Suakin, Soudan – Avec l’annonce récente d’un ambitieux projet de développement, l’île soudanaise de Suakin, depuis longtemps négligée malgré son passé prestigieux, est devenue l’improbable objet d’une lutte d’influence dans la région de la mer Rouge. L’accord annoncé en décembre dernier, qui prévoit que l’ancien port ottoman de Suakin serait loué à la Turquie pour une durée de 99 ans afin d’être transformé en complexe touristique à l’intention des pèlerins en route pour La Mecque, suscite de vives inquiétudes en Arabie Saoudite et en Égypte.

Riyad et ses alliés se démènent pour contrer ce qu’ils considèrent comme une manœuvre d’Ankara visant à étendre son influence en profitant de rivalités régionales de plus en plus âpres, le gouvernement soudanais s’efforçant de dresser l’un contre l’autre les deux camps pour tenter de faire venir les investisseurs au chevet de son économie anémiée.

Si les responsables locaux ont accueilli favorablement l’accord avec la Turquie, certains résidents de Suakin ont annoncé leur intention de s’opposer à un projet de revitalisation dont ils disent qu’il a été conclu sans la moindre consultation, et qui met en péril leurs “droits historiques” sur l’île. Beaucoup d’habitants ignorent d’ailleurs pratiquement tout des projets turcs pour l’île, et préféreraient que le gouvernement investisse dans les infrastructures de base au profit des communautés locales, qui ne bénéficient toujours pas de routes goudronnées, de fourniture stable d’électricité, d’eau potable, d’équipements publics adéquats.

La navette avec le port saoudien de Djeddah

Le seul hôpital public de la ville date d’avant l’indépendance du Soudan en 1956 et parmi les 50 000 habitants de Suakin, beaucoup se plaignent que leur ville a été délibérément négligée depuis plusieurs décennies par les gouvernements successifs de Khartoum, qui ont préféré investir à Port-Soudan, la capitale de l’État de la mer Rouge, située à cinquante kilomètres au nord, et qui compte aujourd’hui près d’un demi-million d’habitants. Tout en amarrant sa petite barque de pêche en bois, Adam Ali Oshiek déclare que la vie à Suakin est loin d’être facile. Il gagne chaque jour entre 60 et 90 livres soudanaises (entre 2,5 et 4 €) en vendant le produit de sa pêche sur le marché local, où ses clients sont pour la plupart des passagers et des membres d’équipage des ferries et des navires de commerce qui font la navette avec le port saoudien de Djeddah. “Je vis avec seulement deux ou trois dollars par jour, ce qui est la moyenne des revenus de la majorité des habitants de la ville, observe Oshiek. Mais ceux qui travaillent sur le port gagnent encore moins que ça.”

Osman Baksair, le propriétaire d’un des rares hôtels de Suakin, explique que son commerce dépend largement de l’industrie du fret maritime, et des voyageurs et commerçants qui font la traversée entre le Soudan et l’Arabie Saoudite. Pour lui, tout ce qui est susceptible d’attirer des touristes, des investissements et des opportunités d’emploi à Suakin est bienvenu. “Nos recettes doublent pendant la saison du hadj [le pèlerinage à La Mecque], quand des milliers de personnes font étape à Suakin, remarque Baksair. Le marché s’élargit considérablement pendant cette période. Notre ville est restée trop longtemps dans l’oubli.”

L’irresponsabilité du gouvernement

Le même optimisme se constate chez Hashim Abu Fatima, le maire de Suakin, qui espère que la revitalisation de l’île, confiée à l’agence publique turque d’aide au développement Turkish Cooperation and Coordination (