L’érosion du vivant

Camargue ©Getty - G. Sioen
Camargue ©Getty - G. Sioen
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En Europe, le déclin de la biodiversité est particulièrement alarmant chez les oiseaux et les insectes.

Le ministre de la transition écologique et solidaire a annoncé la semaine dernière à Marseille qu’il présentera en juillet un plan d’action. Les scientifiques ont lancé l’alerte : chute de près de 80 % des populations d’insectes en Europe depuis trente ans, déclin du tiers des oiseaux dans les campagnes françaises, effondrement de 46 % des populations de chauve-souris entre 2006 et 2014… Et il est très vraisemblable que tout soit lié : une corrélation entre la disparition des insectes et la réduction des populations d’oiseaux, leurs prédateurs naturels, car même les espèces granivores sont nombreuses à passer par un stade insectivore au début de leur vie. En cause l’intensification agricole, la disparition des marges des parcelles et les nouvelles méthodes de protection des cultures, en particulier le traitement par enrobage des semences, au moyen des insecticides néonicotinoïdes. Cet effondrement rapide de ce que les chercheurs appellent l’entomofaune a un impact considérable sur l’ensemble des écosystèmes – les insectes formant l’un des socles de la chaîne alimentaire. 

Éloge du moustique

Dans le livre de Laurent Tillon publié chez Payot sous le titre Et si on écoutait la nature ? – où il est question de plantes, d’arbres et d’animaux – un chapitre est consacré au « paradoxe du moustique ». Le naturaliste de l’Office national des forêts n’a pas la prétention de nous faire aimer le sifflement aigu, caractéristique du vol de ce diptère, qui surgit comme une malédiction au moment précis où nous commençons à sombrer dans le sommeil. Mais les précisions qu’il apporte illustrent à la fois la subtile cohérence de notre écosystème et l’étonnante variété des formes de vie, jusque chez les plus minuscules et exaspérants des insectes. À y regarder de plus près, l’animal a un corps gracile, tout en finesse et aérodynamisme. C’est la femelle qui attaque car le sang aspiré lui sert à développer ses œufs. À notre corps défendant, nous contribuons donc à sa reproduction. La séquence de l’assaut se déroule suivant un scénario immuable : tiré du premier sommeil par le vrombissement erratique mais orienté, on allume la lumière pour repérer la fâcheuse, ce qui lui fournit « le moyen de mieux nous voir grâce à ses yeux composés de nombreuses facettes et de réagir en fonction de nos mouvements, très lents pour elle ». Et de disparaître pour mieux revenir… Des poils thermosensibles sur les antennes lui permettent de repérer à la chaleur les vaisseaux sanguins. Et là, double opération : injection d’une salive vasodilatatrice et pompage de sang frais pendant quatre longues minutes, le temps nécessaire à vous agonir vous-même de vigoureuses claques sur les parties émergées de votre corps, et pour l’animal à ponctionner la substance vitale de vingt à deux cents œufs selon le volume prélevé. C’est au cours de l’injection de salive que le moustique peut transmettre les germes absorbés lors d’un précédent prélèvement, causant sous certaines latitudes de graves infections : paludisme, chikungunya ou dengue… Là il faut s’en protéger par tous les moyens, et d’abord les plus simples : un peu d’eau piégée dans un pneu peut se transformer en couvée. Malgré ça la créature peut se targuer d’un rôle écologique : les mâles pollinisent pendant que les femelles martyrisent, c’est notamment le cas du cacao. Sans eux « la production mondiale de chocolat pourrait être affectée ». Nombreux et riches en protéines, leurs prédateurs en raffolent : au stade larvaire les poissons et amphibiens, puis à l’âge adulte les oiseaux et chauves-souris. En Camargue, où les traitements massifs de démoustication ont réduit de près de 80% leur nombre, les hirondelles ont réduit leur procréation du tiers. La pipistrelle, une chauve-souris qui ne pèse que 5 grammes peut manger près de six cents moustiques en une seule nuit. Laissez- la vous approcher le soir, elle ne cherche pas à s’accrocher à vos cheveux comme dit la légende, mais simplement à se régaler de l’hémoglobine que des moustiques vous ont ponctionnée. Aujourd’hui, face aux moyens colossaux engagés pour l’assèchement des zones humides ou l’épandage de DDT qui finit par développer des résistances, on teste des solutions dites « écosystémiques » : poser des refuges pour accueillir les chauve-souris. Car on craint désormais que le reflux de nos moustiques autochtones n’ait ouvert le champ à d’autres espèces comme le moustique tigre. 

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Hommage au vers de terre

C’est une des grandes leçons de la nature : la modestie dans l’écoute de ses équilibres spontanés. L’écologie commence par le bas : dans la dernière livraison de la revue We Demain, Victor Branquard rend hommage aux créatures de l’ombre qui fertilisent les sols, les aèrent, leur permettent d’absorber l’eau, et qui représentent à eux seuls 60 à 80% de la biomasse, toutes espèces confondues y compris les humains : les vers de terre. Darwin l’avait bien compris, lui qui consacrait sa première communication à l’Académie royale des sciences à ceux qu’Aristote désignait déjà comme « les intestins de la terre ».

Par Jacques Munier

Pour aller plus loin :

Le guide nature des petites bêtes Salamandre

Revue Salamandre

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