Paulo Branco, l'homme qui voulait tuer le Don Quichotte de Terry Gilliam

Après vingt-cinq ans de travail et d’embûches, Terry Gilliam a enfin terminé son film « L’Homme qui tua Don Quichotte ». Malgré les poursuites judiciaires du producteur Paulo Branco, le film sera bel et bien présenté à Cannes, a-t-on appris ce mercredi 9 mai. Zoom sur l'homme qui a failli sceller le destin du long-métrage maudit.
Paulo Branco l'homme qui voulait tuer Don Quichotte
Pier Marco Tacca / Getty Images

Si une seule question a agité la Croisette cette année, outre celle de la présence de Netflix, c'est bien celle-ci : Terry Gilliam pourra-t-il présenter son film ou Paulo Branco l'en empêchera-t-il ? Ce mercredi 9 mai, la décision du Tribunal de Grande Instance de Paris est tombée : L'Homme qui tua Don Quichotte sera projeté lors du 71e Festival de Cannes. Et pourtant, ce n'était pas gagné...

La querelle oppose depuis des semaines les deux figures du 7e art, qui se sont battues pour acquérir le titre de producteur du long-métrage. Paulo Branco a toujours affirmé que le contrat signé en 2016 était toujours d’actualité, puisque sa société, Alfama Films, a participé au financement de cette réécriture du texte de Cervantes. Seul problème : les producteurs du film et le distributeur français Océan Films ont souligné, de leur côté, qu’il s’agissait d’un mensonge. « M. Branco n’est pas et ne sera jamais ce qu’il prétend être, à savoir le producteur de ce film », peut-on lire dans un communiqué publié par le distributeur. Terry Gilliam, lui aussi, a démenti toute participation financière de la part du producteur.

Si cette polémique a fait surgir le nom de Paulo Branco sur le devant de la scène, il n’en reste pas moins l’une des figures emblématiques du cinéma indépendant – et ce, depuis des décennies. David Cronenberg, Wim Wenders, Cédric Kahn, Mathieu Amalric, Raoul Ruiz : nombreux sont les cinéastes à avoir fait appel aux talents du producteur.

Paulo Branco naît et grandit au Portugal. Il se destine d’abord aux sciences, puisqu’il étudie à Lisbonne la chimie. Seulement, face à la dictature de Caetano, le jeune homme est obligé de s’exiler à Londres à l’âge de 21 ans, puis à Paris où il fait ses premières rencontres avec le cinéma. « Je n’ai jamais voulu être producteur », confiait-il en février 2015 à Sofilm. « Ma carrière, je la dois à la chance ». En effet : à 24 ans, il rencontre Frédéric Mitterrand en faisant du stop, à la sortie d’une séance du cinéaste allemand Werner Schroeter. « Je joue au journaliste et je lui dis, histoire de me faire un peu d’argent, que j’aimerais bien faire un entretien avec Schroeter ». Bingo : le cinéaste habite chez l’homme politique temporairement. Cette rencontre le propulse dans le monde du cinéma français. Il devient programmateur et exploitant de plusieurs salles parisiennes, et monte sa propre société à laquelle Serge Daney, célèbre critique, participe.

C’est durant les années 1980, après un aller-retour au Portugal dû à sa situation irrégulière, qu’il devient producteur. En 1983, il crée Les Films du passage et produit déjà de grands cinéastes comme Wim Wenders ou Raoul Ruiz. Malgré une banqueroute en 1987, le Portugais ne se laisse pas abattre et revient avec une nouvelle société de production et de distribution : Gémini Films. De Christophe Honoré à Mathieu Amalric, en passant par Olivier Assayas, Valeria Bruni Tedeschi et Cédric Kahn, Paulo Branco offre leur chance à de nombreux jeunes cinéastes aujourd’hui confirmés. Cela ne l’empêche pas non plus de collaborer avec d’autres grands noms du milieu : Werner Schroeter, qui lui a été si chanceux, André Téchiné ou bien Michel Piccoli.

Vrai roi de la débrouille, il évolue à une époque où la production d’un film peut se faire avec de l’argent gagné à la roulette. « Je gagnais, j’amenais l’argent, on tournait et je repartais le soir au casino », confiait-il à Sofilm au sujet d’un film de Raoul Ruiz. « J’ai gagné trois jours de suite. Pareil pour celui de Barbet Schroeder, Tricheurs ». Malgré ces impressionnants tours de passe-passe, sa société fait une nouvelle fois faillite. Irréductible passionné, c’est là qu’il crée celle que l’on connaît aujourd’hui, Alfama Films, alors nommée Alma Films. Les œuvres qu’il produit font le bonheur des festivals, comme San Sebastian, la Mostra de Venise et évidemment Cannes, où il a présenté 53 films dont 27 en sélection officielle. Rien d’étonnant, alors, qu’il fonde sa propre grande messe cinéphile en 2007 : le Lisbon & Estoril Film Festival, que Pedro Almodóvar, Juliette Binoche, Francis Ford Coppola, Catherine Deneuve ou encore Abdellatif Kechiche et David Lynch visitent de temps à autre. Rien que ça.

Au cours de sa carrière, Paulo Branco a produit plus de 300 films. Véritable amoureux du cinéma indépendant, il a été membre de plusieurs prestigieux jurys comme celui de la Mostra de Venise ou de la Berlinale. Reste à savoir si, après la débâcle de L’Homme qui tua Don Quichotte, il peut encore espérer intégrer celui de la Croisette.