Comment le "sauvetage" de Chypre a ouvert la voie à la nouvelle guerre froide

Voici un an, les déposants chypriotes devaient renflouer leurs banques. Une décision prise pour sauvegarder les contribuables européens, mais qui a ouvert la voie à la confrontation avec Moscou. Vladimir Poutine doit encore s'en souvenir.
Les déposants russes ont payé le prix fort du "sauvetage de Chypre"

Les sanctions économiques européennes n'auront donc pas impressionné Vladimir Poutine. Le président russe a annoncé mardi l'annexion de la Crimée, tandis que les forces pro-russes s'emparent des positions militaires ukrainiennes dans la péninsule. Mais comment pouvait-il en être autrement, alors même que la Russie est déjà victime depuis une année de sanctions qui ne disent pas leur nom. De sanctions bien plus gênantes pour l'économie russe que le simple gel d'avoirs de quelques oligarques.

De quoi s'agit-il ? Du « sauvetage » de Chypre, bien évidemment. Voici un an jour pour jour, l'Europe organisait en effet le gel de fait de plusieurs dizaines de milliards d'euros de fonds russes. Sans que la Russie n'ait donné de raisons directes de devoir alors subir de telles représailles.

Chypre et la Russie

Rappelons les faits. Chypre est, depuis la fin de l'URSS, la porte d'entrée des fonds russes vers l'occident. La faible fiscalité, les compétences légales et financières du pays, sa structure juridique proche de celle du Royaume-Uni, sa stabilité monétaire, les rendements offerts et une certaine opacité ont concouru à faire de Chypre un « tuyau » pour l'argent russe. L'argent déposé à Chypre était souvent réinvesti en Russie ou en Ukraine.

L'impact de la restructuration de la dette grecque

Les deux grandes banques chypriotes, la Laïki et la Bank of Cyprus (BoC), chargés de dépôts russes, ont investi tous azimuts, souvent inconsidérément. Aussi se sont-elles gorgées de dette grecque. Lorsque, en mars 2012, les Européens ont décidé de restructurer la dette grecque détenue par les créanciers privés, les deux banques de l'île ont figuré parmi les premières victimes. Incapables de faire face, leur existence n'a plus tenu qu'au programme de la BCE d'accès à la liquidité d'urgence.

Le choix de Berlin de « faire payer les Russes »

La Russie, qui avait prêté en 2011 2,5 milliards d'euros à Nicosie, était alors en droit d'attendre que les Européens assumassent leurs actes et sauvassent les banques chypriotes. Mais, de leur côté, les Européens espéraient, sans le dire, que le Kremlin vînt au secours de ses propres déposants. La pression était notamment forte dans ce sens à Berlin. Angela Merkel savait qu'elle devrait s'allier après les élections du 22 septembre 2013 avec les Sociaux-démocrates qui réclamaient de faire « payer les riches Russes. » Elle savait aussi que la campagne allait être marquée par l'émergence d'un parti anti-euro et que sa population refuserait de garantir un nouveau plan d'aide sans « compensations. » La chancelière était donc décidée à faire payer les Russes pour les banques chypriotes pour préserver les intérêts du sacro-saint contribuable allemand.

Le blocage des fonds russes

En avril 2013, l'Europe impose donc, non sans mal, ses choix : une aide « minimale » du MES et du FMI et une contribution considérable des déposants de plus de 100.000 euros. Les fonds de ces derniers sont soit gardés sous séquestre, soit convertis unilatéralement en actions de la Bank of Cyprus, seul établissement survivant. Actions qui ne sont évidemment pas négociables pour l'instant sur le marché. Pour assurer le succès de l'opération, un contrôle des changes a été instauré et est encore en vigueur, qui empêche le rapatriement des fonds pour les investisseurs étrangers.

Impact économique

Très clairement, donc, les Européens ont voulu « faire payer les Russes » et ont disposé de l'argent russe à leur convenance. L'impact économique de ces mesures sur la Russie et l'Ukraine, deux pays où Chypre était respectivement le premier et le deuxième investisseur, est difficile à estimer. Il n'a cependant pas été nul. En 2012 (dernier chiffre disponible), selon l'agence russe de statistiques, 16 milliards de dollars (environ 11,4 milliards d'euros) avaient été investis en Russie, soit 10 % du total des investissements directs étrangers.

