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Cinquante ans après avoir débarqué pour interrompre le festival en s'accrochant aux rideaux, Jean-Luc Godard n'est pas sur le tapis rouge de Cannes. Mais son esprit rôde sur la Croisette. Il y a d'abord l'affiche de cette 71e édition, placardée sur le Palais du Festival et partout en ville. Elle représente le baiser entre Jean-Paul Belmondo et Anna Karina, dans Pierrot le fou (1965). Il y a aussi cet intrigant Livre d'image, le dernier « film ovni » de « JLG ». Composé d'images d'archives ou de fiction, avec un son tournoyant et décalé, il a été projeté vendredi et samedi en compétition officielle.
Enfin, il y a ce communiqué : Godard n'est pas là, mais il donne une conférence de presse. S'agit-il d'une blague ? Arrivera-t-il par hélicoptère ? Dans un yacht ? Non, le réalisateur est resté chez lui, dans sa maison de Rolle, au bord du lac Léman, en Suisse. Et pour se montrer, il fixe ses règles. Une conférence, non pas collective, mais en tête-à-tête avec chaque journaliste présent via FaceTime, l'application d'appel vidéo d'Apple.
Performance
11 heures, samedi. Au troisième étage du Palais, la salle de presse est prise d'assaut par les journalistes. On est arrivé tôt avec une idée fixe : être le premier à lui parler au téléphone. Car qui sait si la communication s'interrompt, ou si Godard, 88 ans, ne risque pas de vite se fatiguer et de mettre un terme à ce petit manège d'interviews par vidéoconférence.
« Chut ! » murmure-t-on dans la salle. Ça y est, Jean-Luc est là. Son visage un peu émacié, ses quelques cheveux hirsutent s'affichent en mode vertical sur un iPhone de 13 centimètres. Un assistant lui présente à travers l'appareil la salle bondée. Les journalistes applaudissent. Les photographes, eux, rapprochent leurs objectifs. « Qu'est-ce que vous mitraillez ! » raille Godard, la voix chevrotante. « Merci aux photographes d'avoir réussi la performance de prendre en photo un téléphone. Des journalistes vont maintenant vous poser des questions et j'espère qu'il n'y aura pas de hic dans l'informatique », intervient le critique de cinéma Gérard Lefort.
"Très peu de films sont faits pour montrer ce qui ne se fait pas"
On s'approche du micro et du téléphone. C'est à nous. Jean-Luc Godard est si loin et pourtant si proche. Il est juste en face.
- « Bonjour, Jean-Luc Godard, vous allez bien ?
- Oui, ça va
- Dans votre nouveau film, vous partagez notamment vos réflexions sur le monde arabe. Syrie, Iran, Israël, avec le transfert de l'ambassade américaine… Que vous inspire le moment critique que sont en train de vivre le Proche et le Moyen-Orient ?
- Oh, vous savez, moi je ne suis qu'un fabricant de films, je m'intéresse plus aux faits. C'est intéressant de voir qu'il y a deux choses liées : ce qui se fait, et ce qui ne se fait pas. Or, on parle très peu de ce qui ne se fait pas. Et dans ces régions, cela aboutit à une catastrophe. On a beaucoup de pitié et bien peu d'intelligence (…). Très peu de films sont faits pour montrer ce qui ne se fait pas. J'espère que le mien aidera à le montrer et à le penser. »
"Un film, c'est une équation que peut résoudre un enfant"
Sur l'écran noir, Godard fait du Godard. Ses réponses sur FaceTime évoquent un auteur (Dostoïevski, le philosophe Claude Lefort…), un cinéaste (Michael Snow, Marcel Ophüls…), font des détours pour finir en une pensée lumineuse ou un bon mot. Pourquoi avoir présenté son film à Cannes si c'était pour ne pas y aller ? « Pour gagner quelques noisettes, bref, de l'oseille, pour pouvoir enfin le finir », souffle le cinéaste.
Spielberg ? « J'ai dit un jour qu'un film devait avoir un début, un milieu, une fin, mais pas forcément dans cet ordre. C'était pour contrer un peu les Spielberg et compagnie qui disent que le plus important dans un film, c'est l'histoire. Un film c'est plutôt une équation que peut résoudre un enfant. C'est X+3=1. Si X plus 3 égale 1, alors X égale à -2. Autrement dit, quand on fait un film, pour pouvoir trouver une image, il faut en supprimer deux. C'est la clef du cinéma. Mais si c'est la clef, il ne faut pas oublier la serrure ».
Le courage de l'imaginaire
« JLG » sourit derrière ses lunettes. Fume un cigare. Tousse. Qu'est que le cinéma ? « Ce n'est pas de ne pas montrer ce qui se fait, car on peut le voir tous les jours sur Facebook, mais plutôt de montrer ce qui ne se fait pas. (...) Le cinéma tel que je le conçois est une petite Catalogne qui a du mal à exister. »
Pourquoi ne plus tourner avec des acteurs ? « Les acteurs contribuent au totalitarisme de l'image filmée, au détriment de l'image pensée ».
Godard va-t-il encore faire des films ? « Cela ne dépend pas entièrement de moi. Cela dépend de mes jambes, beaucoup de mes mains, et un peu de mes yeux. Je me permets de vous dire quelque chose sur le courage. Aujourd'hui, les gens ont le courage de vivre leur vie, mais ils n'ont plus le courage de l'imaginaire. Moi, j'ai de la peine à avoir le courage de vivre ma vie, mais j'ai le courage de l'imaginaire. Cela me permet de prendre le train de l'Histoire. » À 88 ans, Godard n'est pas à bout de souffle.
Comme tous les créacteurs de génie à l'exemple de Picasso ou dali et bien d'autres, vieux et proches de leur fin de vie, JLG se fout du monde !
@paradise lost
Encore que le verbe "hirsuter" serait une jolie invention !
« Les acteurs contribuent au totalitarisme de l'image filmée, au détriment de l'image pensée ».
Ayant vu la dernière photo de Goddard, je me suis fait une idée précise de ce que pouvait être une image pensée.