait sobrement surnommer "Mamy", L'Express le révèle, les gros ennuis débutent un matin de février 2016, alors qu'un dossier à son nom atterrit au 5, rue des Italiens, à Paris, entre les mains des magistrats du redouté Parquet national financier (PNF), qui ouvre immédiatement une enquête préliminaire pour "blanchiment en bande organisée" et "fraudes fiscales".

Au coeur du pouvoir malgache

L'homme, qui porte beau, et dont les affaires prospèrent avec insolence au large de l'Afrique et dans les paradis fiscaux, est loin d'être un inconnu. En 2017, ce multimilliardaire est présenté par le magazine Forbes comme l'une des dix plus grosses fortunes de Madagascar; il est à la tête du groupe Sodiat, un conglomérat qui se consacre au transport, à la presse, à l'hôtellerie, au tourisme, à la santé ou encore à l'import-export. Mais Ravatomanga est aussi un habitué des cercles de pouvoir sur l'île. Il est, de notoriété publique, un très proche conseiller d'Andry Rajoelina, ancien président de la Haute Autorité de la transition de Madagascar, entre 2009 et 2014, et candidat à la prochaine présidentielle, qui devrait se tenir à la fin de l'année.

Mamy n'est pas non plus inconnu de la justice locale, où son business, qui pose parfois question, lui a valu de faire l'objet de différentes procédures, et notamment d'une enquête poussée du Bureau indépendant anticorruption, sur des soupçons de détournement de fonds publics. Au printemps 2016, son nom a par ailleurs surgi à la faveur des "Panama papers", qui le font apparaître comme actionnaire d'une société offshore enregistrée aux îles Vierges, britanniques.

Ce sont des investissements en banlieue parisienne qui lui valent en cette fin d'hiver 2016 d'attirer l'attention des magistrats du PNF. Cinq ans plus tôt, en 2011, Mamy s'est porté acquéreur, en toute discrétion, de quatre biens immobiliers à la périphérie de la capitale. Selon des documents que nous avons pu consulter, le montant total de ces investissements dépasse 4,5 millions d'euros. Premier problème, la justice se demande si Ravatomanga ne se serait pas dispensé de toute déclaration d'impôt sur la fortune, alors que même les non-résidents étrangers sont assujettis en France à l'ISF (devenu depuis 2018 l'impôt sur la fortune immobilière, ou IFI), quand leur patrimoine dépasse le seuil plancher, fixé à 1,3 million d'euros.

Soupçons de détournement de fonds publics

Mais, ce qui alarme le PNF, ce n'est pas seulement la légèreté fiscale dont Mamy Ravatomanga aurait pu faire preuve, c'est aussi et surtout la provenance des fonds qui lui auront permis de réaliser ces opérations. Paradoxalement, notent les enquêteurs, les comptes bancaires de Ravatomanga en France, pas plus que ceux des SCI au nom desquelles sont enregistrés les appartements, toutes gérées par sa femme, ne laissent apparaître le moindre mouvement qui justifierait ces acquisitions immobilières. Les premières investigations, menées par l'Office central de répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), mettent au contraire au jour un montage particulièrement compliqué, qui mêle société civiles immobilières françaises, offshores mauriciennes et comptes bancaires exotiques, notamment monégasques. Les enquêteurs cherchent à démonter ce système afin de dénicher, ou non, d'éventuelles infractions.

Les langues se sont déliées du côté d'Antananarivo et les premiers témoignages recueillis - comme celui d'une personnalité malgache... - orientent également les policiers vers des soupçons de "détournement de fonds publics, corruption, recel et blanchiment", au détriment notamment de la compagnie nationale locale d'eau et d'électricité, Jirama: Mamy Ravatomanga a siégé au sein de son conseil d'administration au moins jusqu'en 2014. Ils font également ressortir des suspicions de trafic de bois de rose [du bois précieux dont, à Madagascar, l'exportation est strictement réglementée] à destination de la Chine, dont Ravatomanga s'est toujours défendu, grâce à un système de dérogations d'Etat et, encore une fois, un enchevêtrement de sociétés offshore.

Perquisitions à Madagascar

Autant de pistes d'enquête qui conduisent les magistrats à adresser, à la fin du mois de juin 2017, une demande d'entraide judiciaire aux autorités malgaches. Objectif : tenter d'éclairer la situation de l'homme d'affaires ou de ses sociétés, et obtenir des réponses aux nombreuses questions qui se posent. Mais il semble que l'administration malgache n'avait connaissance ni de la provenance des fonds engagés dans les opérations immobilières françaises de Ravatomanga ni de leur destination, avant d'être alertée par la France.

Selon nos informations, s'il a été perquisitionné à Madagascar en août 2017, le patron de Sodiat n'a en revanche toujours pas été entendu dans ce dossier. Mais l'affaire ne devrait pas en rester là. La compagnie nationale Jirama, qui a eu connaissance de l'enquête ouverte à Paris, a d'ores et déjà pris contact avec l'avocat William Bourdon, auprès duquel elle "étudie ses options judiciaires", dit-il. Une prise de contact avec un ténor du barreau, dans l'attente de l'ouverture éventuelle d'une information judiciaire au PNF, qui pourrait déboucher à terme sur un dépôt de plainte avec constitution de partie civile. Contacté par L'Express, l'avocat malgache de Ravatomanga, Philippe Disaine Rakotondramboahova, se borne à assurer que "par respect du secret de l'instruction" lui et son client "ne souhaitent pas faire de commentaires pour le moment".

Le 83, rue Danton et l'ombre des Balkany

L'affaire pourrait se résumer à un dossier somme toute assez classique, celui concernant de possibles "biens mal acquis" appartenant à un richissime businessman proche du pouvoir à Madagascar, l'un des pays les plus pauvres de la planète. Mais l'adresse des trois appartements acquis à Levallois-Perret lui donne une coloration particulière et... étonnante. Ces achats immobiliers ont été réalisés dans un immeuble pas encore sorti de terre en 2011, mais qui une fois construit s'est trouvé au coeur d'opérations qui ont intrigué le juge Renaud Van Ruymbeke, chargé d'une autre enquête : celle portant sur Patrick Balkany.

Cet ensemble immobilier, bâti sur un ancien terrain de la ville, est situé au 83, rue Danton, et donne également par des portes distinctes sur les rues Kléber et villa Chaptal. Il a fait l'objet d'un Complément d'enquête diffusé sur France 2 en juin 2015. Le documentaire suggérait "une sous-évaluation volontaire du terrain à bâtir cédé par la mairie de Levallois, un schéma d'intermédiaires opaque, un problème de mètres carrés fantômes au moment de la livraison du chantier", résume pour L'Express Sébastien Blanc, un homme depuis longtemps en croisade contre le système Balkany et secrétaire général de l'association des contribuables de la ville.

Son enquête et celle de France 2 révèlent un présumé "système de rétro-commissions" dont les époux Balkany auraient été bénéficiaires. Dans le viseur du juge, un intermédiaire entre le promoteur immobilier acquéreur et la ville, la société ATK, dont un dirigeant est soupçonné d'avoir versé des fonds à destination notamment d'une société au Liechtenstein appartenant aux Balkany. Si le promoteur a été placé sous le statut de témoin assisté, les élus levalloisiens n'ont pas été poursuivis sur ce point, confirme leur avocat, Grégoire Lafarge.

Le même notaire

Dans la même veine, et pour revenir aux déboires de Mamy Ravatomanga, il s'avère que le notaire qui s'est chargé de la vente des trois appartements de Levallois (et d'un pavillon à Saint-Maur-des-Fossés, dans le Val-de-Marne) de l'homme d'affaires malgache n'est pas non plus un inconnu. "Strock et associés est le notaire habituel des opérations immobilières de Levallois", explique Sébastien Blanc. "Des opérations réalisées par l'intermédiaire de la Semarelp", la bétonneuse du maire, autrement dit la société d'économie mixte qui gère le patrimoine privé de la ville et dont la gestion est au coeur des affaires qui collent aux basques du couple d'édiles.

Avoir acheté des appartements dans le fameux immeuble ne rend pas Ravatomanga, en l'état actuel de l'enquête, complice des opérations qui ont précédé sa construction. Mais le fait intrigue... Suffisamment en tout cas pour assombrir encore l'horizon plus si rose de l'homme d'affaires amateur de bois malgache.

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