Une sanction plus lourde et plus clémente à la fois. Ainsi pourrait-on qualifier la peine prononcée mardi 15 mai à l’encontre de Jérôme Cahuzac, l’ancien ministre du budget de François Hollande, condamné pour avoir dissimulé un patrimoine global estimé à 3,5 millions d’euros. Passé du statut d’ancien pilier de l’exécutif à celui de paria pour avoir affirmé « les yeux dans les yeux » ne pas détenir de comptes à l’étranger, le sexagénaire a écopé mardi 15 mai de quatre ans de prison, dont deux ferme (1).

Cette sanction va certes au-delà des trois ans de prison prononcés en première instance. Toutefois, assortie d’un sursis de deux ans, cette peine devient aménageable et lui permettra donc d’éviter l’incarcération. À l’audience, l’intéressé n’avait pas caché « sa peur d’aller en prison », amenant son avocat à demander une peine qui « n’accable pas plus que nécessaire un homme cassé ».

Une demi-victoire de la défense

Cette demi-victoire de la défense constitue un camouflet pour le parquet national financier (PNF) qui avait, lui, réclamé trois ans ferme. Lors de son réquisitoire, l’avocat général avait dressé le portrait d’un homme qui croyait possible « de dissimuler d’un côté et de donner des leçons de morale fiscale de l’autre ». Il avait repris à son compte les attendus du jugement de première instance, considérant la faute commise comme « destructrice du lien social et de la confiance des citoyens dans les institutions ».

L’onde de choc suscitée par « l’affaire Cahuzac » a débouché sur un renforcement de la lutte contre la fraude fiscale. Le PNF a ainsi vu le jour dès 2013 avec pour mission de s’attaquer aux montages frauduleux les plus élaborés. Les sanctions pénales en la matière ont été renforcées.

Rares toutefois sont les condamnés renvoyés derrière les barreaux. « Sur les 524 condamnations pour fraude fiscale prononcées en 2016, la prison a été retenue dans 90 % des cas mais les peines étaient pour la plupart aménageables », précise Youssef Badr, porte-parole de la chancellerie. Aujourd’hui, seuls dix individus impliqués dans ce type de dossier se trouvent sous écrou. Au final donc, le renforcement de l’arsenal pénal ne s’est pas traduit par davantage d’incarcérations.

Une proposition de loi pour abolir « le verrou de Bercy »

L’affaire Cahuzac a en revanche alimenté le débat autour du très controversé « verrou de Bercy ». Rappel juridique : lorsqu’un contrôle fiscal met en lumière une présomption de fraude, le fisc lance une procédure se concluant la plupart du temps par un redressement fiscal. La justice, elle, ne récupère le dossier que si elle est saisie d’une plainte de l’administration fiscale. Dans les faits, seule une minorité de dossiers sont transmis aux magistrats. C’est le fameux « verrou de Bercy ».

« Le scandale Cahuzac a conduit à une prise de conscience violente de l’incongruité de ce verrou », note la sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie, à l’origine d’une proposition de loi abolissant ce mécanisme, qui va justement être discutée mercredi 16 mai au Sénat. Elle a peu de chances d’être votée, mais le débat est loin d’être clos.

À l’Assemblée nationale, une mission d’information travaille sur le sujet et semble décidée à faire bouger les choses. Les auditions conduites par les députés ont ainsi permis de relayer les virulentes critiques des juges. « Pour nous, le verrou bloque toute la chaîne pénale », fustige Éliane Houlette, procureure du PNF.

Bercy soutient le maintien d’un traitement différencié

Face à ces offensives, Bercy sent que le statu quo n’est plus tenable mais défend toujours l’idée de garder un traitement différencié entre petits et gros dossiers. Favorable au maintien d’un « verrou », Gérald Darmanin, le ministre des comptes publics, propose d’en « donner la clé au Parlement » qui pourrait fixer dans la loi les critères aboutissant à une saisine de la justice.

Cette hésitation se retrouve aussi à l’Élysée. « Le verrou, ce n’est pas l’impunité, c’est qu’on privilégie la punition fiscale parce que ça nous fait des rentrées budgétaires » mais cela n’empêche pas que « tous les dossiers les plus importants sont transmis à la justice », a récemment plaidé Emmanuel Macron.

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Du contrôle aux poursuites

Un million de contrôles. L’administration fiscale procède à environ un million de vérifications sur pièces et 50 000 contrôles fiscaux plus approfondis.

Ces contrôles permettent de détecter chaque année entre 14 000 et 16 000 fraudes délibérées. Les pénalités infligées atteignent alors 40 %, voire 80 % ou 100 % des sommes dues.

Environ 4 000 de ces dossiers portent sur des sommes supérieures à 100 000 €.

Moins d’un millier de plaintes. Environ 1 000 de ces 4 000 dossiers sont jugés suffisamment solides, importants ou symboliques pour être transmis à la Commission des infractions fiscales. Celle-ci valide entre 90 et 95 % des propositions de poursuites de l’administration.

Chaque année, ce sont donc environ 900 dossiers qui donnent lieu à un dépôt de plainte pour fraude fiscale.

(1) Il a par ailleurs été condamné à une amende de 300 000 € et cinq ans d’inéligibilité.