Au très chic restaurant L'Avenue, une action choc de SOS Racisme et des clients sans voix

par Sibylle LAURENT
Publié le 24 mai 2018 à 23h29, mis à jour le 25 mai 2018 à 0h04
Au très chic restaurant L'Avenue, une action choc de SOS Racisme et des clients sans voix

REPORTAGE - L’association a déposé une plainte contre le très chic restaurant l’Avenue, accusé dans un article de discrimination envers sa clientèle. Et a mené une rapide action, ce jeudi soir, pour avertir la clientèle.

En ont-il avalé leur gorgée de Spritz de traviole ? Pas sûr. Imperturbables, amusés, parfois sortant le portable pour filmer cette petite animation. Les élégants clients attablés en terrasse de l’Avenue, très chic établissement de l’avenue Montaigne, ont eu droit, aux premières loges, à un petit happening de SOS Racisme. Très rapide, le happening, et devant un public pas vraiment réceptif.

Ils avaient pourtant soigneusement préparé leurs pancartes et banderoles, les militants de SOS Racisme. Avec les slogans qui claquent : "Etablissement accusé de racisme", et, quartier touristique oblige, la version bilingue "Suspect of racial profiling and discrimination". Ils s’étaient donné rendez-vous à quelques pas, sur les Champs-Elysées, pour être discrets. Et surgir, rapidement, au dernier moment. Sauf que l’accueil a été plus que frais. Les pancartes à peine déballées, deux vigiles du restaurant se sont précipités, arrachant et déchirant les slogans. Petite bousculade et gros bazar, avant que les militants ne parviennent, un court instant, à faire une pause photo, les pancartes rescapées brandies au-dessus des têtes, devant le restaurant. 

Des vigiles à l'accueil rafraîchissant

Si l’Avenue, ce restaurant du groupe Costes, est dans le collimateur de SOS Racisme, c’est qu’il est accusé d’avoir mis en place un système de discrimination, pour refuser, tant que faire se peut, les clients au nom à consonance arabe et les femmes voilées. Mais aussi de placer les clients pas vraiment sexy, "les moches, les vieux, les touristes japonais", à l’étage. C'est une enquête de Buzzfeed le 17 mai dernier qui a révélé ces pratiques, en s’appuyant sur les témoignages de plusieurs serveuses, des messages écrits, et une note envoyée à l’Inspection du travail, de manière anonyme, par une demi-douzaine d’anciennes serveuses.

"Dans le passé, on a déjà eu des signalements sur des restaurants de luxe ayant ce genre de pratiques, et notamment sur un restaurant du même groupe, mais c’est très compliqué d’avoir des éléments de preuve", raconte Nicolas Abdelazziz, chargé de mission de lutte contre les discriminations à SOS Racisme. "Ce qui est intéressant, dans l’article de Buzzfeed, c'est qu'il y a des éléments de preuve. On est rentré en contact avec une serveuse. On a essayé de monter une réunion avec les serveurs qui ont témoigné, mais ils sont très inquiets à l’idée de parler, c’est très compliqué pour les personnes qui dénoncent, dans ce milieu de la restauration et du luxe." D’où la volonté, aussi, de monter cette action choc. "Car c’est une pratique détestable, mais surtout une infraction pénale."

SL/LCI

Visiblement ce jeudi dans le restaurant, le personnel de service a compris le message des pancartes. Mais ne souscrit pas. "Vous ne voyez pas que je suis arabe ?", crie une serveuse, jolies frisettes, et robe à fleur, aux militants. "Il n’y en a pas beaucoup en terrasse !", répond un jeune avant de filer dare-dare. "Allez merci, merci beaucoup !" Et souffle : "Non mais vous avez vu la violence du truc... "  Sur un bout de trottoir, avant de filer aussi, Nicolas Abdelazziz, commente ce demi "pschit" : "On s’est présenté devant l’espace public, devant le restaurant, on avait le droit, on était dans une démarche pacifique. Les vigiles nous ont pris tout notre matériel avec une réaction assez agressive." 

Samia Chabbaoui, en charge de la com', fait un bilan "en demi-teinte" de cette action "qui se voulait pacifique et a pris une tournure inattendue" : "On est quand même contents, car cela montre la violence des vigiles à notre égard, comme s’ils avaient quelque chose à se reprocher." Et veut voir le positif : "On est désolé de constater qu’en 2018 de tels agissements ont encore lieu. On voulait interpeller les clients et le groupe Costes, c’est chose faite." Tous filent.

Les clients, pas causants

Et les clients, qu’ont-ils pensé de ça ? Pas facile de leur demander. D’abord parce que les vigiles ne trouvent pas les journalistes bienvenus. Pas du tout, même. Ou loin, alors. "Vous ne pouvez pas rester là. Circulez, ne restez pas devant, merci bien, rangez le micro", répète en boucle un grand baraque, en poussant, créant avec succès une belle distance de sécurité d’avec la terrasse. 

Pour le reste, dans le quartier, luxe et discrétion semblent aller de pair. Aucun client ne veut parler. Il semble à ce sujet y avoir deux écoles : les étrangers, comme ces deux Américaines, sans âge à force sans doute d’avoir trop voulu l’effacer, les lèvres et pommettes dûment repulpées, qui ne comprennent pas. Ces clients-là, les étrangers, semblent peu concernés. Et passent en glissant : "Don’t speak french". 

Et il y a les habitués. Ceux-là veulent encore moins discuter. Comme cette brune, qui s’est éloignée de quelques pas et fume une cigarette nerveusement. Elle habite le quartier, vient tous les jours. Mais ne veut "rien dire au micro", même si elle "trouve ça honteux ce qu’il se passe, honteux" : "Avoir mis en péril la vie de je ne sais combien d’employés... Vous voyez bien que le monsieur qui travaille à l'entrée est Noir ? Ça m’écœure, les gens sont faux, c’est de la politique." Argumente ce qui lui semble une évidence : "Que ce soit dans les magasins, les boutiques, dans ce quartier, il y a une clientèle importante du Moyen-Orient, donc si on ne les acceptait pas, il resterait quoi ? Réfléchissons intelligemment !  Les gens du quartier, on est un peu outrés."

Elle se calme, tire sur sa cigarette. Passe un homme, la cinquantaine, barbe blanche et tote-bag. Poli, répond au bonjour. Client de l’Avenue ? Oui, il l’est. Mais se rétracte vite : "Ah, vous êtes journaliste ? Je n’ai rien à dire. Rien à dire. Oui, il y a tout le monde là-dedans. Il y a tout le monde. Au revoir !" Et file le long de l’avenue, tandis qu’une patrouille de police arrive. Les policiers discutent rapidement avec les vigiles. Mais il n’y a plus rien, tout a été si vite. Ils repartent. 

SL/LCI

Une plainte déposée mercredi

Coup d'épée dans l'eau ? SOS Racisme ne compte en tout cas pas en rester là. L’association a déposé, mercredi, une plainte concernant "l’interdiction d’accès à un service et un lieu public", auprès du parquet de Paris, précise l’avocat de l’association, Me Calvin Job. "Nous attendons du procureur qu’une enquête soit diligentée", dit-il, évoquant "des éléments de preuve", notamment "les échanges Whatsapp des serveuses mais aussi la note envoyée à l’inspection du travail, concernant les ordres qui leur ont été donnés, visant à interdire l’accès aux personnes d’origine maghrébine, de confession musulmane, noire, ou aux physiques pas très alléchants." 

Restent, toujours, les réseaux sociaux. Sami a envoyé, dans la foulée, une floppée de tweets à toutes les célébrités habituées de l’Avenue, est allée toquer aux comptes Twitter de Kendal Jenner, Kim Kardashian, Sienna Miller, Rihanna, ou encore Selena Gomez. 

Pour l’instant, aucune ne s’est encore manifestée. Mais l'association vient aussi de poster la vidéo du vigile qui s'en prend aux pancartes de l'association. Cela aussi peut bien faire parler. 


Sibylle LAURENT

Tout
TF1 Info