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Comment « Le Figaro » couvre les affaires de l'UMP

Alors que les affaires s'accumulent autour de l'UMP, le quotidien cherche sa voie à droite, entre un libéralisme économique revendiqué et une ligne Buisson toujours plus prégnante.

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Publié le 19 mars 2014 à 17h32, modifié le 21 mars 2014 à 12h39

Temps de Lecture 5 min.

La direction du

« Il la propose, on la prend… » Le directeur du Figaro, Alexis Brézet, résume la publication par son journal de la tribune de Nicolas Sarkozy. Pas facile de couvrir la droite quand on est un journal de droite. Peut-être l'entreprise est-elle encore plus délicate quand ce camp est touché par des affaires et qu'on apprend, au détour des enregistrements réalisés par un conseiller de l'ex-président, que celui-ci appelait l'ancien directeur du journal pour suggérer un angle.

C'est la situation dans laquelle se trouve Le Figaro, où Patrick Buisson avait ainsi joint Etienne Mougeotte, le 27 février 2011, jour de remaniement ministériel, en plein « printemps arabe ». Le but : lui donner « deux ou trois choses » sur l'allocution de Nicolas Sarkozy et lui suggérer « de faire passer dans le titre l'idée de la nécessité de s'adapter aux circonstances nouvelles ». Le lendemain, en « une » du quotidien, on lisait : « Un gouvernement fortement remanié : la stratégie de Sarkozy face aux défis du monde arabe ».

« Que des conseillers appellent un journal pour transmettre des éléments d'un discours, ce n'est pas très nouveau… », relativise Alexis Brézet, qui a succédé à Etienne Mougeotte à la tête du Figaro en juillet 2012. « C'est le passé… », estime plutôt un journaliste. « A l'époque de Mougeotte, il y avait eu des protestations publiques dénonçant la proximité du journal avec Sarkozy », raconte-t-il. Le 9 février 2012, la société des rédacteurs du Figaro était allée jusqu'à adopter à l'unanimité une motion affirmant que leur « journal d'opinion n'est pas le bulletin d'un parti, d'un gouvernement ou d'un président de la République ».

LES AFFAIRES TRAITÉES DANS LE JOURNAL

Rien de tel de nos jours. « Les affaires de la droite, on les traite. Je ne vois pas de problème particulier », ajoute Stéphane Durand-Souffland, responsable de la société des rédacteurs. En effet, le scandale des enregistrements de Patrick Buisson, révélé le 4 mars par Le Canard enchaîné et Atlantico, a fait l'objet de deux pages dans l'édition du 6 mars. Un rédacteur relève seulement l'absence de manchette sur le sujet en « une » du journal. L'affaire des écoutes de Nicolas Sarkozy a, elle, fait l'objet de plusieurs titres de « une » – même si les dernières révélations de Mediapart sur le détail de ces écoutes, mardi 18 mars, n'ont pas été reprises dans l'édition du lendemain. « On a assez tôt insisté sur l'indignation suscitée chez les avocats par l'affaire, mais c'est un vrai angle », commente M. Durand-Souffland. Dans l'affaire des surfacturations supposées de prestations à l'UMP, Le Figaro a même dénoncé « l'erreur tactique » faite par Jean-François Copé avec sa riposte médiatique.

Reste un cas à part : celui du propriétaire du journal, Serge Dassault, visé par l'enquête sur des achats de vote présumés dans sa ville de Corbeil-Essonnes. Depuis septembre, un journaliste s'est porté volontaire pour écrire des articles sur l'affaire touchant l'avionneur et sénateur UMP, connu pour appeler les directeurs de son journal plusieurs fois par jour dans le but d'appuyer un thème, discuter un angle… Le préposé n'est autre que Stéphane Durand-Souffland, par ailleurs spécialisé dans la justice. Un collègue regrette cette situation inhabituelle et inconfortable pour un président de société des rédacteurs. Et dénonce une couverture « minimale ». D'autres répondent que celle-ci a déjà le mérite d'exister, ce qui est un progrès.

« Depuis l'arrivée d'Alexis Brézet, Le Figaro a une ligne moins partisane », se félicite un journaliste. Le directeur du quotidien a marqué des points en interne fin 2012, pendant le drame fratricide entre Jean-François Copé et François Fillon, quand il a endossé la posture du militant face aux « branquignols de la droite » : « Que cesse – et vite – ce pitoyable feuilleton qui abaisse la politique et ceux qui sont censés l'incarner », avait-il intimé en « une ».

« LIGNE MOINS PARTISANE MAIS PLUS IDÉOLOGIQUE »

Moins politisé, Le Figaro ? Le changement d'orientation recèle en fait un paradoxe. « La ligne du journal est moins partisane mais plus idéologique », décrypte un journaliste. Des élus UMP ont bien noté une évolution : « C'est devenu un journal ultraconservateur sur les sujets de société et régaliens », regrette un membre du parti, plutôt modéré. « On est passé d'un journal de soutien assumé à un pouvoir, à un journal avec une ligne de conviction, de combat politique, sociétal et culturel », estime un autre responsable, classé à la droite du parti.

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L'exemple cité par tous est le traitement de La Manif pour tous. Le nombre de couvertures consacrées aux opposants au mariage homosexuel a suscité une question de la société des rédacteurs, curieuse de savoir si ce choix était alimenté par une hausse des ventes. La direction aurait répondu par la négative.

Derrière les questions sur l'orientation éditoriale du Figaro, on trouve vite l'ombre de… Patrick Buisson. Car celui-ci incarne une ligne politique qui porte son nom et qui fait toujours débat à droite : celle suivie notamment par Nicolas Sarkozy à la fin de la campagne de 2012 dans l'espoir de siphonner les voix du Front national comme en 2007.

LE « BUISSONNISME » EN QUESTION

Alexis Brézet connait Patrick Buisson depuis l'époque de Valeurs actuelles, l'hebdomadaire que ce dernier a dirigé et où le directeur du Figaro a travaillé de 1987 à 2000. Mais il réfute l'adjectif « buissonnien » pour Le Figaro : « Nous sommes un journal économiquement libéral, ce qui n'est pas la marque du buissonisme, plus étatiste et protecteur. » Niant défendre une « ligne » unique, il assume toutefois une orientation personnelle : « J'ai toujours pensé qu'une droite qui oublierait ses fondamentaux de droite libérerait un espace pour le FN. »

Alors que M. Buisson est menacé de disgrâce à cause de ses enregistrements, l'éditorialiste Guillaume Tabard résume : « Il faut distinguer la pratique d'un homme du débat de fond. » Et de pointer notamment deux éditoriaux qu'il a écrits, en septembre et après l'affaire Buisson, pour mettre en garde Nicolas Sarkozy et la droite sur le « risque » politique d'un trop grand recentrage.

Pour certains au Figaro, il y a un risque de déséquilibre dans la ligne du journal. « L'orientation buissonnienne est trop forte », regrette un journaliste, qui se sait « très minoritaire ». Et de pointer des voix comme celle du chroniqueur Eric Zemmour, mais aussi certaines plumes de Figaro Vox : ce site de débat, lancé en février, est chapeauté par Vincent Trémolet de Villers, journaliste et coauteur d'un livre sur La Manif pour tous (Et la France se réveilla. Enquête sur la révolution des valeurs, éditions du Toucan) et animé par Alexandre Devecchio, débauché du site Atlantico. On trouve parmi les contributeurs Maxime Tandonnet, ancien conseiller pour l'immigration de Nicolas Sarkozy ou Gilles-William Goldnadel, désormais connu comme l'avocat de Patrick Buisson.

« Figaro Vox est un lieu contradictoire et publie des gens très différents », rétorque Alexis Brézet, citant le sociologue Michel Maffessoli, le philosophe libéral Gaspard Koenig, le journaliste André Bercoff ou Gaël Brustier, chercheur proche du PS. « Son succès montre qu'on peut faire de l'audience avec des contenus de qualité », ajoute le directeur du Figaro. Cette remarque rejoint une conclusion aigre-douce d'un journaliste : « Si on a une ligne marquée à droite, c'est aussi parce que c'est ce que les lecteurs du Figaro demandent. »

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