MALADIE« Le virus Nipah est mortel dans 70 % des cas »

Inde : « Le virus Nipah est mortel dans environ 70 % des cas »

MALADIELe virus sévit actuellement en Inde, où il a coûté la vie à 2 personnes
Ces dernières semaines, le virus Nipah a coûté la vie à 10 personnes dans la région du Kerala en Inde (2018).
Ces dernières semaines, le virus Nipah a coûté la vie à 10 personnes dans la région du Kerala en Inde (2018). - AP/ / SIPA
Anissa Boumediene

Propos recueillis par Anissa Boumediene

L'essentiel

  • Deux personnes sont mortes en Inde, touchées par Nipah.
  • Quel est ce virus ? Quels sont les symptômes ? Est-il mortel et existe-t-il un traitement ?
  • 20 Minutes avait interviewé en 2018 Frédéric Tangy, directeur de recherche au CNRS et chef de l’unité de génomique virale et vaccination à I’Institut Pasteur, pour en savoir plus. Nous vous proposons de relire cette interview.

Le Kerala, Etat du sud de l'Inde, est en alerte face à Nipah. Jeudi dernier, le 14 septembre 2023, les autorités ont indiqué que deux personnes sont mortes, atteintes par ce virus. Trois autres personnes ont été testées positives. En 2018, le pays était déjà confronté à Nipah. Nous vous proposons donc de (re)lire cette interview que nous avions réalisée à l'époque.

Une dizaine de morts recensés ces dernières semaines. En Inde, une épidémie sévit actuellement dans la région du Kérala. En cause : le virus Nipah, un virus émergent dangereux et mortel. Parmi les premières morts figurent plusieurs membres d’une même famille, mais aussi une infirmière qui les a soignés, elle aussi emportée par le virus. Quels sont les symptômes ? Est-il mortel et existe-t-il un traitement ? Frédéric Tangy, directeur de recherche au CNRS et chef de l’Unité de génomique virale et vaccination à I’Institut Pasteur, travaille actuellement à l’élaboration d’un vaccin contre le virus Nipah, et « espère parvenir à un vaccin dans les 4 à 6 ans ».

Qu’est-ce que le virus Nipah et où risque-t-on de le contracter ?

C’est un virus à ARN, le type de virus capable de provoquer Ebola, le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), ou encore la grippe. Plus spécifiquement, c’est un paramyxovirus : il est, sans n’avoir aucun lien avec elle, de la même famille que la rougeole. Et si Nipah est un virus très ancien, il n’a été mis au jour que très récemment. Sa découverte en Malaisie ne remonte qu’à 1998, même s’il a très probablement touché la population bien avant d’être clairement identifié. Pour l’heure, il n’a sévi qu’en Asie du Sud-Est et en Inde. Mais c’est la première fois qu’il touche cette région du pays. Et depuis qu’une veille s’est mise en place après l’identification du virus, on sait que de petites épidémies touchent fréquemment l’Asie du Sud-Est.

Comment le virus se transmet-il ?

Comme Ebola, c’est un virus zoonotique, c’est-à-dire qu’il se transmet de l’animal à l’homme. En l’occurrence, pour le virus Nipah, cela se fait principalement par une espèce spécifique de chauve-souris frugivore sauvage, via leur salive et leurs déjections. Concernant l’épidémie qui sévit actuellement en Inde, il semblerait que le point de départ soit la contamination du jus de palme, une boisson prisée de la population locale, mais aussi de ces chauves-souris. Le virus n’a une durée de vie que de quelques heures, mais s’il s’agit de fruits contaminés par l’animal, fraîchement récoltés et quasi aussitôt consommés par la population, alors le risque de contamination humaine est élevé.