A Moscou, on a pu prendre ce « sauvetage chypriote » comme une déclaration de guerre économique. Et une défaite. La prochaine bataille se jouait évidemment en Ukraine avec le traité d'association avec l'Union européenne. Logiquement, Vladimir Poutine ne pouvait accepter, après la défaite chypriote, de reculer encore en Ukraine. D'où l'offre d'une aide de 50 milliards d'euros au gouvernement Ianoukovitch et son refus du changement de régime à Kiev.

L'obsession de Vladimir Poutine

Mais l'impact de l'affaire chypriote est peut-être moins économique que politique et moral. La Russie a ressenti l'utilisation des fonds russes pour « éponger » les erreurs des Européens et assurer la stratégie électorale d'Angela Merkel comme une humiliation. Or, cette idée que l'occident méprise la Russie obsède autant Vladimir Poutine que le bien-être des contribuables souabes hante les nuits d'Angela Merkel. Pour preuve, on lira cette description d'un dîner d'un journaliste américain avec le président russe. « Ce qui me frappa le plus durant la conversation, note Adi Ignatius qui a rencontré Vladimir Poutine en 2005, ce fut à quel point Poutine est occupé et sans nul doute motivé par la conviction que l'Occident regarde avec mépris les Russes. » Plus tard, le maître du Kremlin explique : « tout le monde pense que c'est bien de pincer les Russes. Ils sont encore un peu sauvages, ou ils viennent juste de descendre des arbres et probablement, ils ont besoin de se peigner et de nettoyer leur barbe… »

Faire respecter la Russie

Le traitement affligé aux déposants russes à Chypre n'a pu que confirmer le président russe dans cette opinion. D'autant que pour des raisons de communication, les Européens ont entretenu l'image du déposant russe à Chypre comme une sorte de mafieux criminel, véhiculée à l'envi par les médias occidentaux. Une image qui, évidemment, justifiait toutes les expropriations. Il serait naïf de penser que le souvenir de cette humiliation et que la confirmation de l'obsession du président russe offerte par les Européens n'ait pas eu de conséquences lors de la crise ukrainienne. Le Kremlin aura, cette fois, été décidé à rappeler à l'Occident la puissance russe pour, finalement, s'en faire « respecter. »

La double erreur allemande

L'histoire devra sans doute un jour revenir en détail sur l'influence des choix imposés par Berlin tant lors de la restructuration de la dette grecque que lors du plan chypriote sur les événements qui se déroulent aujourd'hui en Crimée et en Ukraine. Mais il est évident que cette influence n'a pas été mince. A présent, l'Europe est coincée par sa dépendance au gaz russe. La vision à courte vue de Berlin a réveillé l'ours russe. Le faire rentrer dans sa grotte ne sera pas aisé.

 

Commentaires 37
à écrit le 23/03/2014 à 17:49
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Débarassons-nous de cette Europe qui ne peut qu'apporter la misère et la guerre. Oui à un europe démocratique et paisible, retour à l'Europe à 15 et c'était déjà difficile à 15.

à écrit le 22/03/2014 à 0:13
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Le raisonnement tiendrait la route si c'était l'Ukraine qui était à l'origine de ça. Mais donc en fait le terroriste Poutine décide de punir l'Ukraine pour une action allemande. Elle est où la logique ?

à écrit le 20/03/2014 à 14:25
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Tiens , en parlant de l'annexion de la Crimée et de Chypre... il me semble qu'on oublie qu'on n'a jamais rien fait concernant l'annexion militaire de la moitié de Chypre, si ce n'est entamer des négociations avec les envahisseurs pour les faire rentr...

à écrit le 20/03/2014 à 14:09
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Soyons clair, à qui profitait le système chypriotte, à la zone Euro ou a la Russie? Que l'europe ai eut l'indigence de faire entrer Chypre dans son giron c'est une chose cependant c'est bien à la Russie que profitaient les largesses du système bancai...

le 20/03/2014 à 19:07
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non, justement. Vous: à qui profitait le système chypriotte, à la zone Euro ou a la Russie? Que l'europe ai eut l'indigence de faire entrer Chypre dans son giron c'est une chose. Oui, c'est une chose, et une chose essentielle: l'Europe ne peut...

