Kat Borlongan, nouvelle directrice de la French Tech : "Les start-up ne doivent pas être juste des machines à cash"

C’est officiel : Kat Borlongan a été nommée directrice de la French Tech. En quoi consiste sa nouvelle mission ? Pourquoi a-t-elle accepté ? Quelle est la stratégie de la French Tech V2 ? Que compte-elle changer ? Quel est son style de management ? Elle nous dit tout. Interview.

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Kat Borlongan, nouvelle directrice de la French Tech :
Kat Borlongan, nouvelle directrice de la French Tech

Que représente la French Tech pour vous ?

Kat Borlongan : Aujourd’hui, le contexte de la French Tech est complètement nouveau, l’écosystème a énormément évolué depuis le lancement de la politique publique fin 2013, avec un nouveau gouvernement, une nouvelle mission.  La French Tech a été créée à un moment où le sujet start-up était une niche. La Mission French Tech qui pilotait ce sujet à Bercy était une "task force". Dans 5, 6, 7, 8 ou 10 ans,  l’idée est que ce sujet ne soit plus du tout spécialisé et soit réabsorbé par plusieurs ministères comme n’importe quelle équipe d’innovation ou digitale. Ce sont les évolutions normales. Cela a un impact sur mon mandat. C’est le mandat de la transition. On passe de l’idée de favoriser la création et l’émergence de start-up à leur envol et leur internationalisation. Aujourd’hui, on parle de scale-up créatrices d’emplois : c’est une nouvelle force à la fois pour l’économie et aussi d’une certaine manière pour la société parce que, qu’on le veuille ou pas, elles changent beaucoup de nos habitudes…
 

Pourquoi avoir accepté la mission de Directrice de la Mission French Tech ?

K. B : Il ne s’agit pas de juste reprendre la Mission French Tech. J’ai accepté le job pour plusieurs raisons. La première, c’est que le sujet start-up est encore relativement niche et c’est dommage parce que son impact sur l’économie et la société française est énorme. C’est un sujet atypique qui nécessite une approche atypique, différente des organisations traditionnelles. Et c’est aussi en quelque sorte une fierté d’immigrée. Le mandat est important maintenant car il y a une fenêtre de tir intéressante à un moment où la Silicon Valley est celle de Trump et à l’heure du Brexit. On a, en France, à la tête de l’Etat, un leader charismatique aux yeux des gens de la tech partout dans le monde et on a un potentiel d’attractivité énorme.
L’autre tournant intéressant, c’est qu’on a beaucoup soutenu la croissance des start-up… mais on commence à se poser des questions sur la diversité, l’inclusion et l’éthique dans la tech. Il faut qu’on soit plus rapide à traiter ces sujets.

J’avais lu un article où il était écrit "Elle coche toutes les cases"… Bon quand même, ce n‘est pas un casting.


Le fait que vous soyez immigrée, diplômée, jeune et une femme peut alimenter les rumeurs et passer pour un choix "calculé"…

Le style de Kat Borlongan

Par rapport à votre background, que pensez-vous pouvoir apporter à la French Tech ?
Je suis une fille d’entre-monde. Toute mon identité et toute ma carrière ont été construites sur le croisement de deux mondes différents. Quand on parle de multiculturalisme, cela ne touche pas que les pays, cela concerne aussi le gouvernement, les écosystèmes, les thématiques…  je suis très à l’aise sur ces sujets. Ma spécialisation professionnelle, ce sont les équipes non traditionnelles avec des frontières complètement floues, qui sont en train d’opérer dans des zones d’incertitudes les plus totales, sur des choses qu’on a jamais faites avant. Là où je m’éclate le plus, c’est quand je suis dans une situation professionnelle où j’ai l’opportunité d’être un peu pionnière. C’est un peu ce qu’on est en train de faire là. Il n’y pas de manuel. La Mission French Tech, ce n’est pas mon bébé, je suis plus attachée à ce que ça fonctionne, plus qu’à certains aspects qui font partie de sa fondation.