Les chauves-souris porteuses du virus, elles, ne sont souvent pas malades du tout. Elles sont probablement des porteurs sains de ce virus depuis des millions d’années. Normalement, le virus Nipah ne devrait pas être transmissible à l’homme, d’autant qu’il y a une barrière interespèces. Mais les chauves-souris sont, du fait de l’activité humaine – la déforestation —, chassées de leur habitat naturel. C’est ainsi que cette espèce sauvage se retrouve en contact avec l’homme et finit par le contaminer. La chauve-souris transmet le virus aux autres animaux qui risquent ensuite de contaminer l’homme, ou le contamine directement. Et on sait aujourd’hui qu’il existe des cas de contamination interhumaine. C’est plus rare parce que le virus est fragile, mais c’est déjà arrivé. Parmi les victimes de ces dernières semaines, figurent plusieurs membres d’une même famille, ainsi qu’une infirmière qui les a soignés.

Quels sont les symptômes typiques de ce virus ? Est-il mortel ?

L’infection peut être asymptomatique. Mais le plus souvent, on retrouve les premiers signes classiques d’une infection virale : forte fièvre et maux de tête, voire malaises. Et dans les cas les plus graves, le virus Nipah peut causer un syndrome respiratoire aigu, ou une encéphalite.

Comme c’est à l’origine un virus animal, le système immunitaire humain n’y est pas habitué, et y être exposé est par conséquent très dangereux pour l’homme : son corps ne sait pas lutter contre le virus qui, s’il atteint des organes vitaux, peut emporter en quelques jours le patient contaminé. De ce fait, il est mortel dans environ 70 % des cas et a d’ores et déjà coûté la vie à plus de 260 personnes en Malaisie, au Bangladesh et en Inde au cours des vingt dernières années.

Quelle prise en charge faut-il mettre en place en cas d’épidémie ? Existe-t-il un traitement ou un vaccin ?

La première prise en charge consiste à éviter le contact avec les chauves-souris et les denrées qu’elles ont contaminées, et isoler les patients contaminés pour éviter qu’ils ne contaminent leur entourage. Ce qui implique aussi la destruction par autoclave de toutes leurs sécrétions. Ensuite, concernant le traitement, il n’en existe pas de spécifique, il s’agit donc pour le personnel soignant de dispenser un traitement symptomatique : donner du paracétamol pour faire baisser la fièvre notamment, et tenter de traiter chaque symptôme qui se manifeste. Mais souvent, lorsque les gens contaminés consultent parce qu’ils présentent les premiers symptômes, il est déjà trop tard : ces infections aiguës sont très difficiles à enrayer.

Le seul traitement efficace serait un vaccin, mais il n’en existe pas à ce jour. Le problème, c’est que la recherche pour élaborer un vaccin requiert beaucoup de fonds, il faut compter un milliard d’euros. Mais l’industrie des laboratoires pharmaceutiques n’est pas prête à mettre une telle somme sur la table pour un vaccin qui ne s’écoulerait ponctuellement qu’à quelques centaines de doses.

Toutefois, grâce un financement d’institutions et de fondations, notamment de la part du CEPI (une coalition pour l’innovation en matière de préparation aux épidémies), nous sommes toute une équipe à mener des recherches, qui pour l’heure sont à un stade très précoce. Dans un premier temps, il nous faut mettre au point un vaccin capable d’immuniser l’entourage des personnes contaminées, pour des actions ciblées en cas d’épidémies. Il ne s’agit pas de viser des campagnes de vaccination à grande échelle. Nous espérons parvenir à un produit prêt à être injecté dans les 4 à 6 ans, mais il nous faudra d’abord en passer par des essais cliniques, qui ne sont pas encore à l’ordre du jour.

​Le virus Nipah est-il le nouvel Ebola ?

Nipah présente quelques similitudes avec Ebola : tous deux sont des virus d’origine animale et se transmettent de l’animal à l’homme ou par contamination interhumaine. On ne peut toutefois pas mettre les deux virus sur le même plan : Ebola provoque des épidémies beaucoup plus importantes dans leur ampleur et leur gravité, et commence même à toucher les villes. Le virus Nipah, lui, frappe plus rarement et de manière beaucoup plus resserrée.

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