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    En Irlande, les applis anti-avortement partagent leurs données avec la NRA ou des groupes pro-Trump

    Save the 8th et Love Both sont hébergées par l'entreprise qui gérait celles des campagnes pour le Brexit et la campagne présidentielle de Trump.

    En Irlande, les deux plus grands mouvements anti-avortement doivent justifier leur politique de respect de la vie privée depuis qu’une enquête de BuzzFeed News a découvert que les données personnelles de leurs utilisateurs, collectées par leurs applications, sont susceptibles d’être partagées par un réseau international de groupes conservateurs et religieux, dont la National Rifle Association américaine.

    Save the 8th et Love Both Project sont à l’avant-poste de la campagne qui vise à empêcher l’abrogation du 8e amendement de la constitution irlandaise – celui qui rend l’avortement illégal dans la plupart des situations – lors du référendum qui aura lieu dans le pays le vendredi 25 mai.

    Les deux groupes ont lancé des applis communautaires militantes pour encourager ceux qui les soutiennent à organiser leurs réseaux de contacts afin de les amener à voter contre l’abrogation.

    L’applis My8 de Save the 8th et l’appli Love Both ont été développées par la même entreprise basée à Washington DC, Political Science Media LLC, spécialisée dans l’élaboration d’outils de campagnes numériques pour des groupes conservateurs, religieux et anti-avortement.

    uCampaign, qui héberge l’appli Love Both, et Jarbik, qui héberge My8th, sont toutes deux inscrites chez Political Science Media.

    Non seulement les deux applis sont élaborées selon un modèle quasiment identique, mais en outre elles partagent des conditions d’utilisation presque copiées l’une sur l’autre. BuzzFeed News a enquêté et découvert que les utilisateurs doivent accepter que leurs données personnelles soient partagées avec tous les groupes de campagne et tous les clients choisis par l’entreprise, quels qu'ils soient.

    Groupes pro-Brexit, anti-mariage pour tous

    La politique de confidentialité accessible depuis la page de l’iTunes store pour les deux applis explique qu’en plus de partager des informations personnelles avec des campagnes de tiers sélectionnées par des utilisateurs depuis les applis, uCampaign et Jarbik «sont susceptibles de partager vos informations personnelles avec d’autres organismes, groupes, causes, campagnes, organisations politiques et nos clients qui nous semblent avoir les mêmes points de vue, principes ou objectifs que nous.»

    Cela signifie que les données peuvent non seulement être partagées par les deux groupes irlandais anti-avortement ostensiblement distincts, mais aussi par d’anciens clients comme la NRA, la campagne présidentielle de Trump, le Republican National Committee et la Susan B Anthony List, qui est une grande association américaine anti-avortement. Au Royaume-Uni, ce réseau comprend le parti conservateur et Vote Leave, le principal mouvement pro-Brexit.

    Cette société a aussi développé des applis pour l’Australian Christian Lobby et Marriage Alliance, deux groupes qui ont vainement fait campagne contre le mariage pour tous dans le cadre du référendum australien de décembre dernier.

    BuzzFeed News a demandé de nombreuses fois à uCampaign, Love Both et Save the 8th si les données collectées par le biais de l’utilisation des applis individuelles avaient été partagées par les deux associations entre elles ou avec un ou plusieurs de ces autres groupes, mais nous n’avons reçu aucune réponse.

    Les utilisateurs des applis Love Both et My8 sont invités à accepter les termes de la politique de confidentialité lorsqu’ils les téléchargent, et les liens vers cette politique restent dans l’appli une fois celle-ci téléchargée.

    Elles demandent aux utilisateurs d’accepter de donner accès à leurs contacts pour pouvoir utiliser les fonctions les plus basiques de l’appli, notamment les e-mails, WhatsApp, les textos, Twitter ou Facebook pour partager du matériel de campagne, ce qui rapporte des points d’achat aux utilisateurs à l’intérieur de l’appli.

    Parmi les informations personnelles susceptibles d’être partagées se trouvent le nom, l’adresse e-mail, l’adresse postale, le numéro de téléphone, la géolocalisation, l’image et le sexe de la personne.

    «Si vous n’acceptez pas les termes de la politique de confidentialité, vous ne pouvez pas utiliser la plateforme» peut-on lire à la fois sur Love Both et My 8.

    Inquiétudes autour des ingérences étrangères

    Les inquiétudes autour du partage des données et des ingérences étrangères sont un thème constant dans la campagne autour du référendum sur l’avortement en Irlande, et ce depuis le tout début. Des preuves que des associations non-irlandaises ont payé pour publier des posts Facebook incitant les utilisateurs irlandais à voter contre la légalisation de l’avortement ont déjà été produites.

    Si Facebook a récemment interdit les publicités autour du référendum venant d’ailleurs que d’Irlande, les associations locales peuvent continuer de payer pour faire leur promotion et cibler leurs contenus. En revanche, Google a fait cesser toutes les publicités en rapport avec le référendum, y compris de l’intérieur de l’Irlande.

    Dans un post de blog décrivant les succès des applis de la campagne Vote Leave et de celle de Trump, qui fonctionnent de la même manière que celles utilisées par les mouvements anti-avortement, un porte-parole de uCampaign explique que l’appli Trump a pu «associer les contacts des carnets d’adresses des soutiens à tout un univers d’électeurs.»

    Une analyse des deux applications par un consultant indépendant spécialiste de la protection des données et de la vie privée, Pat Walshe, à l’aide d’un outil appelé Exodus Privacy, a révélé qu’elles pouvaient avoir accès à toute une série de données des utilisateurs, notamment leur localisation, leurs contacts et leur calendrier.

    «Les deux applis contiennent aussi des codes de suivi des données qui peuvent avoir un impact sur la vie privée de l’utilisateur» a expliqué Walshe à BuzzFeed News.

    Parmi les trackers intégrés dans les deux applis figure Facebook Analytics, décrit par Facebook comme «votre outil de croissance tout-en-un» qui utilise des entonnoirs, des cohortes, des segmentations, des tableaux de ventilation, des campagnes de notifications automatiques et des informations démographiques poussées pour segmenter et analyser le comportement des utilisateurs.

    «Un certain nombre de questions se posent pour savoir à quel degré les données collectées par les applis sont associées à d’autres données et à des profils créés et utilisés, expose Walshe, qui ajoute : Je ne crois pas que les gens qui téléchargent l’appli sont conscients de l’existence des trackers et de la façon dont ils sont utilisés pour permettre à des tiers comme les développeurs/plateformes basées aux États-Unis de surveiller le comportement des utilisateurs.»

    Les données figurant dans l’appli My8 montrent qu’elle a été signée et publiée par «Social Political Media (Thomas Peters)», du nom d'un blogueur catholique, Thomas Peters. Ce dernier est également cité comme contrôleur des données pour l’appli Love Both app et la politique de confidentialité liée à uCampaign. Thomas Peters n’a pas répondu à nos nombreuses demandes de commentaires sur les applis et la manière dont elles partagent les données collectées.

    Political Social Media est également derrière un service de messagerie de campagne peer to peer, RumbleUp – lancé en février – qui a récemment revendiqué avoir organisé sa première campagne internationale «pour inciter par notifications 12 000 partisans potentiels d’un article de loi dans un pays étranger à contacter leur représentant élu local avant que le vote n’ait lieu.».

    En dépit du fait que les deux groupes soient domiciliés à la même adresse dans le centre de Dublin et qu’ils utilisent des applis générées par la même entreprise, Save the 8th et Love Both ont affirmé que leurs campagnes n’étaient absolument pas liées..

    Ce post a été traduit de l'anglais par Bérengère Viennot.