Dans le droit chemin grammatical et sans prédicat

Grammaire, formation continue, Parcoursup… la vie quotidienne d’un professeur de lettres est pavé de bonnes intentions ministérielles.

Par Lucie Martin

Publié le 15 mai 2018 à 19h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h23

Pas de vrai fil conducteur cette semaine, plutôt plusieurs petites réflexions dont j’ai envie de vous faire part.

Il y a peu, le ministre de l’Education nationale a appelé à pratiquer un enseignement régulier et explicite de la grammaire et à abandonner en primaire l’apprentissage de la lecture par les méthodes globales ou semi-globales.

Je viens donc de découvrir, sous vos applaudissements je n’en doute pas, que je suis une enseignante exceptionnelle. Oui, figurez-vous que je n’ai jamais cessé de pratiquer la grammaire ! Si, mes élèves font de la conjugaison, de l’analyse grammaticale, apprennent même des règles par cœur et font des exercices d’application. Ils en ont toujours fait. Je n’ai jamais cessé d’en faire, même lorsque sous la houlette de tel ou tel fonctionnaire de ministère, des inspecteurs nous ont parfois présenté cette façon d’enseigner comme l’antichambre de l’enfer. J’ai continué d’enseigner la grammaire, parfois en rapport avec les textes étudiés, parfois (ô horreur) comme un cours à part entière.

Personne n’a porté à ma connaissance de traumatisme causé chez mes élèves. Mieux, les élèves dont l’esprit est plutôt « scientifique », « logique », y trouvent leur compte alors qu’ils peuvent se trouver déstabilisés lors d’une étude de texte ou une rédaction.

Mieux, je réalise que je vis dans un monde merveilleux, que j’évolue dans un univers parallèle peuplé d’êtres parfaits car figurez-vous que mes collègues de français, eux aussi, pratiquent la grammaire. Même les professeurs des écoles de mes enfants ! Si ! Mes enfants, en primaire, font de la grammaire, de la conjugaison, apprennent des règles par cœur et la lecture leur a toujours été enseignée de façon syllabique.

Donc, Monsieur le Ministre, merci d’avoir rappelé dans le droit chemin grammatical tous ces pauvres enseignants perdus dans les méandres des injonctions précédentes, mais dans ma petite bulle personnelle, c’est inutile car tout le monde est parfait et pratiquait déjà la grammaire et la lecture syllabique.

(On me glisse que c’était quasiment le cas partout, mais je n’ose y croire, je reste intimement persuadée de la supériorité écrasante des enseignants de mes enfants, de mes collègues, et bien sûr de la mienne.)

A propos de grammaire, laissez-moi vous conter une petite anecdote cocasse cette semaine en classe de quatrième. Nous étions justement en pleine révision d’un point de grammaire, l’étude des propositions, je ne vous ferai pas l’affront de vous rappeler de quoi il s’agit (surtout je vous laisserai tranquilles avec des notions que vous avez oubliées depuis des lustres, à moins que vous soyez professeur de langue). Sur la page du manuel, je laisse de côté un paragraphe et entame l’explication du suivant. C’est sans compter sur la main levée de Norah : 

— Madame, vous avez sauté un paragraphe.

— Oui, je le sais, nous ne l’étudierons pas.

— Mais c’est quoi, le prédicat, le truc du paragraphe ?

— Une notion que vous n’avez jamais étudiée avant et qui n’est plus au programme, nous ne nous y attarderons donc pas.

— Mais alors pourquoi est-elle dans le manuel ?

J’ai hésité. J’aurais pu la faire taire d’un regard (je fais très peur), mais je me suis dit que, après tout, ils avaient bien le droit de savoir, ce sont les premiers concernés. Alors j’ai souri :

— C’est une notion qui est apparue dans les programmes de 2016, et qui a dès lors été inscrite dans tous les nouveaux manuels que nous avons achetés. Mais il y a eu entre-temps les élections présidentielles, le gouvernement a donc changé, le ministre de l’Education nationale aussi, et notre nouveau ministre a décidé que nous ne l’étudierons plus. J’avoue être assez d’accord avec lui sur ce point, cela ne vous servait à rien. Bref, voici une application très rapide et concrète dans votre scolarité d’une élection nationale : nous n’étudions plus le prédicat. Paragraphe suivant.