à écrit le 20/03/2014 à 13:56
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Intéressant éclairage sur la Russie et les erreurs européennes. Qui a eu l'idée saugrenue de faire entrer Chypre dans l'UE, demain l'Ukraine, puis la Turquie et enfin l'Afghanistan ?

à écrit le 20/03/2014 à 12:00
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L'Union Européenne a obligé Chypre à voler les avoirs des gros déposants russes. Si c'étaient des mafieux, ou oligarques sans foi ni loi, ils ne seraient pas restés sans réaction. On a assassiné des personnalités pour moins que ça, et ils en auraient...

à écrit le 20/03/2014 à 11:37
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Le "machin" européen fonctionne en dépit du bon sens.... L'affaire chypriote en est l'exemple parfait!!! Nous avons été prévenus " Chypre est un cas d'Ecole " il ne faudra pas pleurer quand il y aura un hold-up général sur vos économies....

à écrit le 20/03/2014 à 10:38
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Il fallait s´ y attendre , l ´invasion de la Crimée c´est bien de la faute des allemands et de Merkel qui a manigancé à Chypre pour être réélue ... Ca c´est de l analyse qui m´impressionne !

à écrit le 20/03/2014 à 10:18
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Après autant de déconvenue sur le compte de Union Européenne et son avenir "tout rose", voilà qu'elle nous avez promis "la paix" mais ce sera "la guerre"!

à écrit le 20/03/2014 à 9:26
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les commentaires sont rigolos car assez tranché entre les pro-poutine et les autres. En fait il est assez clair dans cette histoire que malheureusement tout le monde a raison. Apres le curseur de la mauvaise fois penche ou on veut...

à écrit le 20/03/2014 à 8:54
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Concernant Chypre, quelle idée de l'avoir intégrée à l'Union Européenne, et encore pls qu'elle intègre a zone Euro.

à écrit le 19/03/2014 à 23:10
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Quelle etat la solution pour Chypre rembourser les oligarques russes et onctionner les petitsepargnants locaux? Franchement une telle analyse geopolitique me laisse pantois...

le 20/03/2014 à 6:26
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Chypres c'était une broutille. On va beaucoup rigoler quand les banques espagnoles, italiennes etc. vont s'effondrer : même en vous prenant tout sur votre compte, ça ne suffira pas ...

le 20/03/2014 à 8:11
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Pour info l'économie espagnole et italienne repartent lentement mais clairement. Vous êtes au FN pro-Poutine pour toujours vouloir un effondrement de l'Europe et son invasion par Poutine comme la Moldavie en ce moment après la Crimée ?

le 20/03/2014 à 14:47
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Vous êtes soulant en rabachant que Poutine à envahi la Crimée. Il faudrait arrêter de prendre les Criméens pour des moins que rien : une occupation militaire hostile Russe en Crimée se serait fait sans aucun mort, sans aucune résistance et résigné, l...

à écrit le 19/03/2014 à 18:30
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Quant il s'agit de couper le gaz en hiver à tel ou tel pays ou de mettre un veto en Syrie pour ses propres intérêts malgré des centaines de milliers de victimes en conséquence, Poutine ne se gêne pas. En Islande les néerlandais et anglais ont payé sa...

le 19/03/2014 à 20:12
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@dur dur: chacun défend ses propres intérêts (et c'est normal) sauf Hollande qui s'aligne aveuglément sur les US :-) Quant aux Anglais, je pense que tu ne sais pas tout ou que tu fais de l'idéologie aveugle parce qu'ils ne sont pas les derniers à déf...

le 19/03/2014 à 21:47
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Vous blâmez beaucoup de monde sauf les vrai responsables : qui sont ceux à Bruxelles qui ont signé les papiers pour que Chypre rentre dans l'Euro en 2008 ? C'est par ce genre "d'erreur" que les gens doutent dans la construction Européenne (si ce fut ...

le 20/03/2014 à 2:27
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@ Patrickb : en quoi Hollande s'aligne sur les Etats-Unis ? L'Europe a beaucoup de points communs avec les Etats-Unis et c'est tant mieux. Quant aux anglais tout le monde défend ses intérêts mais en Islande ils n'ont pas été intégralement remboursés ...

le 20/03/2014 à 6:14
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Avant on nous payait pour répéter des éléments de langage, c'était cool comme job. Maintenant il faut improviser et raconter n'importe quoi. Du coup on est débusqués et on passe pour des imbéciles. Tout ça pour finir à pôle emploi dans quelques mois ...

