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La nouvelle vie des anciens ministres de François Hollande

ENQUÊTE Quelques survivants, beaucoup de reconversions et des regrets. Un an après la fin du quinquennat, les anciens ministres de François Hollande sont éparpillés aux quatre vents.

La photo de famille du gouvernement en décembre 2016 lorsque François Hollande - qui a déjà renoncé à être candidat à sa propre succession - nomme Bernard Cazeneuve à Matignon, après le départ de Manuel Valls.
La photo de famille du gouvernement en décembre 2016 lorsque François Hollande - qui a déjà renoncé à être candidat à sa propre succession - nomme Bernard Cazeneuve à Matignon, après le départ de Manuel Valls. (HAMILTON/REA)

Par Pierre-Alain Furbury

Publié le 13 mai 2018 à 18:35Mis à jour le 17 mai 2018 à 07:47

Elle le répète à de multiples reprises : « La politique m'a essorée. » Myriam El Khomri est attablée dans une brasserie du 18e arrondissement de Paris. Là où elle est encore élue locale. Là où elle a échoué à devenir députée. Depuis la fin du quinquennat, l'ancienne ministre du Travail a « pris du champ ». Et « savoure » sa liberté retrouvée, même si on devine que ça a pris du temps.

« Etre loin des médias me repose énormément. J'avais un besoin de me relégitimer sur le plan professionnel. J'ai quarante ans, je suis pleine d'énergie, je ne veux plus m'user dans des combats de postures où l'on peut dire une chose dans un bureau et l'inverse sur un plateau de télé », confie celle dont la loi - et donc le nom - reste, aux yeux d'une partie de la gauche, le symbole d'une trahison.

Le fait de perdre est implacable. Ca aide à rebondir

« J'ai l'image de ce que je ne suis pas. Sur la forme, je referais bien le match. Mais sur le fond, j'ai porté ce en quoi je croyais. Je suis une sociale-réformiste », assume-t-elle, admettant avoir « changé », elle qui, désormais, donne « beaucoup moins vite » sa confiance et « anticipe tout de suite le pire scénario »

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Très fière de ne « rien » devoir à « personne », la jeune femme a créé sa société de conseil aux entreprises, MEK Conseil. « Je ne peux pas dire que je ne suis pas touchée par certaines choses. Peut-être y a-t-il même des fissures… Mais moi, tranche-t-elle, j'ai besoin de regarder devant. Le suffrage universel est très sain. Le fait de perdre est implacable. Ca aide à rebondir. »

Peu de survivants

De ce point de vue, les membres des gouvernements de François Hollande ont été particulièrement « aidés » à tourner la page. Un an après la fin du quinquennat, rares sont les « anciens » à surnager dans le paysage politique. Hormis, bien sûr, Emmanuel Macron et, dans une moindre mesure, ses ministres Jean-Yves Le Drian et Annick Girardin.

La très grande majorité des 74 ex-ministres et secrétaires d'Etat n'ont aucun mandat et ils ne sont que quinze à être parlementaires, dont 8 députés. Et, parmi eux, 4 socialistes. Des survivants, alors que 22 anciens ministres ont été battus aux législatives et que bon nombre d'autres avaient jeté l'éponge.

Je me vivais comme le rescapé d'un accident de la route

« En 2002, en 2007, en 2012, ceux qui avaient exercé des responsabilités étaient les moteurs de la reconstruction et de la reconquête. Là, le  vient de ce que ces gens, pour beaucoup excellents, n'ont plus de terrain de jeu ni d'avenir politique immédiat », constate Michel Sapin (ex-Economie et Finances), le seul à toujours travailler avec… François Hollande.

« Je me vivais comme le rescapé d'un accident de la route, le seul à s'être tiré de la voiture après plusieurs tonneaux quand tous les autres avaient disparu. Avec cette question : pourquoi, moi, j'ai été réélu ? » raconte l'ancien ministre délégué à l'Agroalimentaire, Guillaume Garot. Stéphane Le Foll (ex-Agriculture) a lui aussi sauvé sa peau aux législatives, mais il a perdu la bataille pour le PS : « Mes cinq ans au gouvernement et ma loyauté ont dû peser sur le résultat », grince ce hollandais historique.

Eparpillement sans précédent

« Globalement, c'est la fin d'un cycle. Et c'était mon cycle », analyse l'ancien secrétaire d'Etat aux Relations avec le Parlement Jean-Marie Le Guen, qui a rejoint le courtier en assurances Siaci Saint Honoré et n'a pas gardé, cette année, sa carte du PS. Cette fin de cycle se traduit par un éparpillement sans précédent.