Ils sont restés bouche bée. Je vous avoue y avoir pris un certain plaisir, à leur expliquer la disparition du prédicat…

Ma formation sur le prédicat, et le récit que je vous en avais fait, demeurera à jamais gravée dans mes annales personnelles. Cependant, pas rancunière, figurez-vous que j’ai demandé cette année à assister à quatre formations. Nous y sommes encouragés : des formations à l’intitulé parfois très alléchant nous sont proposées en début d’année scolaire, quatre m’intéressaient auxquelles j’ai donc candidaté. Ce sont des formations sur un ou deux jours, rien de très contraignant pédagogiquement, je n’aurais pas disparu des semaines loin de mes élèves.

J’ai obtenu l’une des formations demandées, à laquelle j’ai participé, et qui était tout bonnement passionnante, animée par des enseignants compétents et motivés. Merci à eux !

J’ai été retenue à une autre formation… mais elle tombait le même jour que la première, sur tous les jours que compte l’année scolaire. Pas de chance.

Les deux dernières ? Aucune nouvelle, j’en conclus qu’elles ont eu lieu sans moi.

J’aurai donc assisté cette année à une unique formation. J’attends de pied ferme l’inspecteur qui ne manquera pas de me reprocher mon manque de participation au « plan académique de formation ».

Je me permets de rappeler, car je l’ai déjà mentionné sur ce blog, que d’autres formations m’auraient intéressée, mais sont inaccessibles. Ce sont les inspecteurs qui désignent les personnes qui ont le privilège d’y assister, il est impossible de s’y inscrire spontanément.

Ah, la formation continue dans l’Education nationale…

J’ai échangé récemment avec les parents d’un élève de terminale, un fort gentil garçon, mais que la scolarité ennuie profondément, comme le démontrent ses résultats catastrophiques. Sa réussite au baccalauréat n’est pas du tout acquise. Ses parents m’ont raconté son inscription sur Parcoursup, les prérequis demandés pour telle ou telle filière, les lettres de motivation à faire parvenir en temps et en heure.

Ils m’ont avoué – oui, avoué, avec un ton un peu honteux, en jetant à droite à gauche de petits regards inquiets pour vérifier que personne d’autre n’écoute dans le restaurant – qu’ils trouvent cela plutôt bien Parcoursup. Que oui, c’est leur fils, ils l’adorent, suivent sa scolarité défaillante, sont inquiets pour lui, mais que, finalement, il faut qu’il sache ce qui est réaliste ou pas, non ? Ne vaut-il pas mieux être confronté à un échec maintenant qu’après avoir perdu une, deux années dans une filière où il n’a aucun espoir de réussite ?

J’ai avoué, moi aussi, à mi-voix, être plutôt d’accord avec eux sur le principe… Parcoursup, je ne connais pas, mais j’entends les inquiétudes, notamment sur la capacité de mes collègues du supérieur à assumer cette tâche de tri qui semble monstrueuse. Le logiciel ? Je reste dubitative. J’ai notamment lu deux articles du Canard Enchaîné qui font froid dans le dos, le 18 avril et le 2 mai dernier. Je me dois de cependant préciser qu’à ma connaissance, dans mon collège, nous n’avons pas été confrontés à des soucis d’affectation dus au logiciel, chez nous cela se passe plutôt bien.

La solution miracle ? Je ne la connais pas, évidemment, mais tout me semble préférable à l’odieux tirage au sort, non ? 

Le mot de la fin sera pour la délicieuse professeure des écoles qui a confisqué un livre à un petit garçon qui osait, l’odieux insurgé, lire pendant la récréation au lieu de courir. C’était un tome d’Harry Potter, l’enfant arrivait dans les derniers chapitres. Je les ai lus, les Harry Potter, et moi aussi j’ai eu très envie à chaque tome de savoir comment cela allait finir. Eh bien non, sa maîtresse le lui a confisqué. Je vous entends soupirer : « Ça va, elle le lui a pris dix minutes, pour qu’il aille plutôt courir avec ses camarades, qu’il se dégourdisse les jambes, rien de grave ! » Non. Elle le lui a confisqué plus de quinze jours. Malgré l’incompréhension exprimée par l’enfant, les parents. Juste pour qu’il retienne la leçon et qu’elle marque son autorité.

Les parents ? Ils ont emprunté le livre à la bibliothèque pour que leur fils puisse le terminer, et je les en félicite : il faut parfois se rebeller contre la plus flagrante injustice, même quand elle est le fait de ceux dont on est censé respecter l’autorité.

Cette maîtresse ? Je vous avoue mon incompréhension totale face à cette attitude. Elle et moi ne faisons manifestement pas le même métier.

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