L'humanité a besoin des plantes pour survivre. Alors que l'inverse n'est pas vrai

L'humanité a besoin des plantes pour survivre. Alors que l'inverse n'est pas vrai

L'Express

Fondateur de la neurobiologie végétale, le chercheur italien Stefano Mancuso décrit, avec drôlerie et expertise, la vie insoupçonnée des végétaux dans L'intelligence des plantes (Albin Michel). Aux yeux de ce professeur réputé de l'université de Florence, la préservation de la nature doit aussi passer par l'octroi d'une protection juridique du monde végétal.

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Réclamer des droits pour les plantes, n'est-ce pas farfelu ?

C'est ce qui peut sembler, au premier abord - et en plus, ce ne sont pas les plantes qui le demanderaient car elles survivent très bien sans nous ! Mais nous ne mesurons pas, nous, les humains, tout ce que les végétaux font pour nous. Nous nous trouvons dans une relation de dépendance absolue vis-à-vis d'eux, même si nous ne voulons pas l'admettre, et c'est la raison pour laquelle nous devons les protéger.

En quoi sommes-nous si liés ?

Sans les plantes, la vie animale n'existerait pas. Elles constituent l'intermédiaire entre le soleil et le règne animal. Tous les organismes vivants sur terre sont issus de la biomasse, laquelle est constituée à 99,5% par les plantes. L'oxygène que nous respirons vient d'elles, au travers du processus de la photosynthèse. Les plantes sont aussi à la base de notre chaîne alimentaire - les animaux se nourrissent des végétaux ; des médicaments qui nous soignent, du climat... Ainsi, quand on coupe les arbres de la forêt amazonienne, on commet un crime contre l'humanité, mais personne ne s'en rend compte ! Si le règne végétal disparaissait de notre planète du jour au lendemain, notre survie ne se prolongerait au mieux que de quelques mois. L'inverse n'est absolument pas vrai.

Pourquoi considérons-nous les plantes comme des " choses " sans importance ?

Dans l'Antiquité, le grec Démocrite (460-370 av. J.-C.) les comparait à l'homme, mais pour Aristote, les plantes restaient assez proches des choses inanimées, du fait de leur incapacité à se mouvoir. Et l'on sait combien la pensée aristotélicienne a pesé dans le monde occidental pendant des siècles. Les monothéismes ont ensuite renforcé cette vision. Dans les Écritures, le règne végétal n'est nulle part pris en considération. En outre, d'un point de vue évolutionniste, les plantes n'ont jamais semblé menacer la survie des humains, à la différence des animaux. D'où le peu d'intérêt qu'elles ont revêtu aux yeux de notre espèce.

Quels droits faudrait-il reconnaître aux végétaux ?

Je ne demande pas de nouveaux droits, je plaide pour l'élargissement des droits humains existants à toutes les créatures dont nous dépendons. Cela s'est déjà fait en Amérique Latine. Lorsqu'il a revu sa Constitution, en 2008, l'Equateur a intégré les droits de la nature, afin de protéger son immense patrimoine naturel. La Bolivie a suivi. En ce qui me concerne, je préfère réclamer des droits pour les plantes plutôt que pour la nature, car cette dernière est presque entièrement formée par les végétaux.

Les plantes sont, de fait, beaucoup moins différentes des humains qu'on ne l'imagine, comme vous le montrez dans votre livre...

Non seulement les plantes nous sont indispensables, mais elles s'avèrent, en effet, beaucoup plus proches qu'on ne le pense du règne animal, comme le montrent les recherches de ces dix dernières années : elles possèdent une certaine forme d'intelligence - elles calculent, adoptent des stratégies ; elles ressentent des émotions, ont une faculté de mémorisation. Nous pourrions nous inspirer de l'exemple de la Commission fédérale d'éthique pour la biotechnologie dans le domaine non humain (CENH), qui a publié en 2008 un document, "La dignité de la créature dans le règne végétal - La question du respect des plantes au nom de leur valeur morale". Cela signifie, non pas que nous devons cesser d'utiliser les plantes, mais que nous avons des obligations envers elles : nous devons leur permettre de pousser dans de bonnes conditions ; ne pas les détruire de façon arbitraire et inconsidérée. Les plantes ont un organisme tout aussi complexe que celui des animaux. Il mérite, lui aussi, le respect.

L'intelligence des plantes, Stefano Mancuso et Alessandra Viola, Albin Michel, 236 p. 18 euros

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