Eparpillement politique d'abord, tant ils sont dispersés aux quatre vents. Barbara Pompili (ex-Biodiversité) est députée LREM, Benoît Hamon (Education) tente de faire fructifier son faible capital de la présidentielle avec Génération-s, Delphine Batho (Ecologie) est partie à Génération écologie, la socialiste Carole Delga (Commerce) préside la région Occitanie.

La politique, c'est un intérêt mais plus du tout une vie

Eparpillement professionnel aussi, même s'ils sont loin d'être tous mal lotis. Audrey Azoulay (ex-Culture) est à la tête de l'Unesco, Laurent Fabius (Affaires étrangères) préside le Conseil constitutionnel, Ségolène Royal (Environnement) est ambassadrice pour les pôles, Harlem Désir (Affaires européennes) est à l'OSCE. Quant à Marylise Lebranchu (Fonction publique), elle, ne fait « rien », hormis s'occuper de ses petits-enfants…

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« Rupture de charge »

Beaucoup vivent aujourd'hui à distance de la politique, à laquelle ils avaient parfois tout sacrifié. Quelques-uns l'ont choisi. La plupart l'ont subi. « La politique était censée être notre vie jusqu'au bout », soupire l'un d'eux. Bernard Cazeneuve (ex-Premier ministre) et Matthias Fekl (Intérieur) sont avocats. Cécile Duflot (Logement) est à Oxfam France. Thierry Mandon (Enseignement supérieur) a rejoint Rollin Publications, Axelle Lemaire (Numérique) le cabinet Roland Berger, Christophe Sirugue (Industrie) le cabinet Tilder.

Najat Vallaud-Belkacem (Education) travaille, elle, chez Fayard et Ipsos. « Il n'était pas facile de passer à autre chose, de se déconnecter d'un suivi quasi compulsif de l'actualité dès le petit matin, de s'astreindre au silence un certain temps », convient cette dernière, tout en voyant dans cette « rupture de charge » une « occasion unique » de se « renouveler sans perdre de vue ni le bien public ni [son] engagement pour les progrès de société ».

 Par l'entreprise, on peut faire ce que les élus n'arrivent plus à faire

Après avoir créé « les équipes du made in France » pour faciliter la création et la reprise d'entreprises, Arnaud Montebourg (Redressement productif) s'est lancé dans la relance des productions de miel et d'amandes, arguant que « par l'entreprise, on peut faire ce que les élus n'arrivent plus à faire »« La politique, c'est un intérêt mais plus du tout une vie », renchérit l'ex-ministre de la Culture Aurélie Filippetti, qui enseigne avec « beaucoup de bonheur » à Sciences Po et pense en avoir « fini » avec les fonctions électives ou gouvernementales.

Peu, in fine, ont rejoint le secteur privé sinon en lançant leur propre société. « Avant, les anciens ministres se recyclaient très facilement. Il y avait des entreprises qui embauchaient. Aujourd'hui, c'est fini », observe Marisol Touraine (Affaires sociales) qui est, elle, retournée au Conseil d'EtatTendance de fond ou phénomène conjoncturel lié à la mauvaise image des gouvernements Hollande, l'avenir le dira.

« Le choc de l'après »

L'atterrissage n'a pas été facile. Ils ont été ministres et ils ne le sont plus. Ne le seront d'ailleurs plus jamais, pour la plupart. « Je ne serai probablement plus candidat à rien mais ne l'écrivez pas, je ne veux pas me fermer de porte ! » espère encore l'un d'eux. Après son départ de Matignon, Manuel Valls a physiquement « subi le choc de l'après » et a eu « mal partout »

Un autre confie avoir oublié de s'arrêter à un feu rouge lorsqu'il a repris sa voiture, deux jours après la passation de pouvoirs. C'est une nouvelle vie qui s'est imposée, plus loin et souvent sans les caméras, avec moins d'adrénaline, plus fade après la période « extraordinairement intense » qu'ils ont vécue. Une « petite mort », comme l'appellent les sportifs, d'autant plus étrange que l'un d'eux est… à l'Elysée.

C'est ma première expérience dans l'opposition et ce n'est pas la meilleure. Là, on se rend vite compte qu'on pédale dans le vide.

D'un côté, il y a la liberté de mouvement et de temps. « D'abord on respire. On dort. On mange. On revit », égraine Juliette Méadel (ex-Aide aux victimes), qui a réintégré la Cour des comptes et enseigne à Sciences Po. De l'autre, il y a, pour la plupart, un grand manque. Et parfois l'ennui. Même pour ceux qui ont sauvé leur peau.

