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Dans la Vienne, la ferme-usine sera… bio

Dans la Vienne, deux éleveurs adossés à des investisseurs projettent la construction d’une ferme-usine de porcs… bio. Sur place, les opposants s’interrogent sur le dévoiement de la filière et mettent en avant la mainmise de la grande distribution sur ce projet.

  • Charroux (Vienne), reportage

Des bottes de paille ornées de pancartes « Non à la porcherie industrielle », des tags similaires inscrits sur une route menant à la commune, une réunion publique houleuse tenue fin janvier... Depuis quelques mois à Charroux, petite commune d’environ 1.100 habitants, le projet d’implantation d’un site d’engraissement de porcs bio est loin de faire l’unanimité. Si l’agriculture biologique y occupe déjà plus du quart des surfaces cultivables, l’engraissement de milliers de cochons sur un site unique inquiète.

La porcherie devrait en effet accueillir 1.974 porcelets pendant environ quatre mois et demi, soit près de 6.000 bêtes par an. « Ce sera l’un des plus gros élevages porcins bio de France », se félicite déjà Sébastien Nauleau, l’un des porteurs du projet, à la tête d’une exploitation de 200 vaches laitières et de veaux bio à Charroux. Pour lui et Christian Rousseau, également éleveur de vaches laitières en bio, la mise en place de ce projet correspond à une « réalité économique » et à un attrait des consommateurs pour la viande bio. « On peut comprendre que la taille interroge mais il y a une demande de plus en plus importante de la société, et nous devons y répondre, au risque de continuer d’importer de la viande de porc d’Allemagne ou de Pologne. Il faut se donner les moyens de produire davantage de viande bio en France », justifient-ils. Pourtant, selon l’Agence bio, plus de 90 % des produits de porc bio consommés en France en 2016 étaient produits en France. Si la demande est forte, l’offre est donc déjà là.

En réalité, le projet s’inscrit surtout dans le cadre d’un accord signé avec Agromousquetaires, le pôle agroalimentaire du groupe Mousquetaires, qui gère l’enseigne Intermarché. Le contrat, d’une durée de douze ans, prévoit la vente de l’ensemble des porcs au groupe industriel sur la base du prix de marché en cours au moment de la livraison des porcs. Par ailleurs, l’abattoir choisi, à La Guerche-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine), est géré par la société Gâtine viandes, une filiale d’Agromousquetaires. L’enseigne de la grande distribution tient donc un rôle de choix dans ce projet.

« On nous le vend comme étant local, en réalité il est sous le contrôle d’éleveurs bretons et de la grande distribution » 

La quarantaine de membres du collectif d’opposants à la porcherie de Charroux, pour la plupart agriculteurs bio sur la commune et autour, s’offusque d’un projet qu’ils ont découvert sur le tard et qui n’a pas fait l’objet d’une enquête d’utilité publique, le seuil pour y être soumis étant fixé à 2.000 places. Une simple consultation publique du dossier a eu lieu en janvier dernier. « On en avait entendu parler ces derniers mois mais sans connaître l’ampleur du projet, explique Jacques Arnaud, membre du collectif. Personne n’a vraiment été informé avant une réunion publique fin janvier, que nous avons nous-mêmes organisée. » Une réunion tendue à laquelle ont aussi participé les porteurs du projet, venus le défendre. « À la fin de la réunion, une majorité de l’assistance était favorable à la porcherie, admettent les opposants. Ils ont surtout retenu le fait que ça va amener de la main-d’œuvre sur la commune. » Selon les futurs gérants, le site emploiera deux personnes sur place (huit salariés sur l’ensemble du projet).

Le montage du dossier, qui fait intervenir différentes sociétés basées à plusieurs endroits, pose aussi question. Le projet global sera porté par la SARL Les Pins, créée pour l’occasion et domiciliée à Charroux. Mais elle est détenue à 60 % par la SA La Vilaine, qui regroupe des éleveurs porcins bretons en conventionnel. Les deux exploitants de Charroux possèdent 30 % du capital de la SARL, enfin 10 % sont détenus par Joseph Marquet, éleveur breton et président de l’abattoir où seront abattus les cochons. Une hydre à plusieurs têtes qui inquiète les opposants au projet de porcherie industrielle de Charroux. « On nous le vend comme étant local, en réalité il est sous le contrôle d’éleveurs bretons et de la grande distribution. Comme dans le conventionnel, ce sont des trusts qui mettent la main sur l’agriculture biologique », lâchent-ils. Au total, le coût de ce projet est d’environ 6,5 millions d’euros (8 millions en incluant les besoins de fonds de roulement), dont 2,5 millions pour la construction du site de Charroux.

Une partie du collectif des opposants à la porcherie industrielle de Charroux.

Le projet ne se limite pas à Charroux : en plus du site d’engraissement prévu dans la Vienne, une autre structure est en cours d’installation à Derval, en Loire-Atlantique. Elle accueillera d’une part 530 truies pour les naissances des porcelets, et une partie de l’engraissement des cochons (environ 5.000 à l’année). « Les porcs vont voyager : ils naîtront en Loire-Atlantique, seront engraissés pendant quatre mois et demi à Charroux avant d’être finalement abattus en Ille-et-Vilaine, résume Nicolas Fortin, porte-parole de la Confédération paysanne de la Vienne. Ce modèle menace clairement le lien au sol. » Les deux agriculteurs pourront directement valoriser sur place leurs céréales bio en les utilisant comme aliments pour les porcs. Mais le site de Derval, lui, n’aura pas une autonomie alimentaire suffisante. « Une partie des céréales produites à Charroux devra donc être envoyée en Loire-Atlantique, il n’y a aucune cohérence », selon Nicolas Fortin, de la Confédération paysanne.

Certains habitants de Charroux s’inquiètent des nuisances environnementales que la porcherie pourrait causer, en particulier les odeurs liées à l’épandage du fumier. « Le fumier sera épandu sur des parcelles autour du site, et sur trois communes au total. Ce fumier sera composté, ça ne sentira pas », assure Christian Rousseau. Les risques sanitaires liés à une concentration importante sont aussi à prendre en compte, selon Nicolas Fortin. « Le cahier des charges bio limite le recours aux antibiotiques et n’oblige pas les traitements préventifs. Pour la partie naissage notamment [à Derval], avec 530 truies, on est davantage exposé à des risques d’épidémies que quand on en a 60 », explique le responsable syndical, lui-même producteur de porcs bio.

« On aurait évidemment préféré dix élevages de quelques dizaines de porcs plutôt que celui-là » 

« Il n’y a pas d’alternative, soit on garde une production de niche, soit on décide de proposer des produits bio à l’ensemble de la population. Il y a de la place pour tout le monde, des petites exploitations mais aussi des sites plus importants comme celui-là. Il ne faut pas opposer les modèles », répète à l’envi Sébastien Nauleau. Depuis quelques mois, les relations sont tendues entre les protagonistes, qui se connaissent depuis longtemps. Mais au-delà des conflits de personnes, l’implantation de cette future porcherie pose des questions sur le modèle de l’agriculture bio. « On veut arriver à convaincre qu’il ne s’agit pas seulement de trois agriculteurs dans leur coin qui sont contre parce qu’ils vont subir les odeurs. C’est plus profond que ça », estime Jacques Arnaud. Les opposants dénoncent en effet « l’alibi de la bio » pour ce qui relève en réalité d’un véritable projet industriel, calqué sur le modèle conventionnel. « Être agriculteur bio, ce n’est pas simplement donner à manger des céréales bio à ses cochons, c’est une philosophie plus globale, comme favoriser le plein air, rester à une échelle raisonnable », affirme Pierre Grolleau, agriculteur bio à la retraite.

Les porteurs du projet insistent sur le fait que le cahier des charges de l’agriculture biologique sera parfaitement respecté. « L’espace par tête sera au minimum de 2 m², contre 0,75 m² en conventionnel. Les cochons seront sur de la paille et non pas des caillebotis [des dalles en béton], comme c’est très souvent le cas en conventionnel », assure Sébastien Nauleau. Si le projet respecte le cahier des charges, son bien-fondé n’en est pas moins discutable. Pour la Confédération paysanne, il incarne le dévoiement d’une certaine idée de l’agriculture biologique. « Le risque est grand de voir la bio partir dans les mêmes travers que l’élevage porcin conventionnel, très industrialisé », s’inquiète Nicolas Fortin, porte-parole de la Confédération paysanne de la Vienne. Même si les avis sont nuancés au sein du syndicat, le contrat de douze ans passé avec Agromousquetaires étant vu positivement par une partie des membres, ce type d’élevage « va contre le modèle paysan que nous défendons, d’une taille humaine et où l’agriculteur serait au centre de son travail, poursuit Nicolas Fortin. Là, le projet est entre les mains d’apporteurs de capitaux et repose uniquement sur du travail salarié pour des tâches parfois peu valorisantes. On aurait évidemment préféré dix élevages de quelques dizaines de porcs plutôt que celui-là ».

La construction du site de Charroux devrait démarrer au cours de cette année selon les porteurs du projet, qui attendent une autorisation préfectorale. Le collectif d’opposants, lui, entend contester jusqu’au bout la construction de cette porcherie géante, symbole de la fuite en avant d’une filière porcine bio tournée vers le productivisme.

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