Écho de presse

Louis II de Bavière, la légende du roi fou

le 05/12/2021 par Pierre Ancery
le 09/05/2018 par Pierre Ancery - modifié le 05/12/2021
Louis II de Bavière, collection Jaquet - source Gallica BnF

« Je veux rester un mystère, pour moi-même et pour les autres », écrivit un jour celui que Verlaine appela « le seul vrai roi de ce siècle ». Sa folie, ses châteaux extravagants et sa mort mystérieuse valurent au « roi wagnérien » d'entrer dans la légende.

On se souvient de lui aujourd'hui pour sa folie et ses excentricités. Pourtant, lorsqu'il monte en 1864 sur le trône de Bavière, rien ne laisse présager le destin étrange de Louis II (1845-1886), que l'on surnommera plus tard le « roi wagnérien ». La presse reproduit alors la proclamation, tout ce qu'il y a de plus traditionnelle, du jeune souverain de 18 ans :

« La mission à laquelle je suis appelé est grande et difficile. J'ai confiance que Dieu me donnera les lumières et la force nécessaire pour la remplir […]. La prospérité de mon cher peuple bavarois et la grandeur de l'Allemagne seront les buts où je tendrai. Soutenez-moi tous dans l'accomplissement de mes graves devoirs. »

Grand et séduisant, il sera décrit par les journaux français comme « d'une admirable beauté ». « Il représentait assez bien le type idéal, la force et la jeunesse de quelque prince héroïque des légendes du Nord », écrivent ainsi Les Annales politiques et littéraires. Il est en revanche sans expérience politique. En 1866, il subit une grave défaite : suite à la guerre austro-prussienne, la Prusse fait de lui un simple vassal. Louis va dès lors se désintéresser totalement de la politique et de ses sujets.

 

Son attention se porte ailleurs : passionné d'art et de musique, il voue un véritable culte à Wagner, dont il devient l'ami et le mécène, finançant généreusement les représentations de ses opéras d'abord à Munich, puis à Bayreuth, où le roi fait construire le Palais des festivals. À la mort du compositeur en 1883, la presse reviendra sur cette relation entre les deux hommes. L'Intransigeant raconte :

« Durant sa liaison étrangement intime avec Louis II de Bavière, il s’en allait, le soir, chanter sur la pièce d’eau du château royal de Munich des fragments du Lohengrin, assis dans une petite barque, en compagnie de son jeune ami, vêtu comme lui d’une chlamyde blanche, la tête couronnée de fleurs, une lyre antique à la main. »

Obsédé, à travers Wagner, par les légendes germaniques, le mélancolique souverain vit alors de plus en plus dans un monde imaginaire. Il se compare à Parsifal, personnage mythologique qui devint roi du Graal grâce à sa pureté et sa foi. Son journal intime révélera plus tard la violence de son combat intérieur pour rester pur de tout péché, en particulier dans sa lutte contre sa propre homosexualité.

 

Peu à peu, la presse va se faire l'écho des excentricités du souverain, multipliant les anecdotes sur le « roi wagnérien » dont on commence à raconter qu'il est complètement fou. Les Annales politiques et littéraires citeront cette anecdote :

« On raconte [...] qu'un soir il emmena en bateau l'actrice qui créa le rôle d'Iseult et lui fit chanter des airs sur le lac. Celle-ci (qui n'était point belle d'ailleurs) voulut l'embrasser dans un accès de familiarité enthousiaste. Le roi n'entendit pas ce badinage. Il la jeta à l'eau. On la repêcha comme on put. »

En 1879, La France s'amuse d'un dîner somptueux que Louis II a donné en l'honneur de Louis XIV... et dont il fut le seul convive :

« Un couvert était destiné au royal amphitryon et les treize autres à Louis XIV et à douze personnages de son entourage renommés pour leur esprit. Malgré cela, le repas dans ces circonstances fut assez mélancolique ; les invités silencieux ne donnaient par leur présence imaginaire aucune animation à la fête ; et les domestiques inactifs n’exécutaient pas d’ordres absents.