Réélue à l'Assemblée, Ericka Bareigts (Outre-mer) admet une « période de doute et de mal-être » : « C'est ma première expérience dans l'opposition et ce n'est pas la meilleure. Là, on se rend vite compte qu'on pédale dans le vide », observe-t-elle, soupirant : « Le quinquennat va être très long… »

« Réapprendre à vivre normalement »

Un ministre de Jacques Chirac, François Goulard, l'a dit un jour avec humour : « Etre ancien ministre, c'est s'asseoir à l'arrière d'une voiture et s'apercevoir qu'elle ne démarre pas. » « Après avoir eu toute votre vie un agenda surchargé et rempli par d'autres, vous vous retrouvez maître de votre temps. C'est jouissif mais ça crée du vide », plaide l'ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault, qui a pris la tête d'une Mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions - « ça m'occupe » - et en présidera la fondation. « Il faut réapprendre à vivre normalement », dit-il.

« Réapprendre à conduire, à prendre seul ses billets de train sur Internet… Au ministère, tout est mâché, tout est pris en charge, on ne doit s'occuper d'aucun souci matériel puisqu'on est au service de l'Etat », renchérit Patrick Kanner, se remémorant le jour où il s'est retrouvé à la gare du Nord, seul, sa valise à la main, avec son billet en poche pour « la première fois depuis trois ans »

Depuis qu'il a pris la tête des sénateurs PS, l'ex-ministre de la Ville ne cache pas sa satisfaction d'avoir retrouvé « un rythme ministériel » : « Je déteste les matinales [les émissions de télé et radio le matin] mais c'est une forme de drogue. »

 Il faut remplir ses journées. C'est un mélange de soulagement, de vide et d'angoisse. Je pensais que je le traverserai mieux que ça

Certains ont galéré, voire un peu déprimé, mais bien peu osent l'avouer. Christian Eckert (ex-Budget), qui est redevenu fonctionnaire de l'Education nationale, a vécu cette dernière année « assez difficilement ». « Il faut remplir ses journées. C'est un mélange de soulagement, de vide et d'angoisse. Je pensais que je le traverserai mieux que ça… Ma femme avait peur, elle m'avait prévenu que ça allait être dur. Elle avait raison. » 

«  Je n'ai aucun regret de ma vie d'avant, mais je voulais retrouver du sens. Ministre, on donne tout ; élu local, on n'a pas de responsabilités. Ca ne comble rien », insiste la conseillère régionale de Nouvelle-Aquitaine Martine Pinville (Commerce), soulagée d'avoir été pris la tête de VVF Villages.

« L'odeur de la poudre »

Un an après la fin du quinquennat, beaucoup ont des regrets. Avoir été débarqué trop vite, pour certains. Ne pas avoir pu défendre la gauche de gouvernement et le bilan pendant la campagne, pour d'autres. Que Manuel Valls se soit lancé dans la course de la primaire, pour ses partisans. Ne pas avoir suffisamment alerté du « double jeu » d'Emmanuel Macron, pour les hollandais. Et, surtout, que l'ancien chef de l'Etat se soit mis dans l'impossibilité d'être candidat.

Le point commun entre les anciens, c'est le sentiment d'une occasion manquée pour la gauche et pour le pays

Le quinquennat a laissé un goût amer. « La politique n'est pas le meilleur lieu pour l'épanouissement », lâche Emmanuelle Cosse (ex-Logement), qui a elle aussi créé sa société de conseil.

« Le point commun entre les anciens, c'est le sentiment d'une occasion manquée pour la gauche et pour le pays. Et pour François Hollande lui-même », résume le commissaire européen Pierre Moscovici (Economie et Finances), qui estime avoir eu de la chance de sortir du gouvernement « par le haut et tout de suite » mais confesse regretter « l'odeur de la poudre ».

Fleur Pellerin a appris son éviction, en 2016, juste avant l'annonce officielle, en plein examen d'un de ses textes au Sénat. « Rétrospectivement, j'ai eu beaucoup de chance. La fin du quinquennat a été un vrai chemin de croix et je serais sortie lessivée. Même s'il ne l'a pas fait exprès, François Hollande m'a rendu service », assure l'ex-ministre de la Culture, qui a lancé sa société de conseil en investissements, Korelya Capital, et a créé « 10 emplois ».

« Je n'ai aucun patron et j'adore ce que je fais. Honnêtement, j'aurais beaucoup de mal à renoncer à cette liberté maintenant. Moi je n'ai jamais fait de la politique pour soigner une blessure narcissique. » Elle ne milite pas, disant ne pas se reconnaître dans l'offre actuelle. « C'est assez triste comme constat », conclut-elle… en souriant.

Pierre-Alain Furbury

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