Plan banlieues : en privé, Borloo digère mal le «camouflet»

En public, Jean-Louis Borloo s’est dit satisfait après le discours d’Emmanuel Macron sur les banlieues. Mais en privé, l’ancien ministre de la Ville fait part de sa stupéfaction.

 Tout en saluant le travail de Jean-Louis Borloo, Emmanuel Macron a prévenu qu’il ne proposerait pas de plan banlieues.
Tout en saluant le travail de Jean-Louis Borloo, Emmanuel Macron a prévenu qu’il ne proposerait pas de plan banlieues. AFP/Ludovic Marin

    « Je n'ai pas d'explications, je n'ai pas compris… » En privé, Jean-Louis Borloo soupire et se repasse le film. Car c'est bien Emmanuel Macron qui lui a demandé d'élaborer un plan pour les banlieues et qui « en a fait des tonnes » au téléphone lundi soir (l'Élysée parle d'un coup de fil « assez amical »), ne laissant rien présager de l'opération enfouissement du lendemain. Tout à son lobbying, et peut-être grisé d'être à nouveau dans le jeu et sous la lumière, Jean-Louis Borloo portait sa confiance en bandoulière. « Il a pris un coup sur la tête », dit un proche.

    Mardi à l'Élysée, l'ancien ministre de la Ville a fait bonne figure. Un élu qui l'accompagnait raconte pourtant qu'« il avait du mal à avaler sa salive ». Le député centriste Maurice Leroy, le voyant (derrière son poste de télévision) bouger sur sa chaise, s'est même demandé si son ami « allait partir ». En coulisses, ses proches parlent de « camouflet », d'« humiliation abominable », d'une « violence inouïe ». « J'en suis à me demander si c'est un assassinat imprévu ou un crime programmé », s'interroge l'un de ceux qui connaissent bien le dossier. « On a toujours considéré que sa contribution serait une parmi d'autre », martèle l'Élysée.

    Mais il y a la manière… Certains ressassent le choix du maître de cérémonie, l'humoriste controversé Yassine Belattar. Et puis, il y a cette phrase du président, sur les « mâles blancs ». « Vis-à-vis de Jean-Louis, qui était le maire de Valenciennes… Cette phrase-là, elle est violente. Et elle interpelle sur le fond », juge le député UDI, Yves Jégo, qui y voit une façon d'« ethniciser » le débat. En petit comité, Borloo tique aussi. Une vision communautariste ? « Non seulement c'est démagogique de dire cela, mais c'est en total désaccord avec ce que le président a toujours prôné », rétorque l'Élysée, pour qui cette « forme d'autodérision », était une manière de « dire qu'il est important de faire émerger une société civile des banlieues ».

    Inquiet pour les banlieues

    Loin de l'agitation des derniers mois, Jean-Louis Borloo prend moins de gens au téléphone. « Il s'est un peu isolé, admet l'un de ses amis. Il était fatigué. Il faut qu'il digère, qu'il se pose. » À l'un de ceux auxquels il a parlé, il a lâché : « J'ai passé sept mois à ne faire que ça, j'aurais peut-être dû les passer à autre chose… » Déprimé ? « Quand vous avez vu l'autre rive, vous voyez les choses autrement, tempère Maurice Leroy. Jean-Louis, la politique coule dans ses veines. Il a le cuir tanné, il est armé. Et puis, il n'attend rien. »

    Mais en petit comité, le père de l'Anru ne cache pas son inquiétude pour les banlieues. « Moi ça va, mais comment vous allez, vous, les élus ? » a-t-il demandé à Catherine Arenou, la maire de Chanteloup-les-Vignes. Pourquoi, alors, s'est-il retranché derrière un satisfecit de façade ? « J'ai soldé la séquence, je crois élégamment », dit celui qui a pourtant pu avoir la dent dure contre ceux qu'il appelle « les fermiers généraux ».

    « S'il était allé au clash, il serait devenu ipso facto le réceptacle de l'opposition à Macron sur le sujet. Or, il ne souhaite pas cela », décrypte son ami Yves Jégo. En politique roué, Borloo aurait-il, aussi, tendu un miroir au président, en attendant que ses amis ne donnent de la voix pour lui ? « Les gens préféreront toujours Robin des bois au shérif de Nottingham », sourit Maurice Leroy. Surtout ne pas mettre de l'huile sur le feu. Ni insulter l'avenir.

    «Il n'a pas la même pêche qu'avant»

    Mais quel avenir ? Tous en conviennent, il est trop tôt pour le dire. « Je pense qu'il va continuer à porter des causes d'intérêt général, mais pas forcément dans le champ politique », avance Jégo. Le 14 juin, il est attendu à Chanteloup-les-Vignes, pour la signature d'un plan, suivi d'un débat, sur la rénovation urbaine. Une manière de rester dans le jeu ?

    « Il compte peut-être encore jouer un rôle. Mais ce n'est pas le Borloo d'il y a dix ans. Il n'a pas la même pêche qu'avant », modère l'un de ceux qui le connaissent bien, quand un autre lâche, un brin cruel : « Au niveau national, je ne pense pas qu'il puisse encore avoir une utilité. Le message, de mardi c'était : On va faire sans toi. »

    L'intéressé, pour l'heure, assure n'avoir, quoi qu'il en soit, aucune intention de ce genre. « J'ai rendu un service, j'ai fait un travail, dit-il. Maintenant, je ne suis pas un acteur public. »