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Polémique sur la militante voilée de l'UNEF : la réponse de Laurent Bouvet

Jean-Christophe MARMARA/Le Figaro

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Sur Facebook, le politologue a publié samedi soir une photo de la présidente de l'UNEF de Paris IV assortie d'un commentaire ironique sur la «convergence des luttes». En cause, le voile islamique porté par cette militante. Laurent Bouvet revient sur la polémique déclenchée par son post et clarifie sa position dans un entretien exclusif.


éd. Lemieux

Laurent Bouvet est professeur de Science politique à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Il a publié L'Insécurité culturelle chez Fayard en 2015. Son dernier livre, La gauche Zombie, chroniques d'une malédiction politique, est paru le 21 mars 2017 aux éditions Lemieux. Il est l'une des principales figures du Printemps Républicain.


FIGAROVOX.- Vous avez publié samedi sur Facebook une capture d'écran de l'intervention télévisée de Maryam Pougetoux, sur M6. Est-ce que le fait qu'une femme voilée puisse présider un syndicat d'étudiants vous choque?

Laurent BOUVET.- La question n'est pas de savoir si cela me choque ou non. C'est une question politique et non de morale ou d'opinion personnelle. J'ai mon opinion sur le port du voile au regard du statut de la femme dans la religion musulmane, mais ce n'est pas le sujet ici, contrairement à ce que certains veulent à tout prix faire croire.

Je précise, car cela va mieux en le disant, que cette jeune femme a tout à fait le droit, comme citoyenne, comme étudiante et comme militante syndicale, d'avoir la conviction religieuse qu'elle souhaite et de le montrer par sa manière de se vêtir, ce n'est pas ce qui est en cause ici.

Capture d'écran Facebook

Quel est le sujet? Le fait que cette jeune femme apparaisse dans les médias pour parler au nom d'un syndicat étudiant de gauche, qui affiche des principes progressistes et féministes, vêtue d'un voile qui ne laisse voir que l'ovale de son visage, donc qui indique ostensiblement non seulement son appartenance religieuse mais une croyance particulière, stricte, au sein de l'islam, m'a sauté aux yeux comme l'illustration de l'incohérence du discours de l'UNEF au regard de ses pratiques militantes. On ne peut prétendre défendre la contraception, l'IVG, le mariage pour tous, la PMA… et avoir pour représentante et porte-parole à la Sorbonne une militante qui affiche une expression de l'islam qui dit exactement le contraire, avec virulence.

J'ai trouvé que le choc visuel de ces deux éléments, la présidente de l'UNEF de Paris Sorbonne voilée de manière très stricte, cela en disait long sur le problème de cohérence de cette organisation. D'où mon propos ironique sur la “convergence des luttes”. Mon propos était donc bien politique, mais il portait sur l'UNEF, et non sur la croyance de cette jeune femme que je respecte pour ce qu'elle est.

Êtes-vous favorable à l'interdiction du port du voile dans les universités?

Non, j'y reste opposé alors même que je suis très favorable à la loi de 2004 interdisant les signes convictionnels ostentibles dans les établissements scolaires publics. Pour des raisons que j'ai eu l'occasion d'expliciter à de nombreuses reprises, et sur lesquelles il peut y avoir des discussions mais qui me paraissent essentielles: les étudiants de l'université sont majeurs et leur conscience est déjà formée ; les établissements sont ouverts ; les scolarités sont choisies librement, etc.

Je suis d'ailleurs assez surpris que ceux qui m'ont pris violemment à partie en raison de mon propos politique sur la cohérence de l'UNEF n'aient pas eu l'honnêteté de constater cette position de ma part.

Où passe la nuance entre l'affichage, par des signes religieux visibles, de son appartenance à la religion musulmane, et la promotion de l'islamisme?

C'est la question de l'acceptation par l'UNEF d'une telle situation qui est posée. Pas celle du choix de cette jeune femme.

Le type de vêtement, ici la forme et surtout le “degré de couverture” du voile, signale nettement la revendication politique qu'est l'islamisme. Pour une raison simple: les femmes qui portent ce type de voile “complet” le font par choix (ou peut-être par contrainte mais évidemment nous ne pouvons pas le savoir), ou plus précisément pour affirmer leurs convictions religieuses aux yeux des autres, dans l'espace public. A fortiori, dans le cas de l'exercice de responsabilités politiques ou syndicales.

Donc, encore une fois, c'est la question de l'acceptation par l'UNEF d'une telle situation qui est posée. Pas celle du choix de cette jeune femme.

Céline Pina a dénoncé sur Facebook «l'infiltration et le noyautage du syndicalisme étudiant» par les étudiants musulmans de France (EMF), qu'elle accuse d'être «une filiale des frères musulmans». Partagez-vous cette analyse? Selon vous, les frères musulmans cherchent-ils à prendre le contrôle des associations syndicales étudiantes?

L'UNEF a conclu, depuis une quinzaine d'années, et après qu'il y a eu un débat à ce sujet au début des années 2000, dans nombre d'universités, des accords avec les EMF pour certaines élections. Et certaines activités se font en coopération localement.

Il n'est donc pas totalement farfelu de penser qu'il puisse y avoir plus que des liens intersyndicaux. Et même, de la part de l'islamisme politique dont les EMF sont le bras armé dans le milieu universitaire, une forme d'entrisme. Il faudrait évidemment une enquête approfondie pour le démontrer. J'en formule donc simplement l'hypothèse, compte tenu des liens parfois très étroits que l'on peut observer entre les deux organisations localement.

De manière plus large, le propre de l'islamisme politique est d'exercer une influence sur le débat public par tous les moyens. Cela peut se faire à l'université qui constitue, on l'a vu dans plusieurs pays, une cible privilégiée, mais aussi par l'activisme associatif, on le voit par exemple avec le CCIF, ou directement dans les élections, locales notamment, avec des listes constituées par des partis islamistes. On a eu déjà eu quelques cas en France avec des partis liés à la Turquie en particulier, on l'a vu récemment en Belgique aussi avec le parti Islam qui a défrayé la chronique, et on pourra certainement l'observer aux prochaines municipales en 2020.

De manière générale, jugez-vous que l'université française est menacée par une montée de l'islamisme?

L'université française dans son ensemble… non. Dans certains établissements en revanche, la pression est forte, et des étudiants comme des collègues peuvent parfois céder aux pressions. En raison de l'implantation forte de militants islamistes, à l'occasion de l'organisation d'un colloque, comme ce fut le cas à Lyon II il y a quelques mois où sous couvert de discussion académique sur l'islamophobie, on avait droit en fait à un véritable meeting islamiste couvert par deux ou trois collègues à la complaisance bien connue, mais également à l'occasion de réunions plus restreintes qui sont liées à des thématiques et aux réseaux indigénistes ou décoloniaux notamment.

Dans certains établissements, la pression de l'islamisme est forte, et des étudiants comme des collègues peuvent parfois céder aux pressions.

Comme toujours dans de tels cas, comme on a pu le vérifier au cours du XXe siècle, face à des idéologies constituées et conquérantes, il faut comprendre que ce ne sont pas nos ennemis qui peuvent nous vaincre mais notre propre peur. Et il ne faut donc jamais avoir peur. Il faut combattre sereinement, fermement et avec détermination l'idéologie islamiste comme nos prédécesseurs ont combattu les idéologies mortifères du XXe siècle. Car on sait d'expérience ce que produisent ces idéologies, quel que soit leur fondement: race, classe ou religion ; et on sait aussi, grâce à nos collègues et camarades algériens, turcs, égyptiens, tunisiens… ce que fait l'islamisme.

C'est une double et bonne raison pour ne pas lui céder un pouce de terrain, à l'université moins qu'ailleurs. J'aimerais d'ailleurs que mes collègues soient bien plus nombreux à en prendre conscience et à manifester leur fermeté. Puissent des occasions comme cette polémique dessiller quelques paires d'yeux supplémentaires!

Vous dénoncez régulièrement la collusion entre la gauche et l'islam. Sur quoi repose cette alliance dont la présidente de l'UNEF de Paris IV semble être devenue une nouvelle incarnation? Pourquoi cette union vous semble-t-elle adultérine?

Je constate et j'essaie d'analyser, avant de combattre, la collusion entre une certaine gauche et l'islamisme. Ce qui est un peu différent de votre formulation…

Le problème, outre la dimension de combat idéologique de notre début de siècle que je viens de mentionner, c'est une incompatibilité structurelle entre une idée d'émancipation de l'individu par la raison et la croyance non pas religieuse en tant que telle mais la croyance obscurantiste, et bien sûr son extrapolation idéologique.

On peut avoir une foi religieuse et être un homme ou une femme de gauche, comme on peut avoir une foi religieuse et être un laïque convaincu, un grand scientifique ou un responsable politique très républicain. Tout cela n'est pas incompatible et l'histoire nous en a donné de multiples exemples.

Ce qui est impossible, et donc inacceptable, en revanche, c'est d'affirmer à hauts cris que l'on est pour l'émancipation post-moderne de l'individu, ce qui fait ressembler aussi bien la foi que l'engagement politique à un supermarché où chacun se sert comme il l'entend, en fonction de ses intérêts individuels et de sa préférence identitaire du moment. Affirmer que l'on est à la fois pour les droits des femmes et porter le signe ostensible et reconnu partout comme tel de la soumission de la femme à l'homme, parce que considérée comme impudique, ça, ce n'est servir ni sa foi ni son engagement. On est là dans l'individualisme le plus incohérent et le plus destructeur de tout ce qui nous est commun. Qu'un individu, la présidente de l'UNEF de Paris Sorbonne en l'espèce, puisse y succomber, c'est dommage. Mais qu'un syndicat étudiant qui représente les combats de la gauche depuis 1946 s'y complaise, c'est impardonnable.

Polémique sur la militante voilée de l'UNEF : la réponse de Laurent Bouvet

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151 commentaires
  • AUROUZE15

    le

    Combien d étudiant représentent l UNEF sorbonne?
    En pourcentage..?
    comment est élu un/une président(e) UNEF ,?En effet les etudiants UNEF(mais combien sont ils?) ont voté ou pas?
    21/05/2018 à 14h05

  • marc v.

    le

    un laïque convaincu ??
    un laïc convaincu plutôt non ?

  • marc v.

    le

    Je persiste à revendiquer mon droit d'ignorer les convictions religieuses [et autres] des citoyens que je croise dans la rue et tout espace public d'ailleurs. Et je revendique mon droit à avoir des yeux qui voient...

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