le 20/03/2014 à 8:15
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On a tenté de reprendre les propos de Poutine mais çà ne marche pas tellement c'est mensonger, en plus nous n'avons aucune culture donc aucun argument et nous sommes payé en roubles qui n'arrête plus de chuter. Dur dur d'être poutinien !

le 20/03/2014 à 8:16
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On a tenté de reprendre les propos de Poutine mais çà ne marche pas tellement c'est mensonger, en plus nous n'avons aucune culture donc aucun argument et nous sommes payé en roubles qui n'arrête plus de chuter. Dur dur d'être poutinien !

le 20/03/2014 à 8:29
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Les pro-Poutine sont au FN qui soutient à fond la politique de démantèlement de l'Europe pour mieux être vassalisée par la Russie, comme au temps des collabos. Intéressants ces liens : http://french.ruvr.ru/news/2014_03_05/Ukraine-Marine-Le-Pen-souti...

le 20/03/2014 à 15:02
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Faux, je suis contre FN et pourtant je ne peux blâmer Poutine dans la crise Ukrainienne. Par ailleurs vielle technique qui consiste à agiter le drapeau FN pour faire rentrer les moutons du bon coté de t'étable. Si l'Ukraine est ennemi de Poutine, il ...

à écrit le 19/03/2014 à 17:24
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La décision européenne est tardive mais a mon avis pas scandaleuse. On aurait aimé voir les spéculateurs de tous les pays responsabilisés de la même façon et un contrôle des capitaux aussi solide mis en place sur le dollar et la livre sterling. Je su...

à écrit le 19/03/2014 à 17:00
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J'attends avec impatience l'article de Romaric Godin qui explique que la disparition de l'avion de Malaysian Airlines est la faute des Allemands !

à écrit le 19/03/2014 à 16:38
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Pourquoi dire que l'allemagne est seule responsable ,tous les pays y compris la France étaient d'accord sur ce qui a été fait.Et en cequi concerne l'Ukraine c'est l'Europe qui voulait entuber Poutine en lui piquant son seul port sur la Méditérannée

le 19/03/2014 à 18:34
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Et c'est même l'Europe qui est responsable de la disparition des dinosaures et des 7 plaies d'Egypte... trop forte l'Europe !

le 19/03/2014 à 20:40
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Le seul port méditerranéen des russes c'est lattaquié en Syrie donc guerre en Syrie. L'Ukraine n'a des ports que sur la mer noire, pour aller en méditerranée faut passer le Bosphore donc la Turquie donc l'OTAN. Désolé cher geostratège, mais les eur...

à écrit le 19/03/2014 à 16:31
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La démonstration est bancale ,on mélange tout ,et au final on donne la faute à l'allemagne.C'est la faute des allemands si 2 banques chypriotes ont spéculé sur la dette Greque?C'est la faute aux allemands si la Crimée a voté à 96% pour Poutine??

à écrit le 19/03/2014 à 16:21
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Oui, mais en même temps les dépôts n'ont jamais été garantis, pas plus que les dettes des états, si les déposants l'ont oublié pour diverses raisons plus ou moins avouables, c'est tant pis pour eux. Cependant, j'avais oublié cette histoire, mais j...

à écrit le 19/03/2014 à 16:12
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Que Chypre soit coupée en 2 dont un morceau en contradiction avec les "règles" européennes, ça par contre on n'en parle même pas...

le 20/03/2014 à 14:28
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Enfin quelqu'un qui en parle ! Merci !

à écrit le 19/03/2014 à 15:40
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1) une bonne partie de l argent russe deposé a chypre a ete acquis par des methodes "discutables".. Au mieux il s agit d evasion fiscale, au pire de detournement de fond, racket ou autre. Je vois pas pourquoi le contribuable europeen devrait passer a...

à écrit le 19/03/2014 à 15:02
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Excellente analyse, à la place des Russes nous aurions réagit de même. La version extrêmement individualiste de Berlin est contraire et fragilise l'esprit de l'union européenne. Mais je ne pense pas que ce ne soit qu'à Berlin qu'il y ait des responsa...

le 19/03/2014 à 18:36
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A Chypre il fallait donc laisser payer les plus pauvres car ils sont fait pour être très pauvres et les riches très riches ??

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