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Bruno Julliard, ex-président de l'Unef : "Le discours de l'Unef pour défendre le voile, ce sont des décennies de combat piétinées"
Bruno Julliard s'exprime fortement contre le port du voile par un représentant de l'Unef.

Bruno Julliard, ex-président de l'Unef : "Le discours de l'Unef pour défendre le voile, ce sont des décennies de combat piétinées"

Entretien

Propos recueillis par

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Bruno Julliard, président de l'Unef entre 2005 et 2007, contredit ses successeurs à la tête du syndicat étudiant. Pour lui, le voile portée par Maryam Pougetoux, présidente de l'AGE de Paris IV, a bien une portée politique. Il critique vertement dans "Marianne" la "radicalisation" et la "marginalisation" de son ex-organisation.

"C'est la polémique de trop", nous explique Bruno Julliard. Parce qu'il n'est en rien d'accord avec la direction de l'Unef, incarnée par sa présidente Lilâ Le Bas, le premier adjoint à la mairie de Paris a décidé de s'exprimer fortement sur le port du voile dans le syndicat qu'il a présidé entre 2005 et 2007. S'il reconnaît le droit "démocratique" de Maryam Pougetoux de porter ce vêtement, il conteste le choix du syndicat de gauche de nier la portée politique du voile. Pour Marianne, l'élu s'exprime sur la signification qu'il donne à ce signe religieux, sur le discours à tenir aux jeunes générations tentées par les thèses communautaristes et sur l'évolution de l'Unef, qu'il accuse de "radicalisation politique".

Marianne : Vous n’avez pas l’habitude de commenter l’actualité de l’organisation que vous avez présidée entre 2005 et 2007. Pourquoi sortir de votre réserve aujourd’hui ?

Bruno Julliard : Cela fait dix ans que je m’attache à respecter l’indépendance de l’Unef, que je garde le silence sur les décisions de sa direction. Notamment parce que, quand je présidais ce syndicat, je ne supportais pas les commentaires incessants des anciens dirigeants. Mais ce qui se passe aujourd’hui est grave. Voir qu’une présidente de section locale de l’Unef porte le voile et voir qu’elle est soutenue par les dirigeants de cette organisation, ça me tord le ventre. Ce n’est pas supportable.

Selon vous, on ne pourrait donc pas représenter l’Unef quand on est voilée ?

Evidemment non. Il ne faut pas confondre le droit et la bataille politique. Je ne connais pas cette militante. Dans notre démocratie, elle a évidemment le droit de s’habiller comme bon lui semble et elle est certainement sincère dans sa démarche. Mais, quoi qu’elle en pense, son voile est le signe d’une bigoterie patriarcale et sexiste en contradiction avec les combats féministes que l’Unef a toujours portés. Quand elle choisit d’arborer ce vêtement alors qu’elle s’exprime en tant que porte-parole de cette organisation, elle fait passer un message politique qui implique cette organisation. Ça pourrait paraître anecdotique, mais ça ne l’est pas du tout.

"Son voile est le signe d’une bigoterie patriarcale et sexiste en contradiction avec les combats féministes que l’Unef a toujours portés."

La présidente de l’Unef, Lilâ Le Bas, estime qu’on peut être « voilée et féministe ».

Plus que l’attitude individuelle de cette militante, ce que je trouve le plus choquant dans cette affaire, c’est celle des dirigeants actuels de l’Unef qui ne se rendent pas compte qu’ils défendent des pratiques en contradiction totale avec l’histoire et les valeurs de ce syndicat. Bien sûr, Maryam Pougetoux peut légitimement faire une interprétation personnelle de son voile. Mais l’Unef ne peut se contenter de cette explication. Ce vêtement est devenu un symbole patriarcal et rétrograde, qu’on le veuille ou non. J’observe d’ailleurs que cette étudiante a choisi de porter un hijab et non un petit foulard. Ce voile, et plus encore les discours pour le défendre, ce sont des décennies de combat pour l’émancipation des femmes piétinées.

Ces militants rejettent massivement l’universalisme républicain comme outil efficace de lutte contre le racisme. Est-ce une question de génération ?

Non, je ne pense pas. Il ne faudrait pas laisser penser que tous les jeunes militants sont sur cette ligne. Mais cette dérive est favorisée par la crise culturelle de la gauche. Aujourd’hui, l’Unef n’est plus l’organisation commune à toutes les gauches. Cela fait plusieurs années que je constate avec tristesse sa radicalisation politique, qui va de pair avec sa marginalisation électorale. Aujourd’hui, ce syndicat est sensible à certaines thèses essentialistes, qui étaient déjà poussées à mon époque par des organisations d’extrême gauche. L’Unef a probablement aujourd’hui besoin d’une introspection et d’une refondation radicales.

"L’Unef a probablement aujourd’hui besoin d’une introspection et d’une refondation radicales."

En perdant de son influence sur ce syndicat, le Parti socialiste ne porte-il pas une part de responsabilité ?

Non, maintenir la tutelle d’un parti sur l’Unef n’est pas la solution. Il est important que ce syndicat soit indépendant des forces politiques. Ces étudiants sont des adultes et c’est à eux de se prendre en main. Seulement, il est inquiétant que cette indépendance se fasse en abandonnant la culture politique, les combats qui ont fait l’histoire de cette organisation.

Comment convaincre ces jeunes militants qu’ils font fausse route en défendant le port du voile ou les réunions réservées aux personnes « racisées » ?

Ce débat est compliqué car il est depuis quelque temps instrumentalisé par l’extrême droite. Il faut dénoncer le racisme à chaque fois, mais sans céder un centimètre sur nos principes. Se positionner par rapport aux réactions des uns et des autres, c’est ce qu’il y a de pire. Il ne faut donc pas s’interdire de remettre en cause les comportements religieux quand ils portent des idéologies rétrogrades. Je rappelle d’ailleurs que la section de l’Unef de Paris IV est historiquement celle de Jean Poperen, à la pointe des combats laïques et progressistes.

"Quand on parle de laïcité, il faut à chaque instant chercher à convaincre, à rassembler le plus grand nombre vers la maison commune, à dresser des ponts et pas des murs."

Vous retrouvez-vous dans la défense de la laïcité vigoureuse incarnée aujourd’hui par Manuel Valls ou Laurent Bouvet ? Les militants de l’Unef semblent aujourd’hui rejeter avec virulence cette ligne.

Je peux partager des convictions avec Manuel Valls et le Printemps républicain, mais je goûte peu la méthode... Je trouve leur positionnement trop excluant. Quand on parle de laïcité, il faut à chaque instant chercher à convaincre, à rassembler le plus grand nombre vers la maison commune, à dresser des ponts et pas des murs. C’est en faisant preuve de pédagogie qu’on réussira à convaincre les nouvelles générations. Les choses peuvent aller vite. En 2013, l’Unef défendait encore la laïcité de manière extrêmement claire. Il y a donc des raisons d’être optimiste.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne