Dans la première manif payée par une banque

Plusieurs milliers d’employés d’Arkéa, la branche bretonne du Crédit Mutuel, ont défilé pour réclamer leur indépendance. Plus ou moins volontairement.

 Paris, le 17 mai. Les salariés du Crédit Mutuel Arkéa  veulent défendre l’indépendance de leur entreprise qui souhaite quitter la Confédération nationale de la banque mutualiste.
Paris, le 17 mai. Les salariés du Crédit Mutuel Arkéa veulent défendre l’indépendance de leur entreprise qui souhaite quitter la Confédération nationale de la banque mutualiste. LP/Yann Foreix

    Il a rangé son attaché-case, sa chemise rayée, son costume cravate et ses boutons de manchette. Lorsqu'il descend dans la rue pour manifester, le banquier est à la cool : il porte des baskets, des banderoles et des drapeaux. S'il s'époumone avec des slogans (« ça suffit, ça suffit », ou encore « Arkéa Indépendant, Arkéa Indépendant »), trois petits détails le distinguent d'un manifestant lambda : il est payé par son employeur pour battre le pavé, porte un bonnet rouge par 20 degrés et son sweat à capuche - flambant neuf ! - n'est pas siglé « CGT » mais « Arkéa ». C'est ce que les Parisiens ont pu découvrir jeudi en voyant passer l'incroyable cortège des salariés de la banque Arkéa, la branche bretonne du Crédit Mutuel.

    Pour le droit de quitter le réseau du Crédit Mutuel

    Officiellement organisée par un collectif de salarié, la première manifestation parisienne financée par une banque visait à faire pression sur le gouvernement pour qu'il accorde à cette banque, le droit de quitter le réseau du Crédit Mutuel. Elle a réuni 6 000 personnes selon les organisateurs, 4 000 selon la Police.

    Marie était dans le cortège parti à 13 heures de la place de la Bastille (XIe). Elle « n'avait manifesté qu'une fois » auparavant « contre la loi Devaquet » (NDLR : en 1986). « Une manifestation de banquier, cela peut faire sourire mais ce que l'on essaye de faire, c'est garder nos emplois en Bretagne », explique cette Rennaise.

    L'identité bretonne revendiquée

    Paris, le 17 mai. Dans la manifestation d’Arkéa, même la musique est bretonne !/LP/Yann Foreix
    Paris, le 17 mai. Dans la manifestation d’Arkéa, même la musique est bretonne !/LP/Yann Foreix LP/Yann Foreix

    Alain Gaugendeaux, est revenu, lui, spécialement de ses vacances en Suisse pour cet événement. « Je suis à la retraite dans 130 jours, mais j'avais à cœur de défiler pour défendre ma boîte », signale-t-il. L'indépendance, la sortie du réseau du Crédit Mutuel, est pour lui, le choix le plus logique : « on perdra notre marque mais on gardera les centres de décisions, chez nous, sans regard inquisiteur ».

    Armé de son klaxon de vélo, Jean-François, la trentaine, a quitté Auray (Morbihan) aux aurores pour monter à Paris. Il manifeste pour « continuer à travailler dans une entreprise proche de ses salariés ». Ce conseiller clientèle qui a « fait ses études en Bretagne » et n'a postulé « que dans une banque : le Crédit Mutuel de Bretagne », le concède, « il y a un truc identitaire », dans cette manif. Des drapeaux noirs et blancs fleurissent d'ailleurs un peu partout dans le cortège.

    Pas tous vraiment «volontaires»

    Et, comme vraiment, cette manif ne ressemble à aucune autre, nombre de manifestants rencontrés… n'adhèrent pas au projet pour lequel ils battent le pavé ! « Rien n'est dit, rien n'est écrit mais tout le monde l'a compris : si tu ne viens pas, tu es mal vu et tu n'as plus de carrière », signale une jeune banquière. Un peu plus loin, un jeune homme, rit lorsqu'on lui demande s'il est là de son plein gré. « Oui, oui, c'est ça, bien sûr, je suis volontaire, comme tout le monde », glisse-t-il ironiquement.

    Et de préciser : « Si vous décidiez de ne pas venir et que votre service n'était pas ouvert, vous deviez aller dans un autre service ou poser une journée de congé ! Donc, on avait surtout le choix de venir. » Un de ses collègues confirme. « Je manifeste pour la première fois de ma vie et franchement, cela me coûte que cela soit pour cette cause-là », glisse ce conseiller de clientèle. Et de s'expliquer : « mon billet de train a été payé par mon employeur, je suis parti tôt ce matin et je vais revenir tard, je vais donc même avoir des heures sup à récupérer ! »

    Arkéa subissant des agressions de la tête du réseau du Crédit Mutuel, lui, n'y croit pas. Ou plutôt, il demande à voir. « Où sont les preuves de tout ça ? Et pourquoi nos dirigeants nous cachent leur plan de sortie ? », s'agace-t-il énervé. Un de ses collègues enchaîne : « Et pourquoi n'a-t-on pas demandé aux sociétaires (NDLR : les clients), qui sont quand même les propriétaires de la banque, s'ils voulaient l'indépendance ? »

    Paris le 17 mai. Les commissaires aux comptes ont aussi manifesté, ici devant Bercy./LP/Yann Foreix
    Paris le 17 mai. Les commissaires aux comptes ont aussi manifesté, ici devant Bercy./LP/Yann Foreix LP/Yann Foreix

    Les commissaires aux comptes également dans la rue

    Ils étaient à deux doigts d'une étrange « convergence des luttes » dans le secteur de la finance. Alors que les banquiers bretons d'Arkéa terminaient leur défilé, un autre cortège était, lui aussi, en route pour le ministère de l'économie : celui des commissaires aux comptes (CAC). Aux cris de « Bruno Lemaire nous met en colère », ces manifestants en costumes cravate et chaussures cirées sont partis de la Bibliothèque Francois Mitterand pour arriver à Bercy. Soit, un éprouvant parcours parisien de… 900 mètres réalisé en quelques minutes.

    Les « CAC » s'opposaient à une mesure de la loi Pacte qui lève l'obligation pour les petites entreprises d'avoir recours à leur service. « Ce sera une casse sociale dans notre profession. 3500 confrères et 7000 collaborateurs vont perdre leur emploi », dénonce Jean Bouquot, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes.