Les femmes ayant rejoint les rangs de l’organisation Etat islamique (EI) ont longtemps bénéficié d’un biais de genre inversé, conduisant les acteurs de l’antiterrorisme à sous-estimer leur degré de radicalité. « On a peut-être été trop scrupuleux au début en se disant que les femmes suivaient leur mari et se cantonnaient à des tâches ménagères en Syrie », reconnaissait le procureur de Paris, François Molins, dans un entretien au Monde en 2016.
Une analyse plus fine du phénomène a convaincu le système judiciaire de prendre en compte la spécificité des muhajirat (femmes migrantes), qui sont aujourd’hui systématiquement arrêtées à leur retour.
La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), une direction centrale du ministère de la justice, a même consacré en mars une étude au « djihad des femmes » à partir des auditions de Françaises rentrées de Syrie, trois ans après avoir produit un travail similaire sur les hommes en 2015. Le Monde a pris connaissance de ce document interne.
Destiné aux magistrats, il relève en préambule que le phénomène est historique : la proclamation du « califat », en juin 2014, a été à l’origine d’un « mouvement inédit » de migration de femmes occidentales désireuses d’intégrer une entité terroriste. Au 19 janvier, les services comptabilisaient 298 Françaises ayant rejoint l’EI, soit près de la moitié des 676 adultes recensés sur zone (ces chiffres ne tiennent pas compte des nombreux décès survenus ces derniers mois). Sur les 72 femmes rentrées en France, vingt-six sont mises en examen – dont quinze sont en détention provisoire – et six ont été jugées.
Malgré la difficulté à « dégager une figure type » permettant de fixer une politique de poursuite unique, la DACG met en avant quelques grandes tendances permettant d’interpréter leurs motivations, leurs activités sur zone et la menace que certaines sont susceptibles de représenter en France.
Les motivations : un « projet sociétal » fantasmé
Si plusieurs Françaises ont rejoint l’EI sous la contrainte de leur mari, la plupart des muhajirat interrogées à leur retour expriment une « adhésion idéologique assumée » au projet djihadiste. Elles décrivent leur engagement comme un mouvement simultané d’« aversion » pour l’Occident, de victimisation et d’attraction : le « califat » leur apparaît comme un moyen de vivre leur foi « délivrée de l’oppression occidentale », et comme une perspective d’accomplissement dans un projet sociétal idéalisé.
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