 

Après le repas, le roi se rendit au manège. Il avait soigneusement calculé le temps qu’il lui faudrait pour se rendre à cheval d’Hohenschwangau à Inspruck, et il se mit à faire à cheval autant de tours de manège qu’il en fallait pour équivaloir à la distance à parcourir, afin de pouvoir se vanter d’avoir fait à cheval la route d’Inspruck. Sur la route, ou plutôt sur la piste, pour être plus exact, le roi s’arrêta pour déjeuner et dîner, comme il l’aurait fait si réellement il eût accompli le trajet.

 

Heureux roi ! mais plus heureux sujets ! Quand on pense que ce fou commande à huit millions d’hommes ! »

Toujours plus perdu dans ses rêves et menant une vie presque entièrement solitaire, Louis II se fait construire en Bavière des demeures fabuleuses, à l'architecture digne d'un conte de fées. Pas moins de trois châteaux voient le jour : Linderhof, Herrenchiemsee, et surtout l'extravagant Neuschwanstein, son hommage à Wagner et à la mythologie germanique.

 

Des dépenses somptuaires particulièrement coûteuses : dans les années 1880, on le dit complètement ruiné.

« Il a fait des dettes, de grosses dettes, et comme il ne peut les payer, ses créanciers sont sur le point de le faire mettre en faillite, ni plus ni moins qu'un marchand de toiles peintes ou un fabricant de pains à cacheter. »

Dans La Justice, Sutter Laumann le prend en pitié et, le comparant à Des Esseintes, l'anti-héros désabusé du roman de Huysmans À rebours, lui prédit une fin prochaine.

« Louis II ne pouvant plus se livrer en liberté à ses caprices d'artiste, faute de monnaie, deviendra, de misanthrope qu'il est, tout à fait hypocondriaque. Rogner le budget de ce dépensier équivaut à rogner les ailes d'un oiseau. C'est donner le coup de la mort à ce pauvre amoureux des chimères et des antiques légendes de la brumeuse Germanie.

 

Ce des Esseintes couronné qui a le dégoût profond des banalités de la vie, ce raffiné exquis, ce fanatique de l'art, qui ne fait de tort qu'à ses héritiers, ne survivra pas longtemps à l'irrémédiable tristesse qui va s'emparer de lui : il ira bientôt rejoindre ses aïeux et s'asseoir dans le royaume des ombres. »

Et en effet, juste après avoir été frappé d'« incapacité à régner » en raison de sa paranoïa et de sa folie grandissantes, il meurt mystérieusement noyé, le 13 juin 1886, dans un lac près du château de Berg, au sud de Munich, avec son psychiatre.

« Le roi Louis II de Bavière, reconnu atteint d’aliénation mentale très avancée et déclaré, par quatre médecins chargés de l’examiner, incapable d’exercer le pouvoir gouvernemental le reste de sa vie, vient de se suicider, après avoir assassiné son médecin, le docteur Gudden [...].

 

Sur la berge, on releva les traces d’une lutte ; le sol était piétiné. On fouilla aussitôt le lac et on en retira deux cadavres : celui de M. de Gudden d’abord, puis celui du roi. Le visage du médecin était labouré d’égratignures ; il y avait donc eu lutte, et comme il était d’une force exceptionnelle, la lutte a dû être terrible. »

Les circonstances de sa mort ne seront jamais vraiment éclaircies. Dans les mois qui suivent, un sonnet composé en son honneur par Verlaine circule beaucoup.

Neuschwanstein, que nul n'avait pu pénétrer de son vivant, est aujourd'hui le château le plus célèbre d'Allemagne, visité chaque année par plus d'un million de touristes. En 1972, Luchino Visconti a consacré un long film à Louis II de Bavière, Le Crépuscule des dieux, avec Helmut Berger dans le rôle principal, contribuant au mythe que le défunt roi avait lancé de son vivant.

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