En termes de management, quel est votre profil ?
Je suis fan de transparence et de collaboration. Je déteste le micro-management. Quand on a accès à tout, il n’y a pas besoin de reporting à partir du moment où c’est fluide. J’ai l’habitude du management multiculturel et cette équipe va bientôt le devenir parce que si l’on s’internationalise, il faut qu’elle en soit le reflet. D’ailleurs, tout le monde blague parce que mes documents sont en anglais.

Vos faiblesses ?
J'ai un mauvais “poker face”. Et je ne suis pas très protocolaire. Culturellement, peut-être que je maîtrise moins l’administration, ses règles et ses protocoles. Mais il s’agit juste de continuer à apprendre et à faire confiance à d’autres personnes dans l’équipe.

Et vos forces ?
Je sais quand je ne suis pas bonne sur un sujet. Je n’ai aucun problème à dire "je ne sais pas".  Et je n’ai aucun problème à demander de l’aide, et de changer les choses s’il le faut.

 

K. B : J’y ai pensé. J’avais lu un article où il était écrit "Elle coche toutes les cases"… Bon quand même, ce n‘est pas un casting. Si je finis par devenir un modèle pour d’autre, c’est génial, après c’est plus une externalité positive de ma réussite. Ceci dit, la diversité est quelque chose à laquelle je crois énormément avec un angle  de justice sociale bien sûr mais surtout de compétitivité. Ce n'est pas juste un "side-project" pour notre équipe. Si notre écosystème n’arrive pas à attirer des talents – peu importe d’où ils viennent – ils vont aller ailleurs.  Cette diversité doit être à tous les niveaux.


Quel va être votre rôle ?

K. B : On est là pour combler des sujets que le marché ne ferait peut-être pas automatiquement. Le premier : c’est l’essor des scale-up, ces start-up qui ont trouvé le "product-market-fit" et qui doivent maintenant s’internationaliser plus vite et le plus loin possible. Le deuxième : on ne veut pas d’une French Tech de l’élite. Le sujet d’inclusion est extrêmement important. L’enjeu de la responsabilisation des start-up pour qu’elles soient aussi un vecteur de changement pour leur pays et pas juste des machines à cash est important.
 

Quels sont les grands axes de la stratégie pour la French Tech ?

K. B : Cela bouge encore, ce n’est pas figé parce que je rencontre encore beaucoup de personnes. Mais en termes d’objectifs, cela se décline en quatre axes.

Le premier axe, c’est celui des talents.
Avec, à la fois le développement de talents en France, et la capacité à faire venir les talents dont on a besoin de l’étranger. Sur ce point, on doit comprendre  où sont les vrais besoins et qu’on arrive à avoir les meilleurs. Et la France est déjà reconnue pour avoir parmi les meilleurs ingénieurs mondiaux notamment. Il faut juste qu’on soutienne au maximum cet élan-là  Mais il faut avant tout qu’on soit très focalisé sur nos utilisateurs, comme une start-up. Les deeptech font partie de cet axe et nous devons mieux les promouvoir.


Le deuxième axe est celui de la croissance. Comment faire en sorte que les start-up aient accès à un plus grand marché avec deux points : faire en sorte qu’elles aient envie de s’internationaliser très tôt et que ça marche, et comment développer le marché domestique. Aujourd’hui, dans le cadre de l’action publique French Tech, on a une logique de programmes spécifiques (Pass French Tech, Fonds French Tech Accélération, …). La deuxième étape est de pouvoir utiliser ces programmes ou en utiliser de nouveaux, les améliorer et les adapter au service de cette stratégie-là. On va aussi créer l’indice Next40,  qui va indiquer quelles sont les 40 potentielles prochaines licornes que la France a envie de suivre. Et Il y a aussi bien sûr un volet investissement, lié en grande partie à Bpifrance.

Le troisième axe est lié au le rôle du gouvernement. Sur le sujet start-up, le ministère de l’Economie est bien sûr impliqué pour la partie business ; celui des Affaires étrangères l’est sur l’international ; et le Ministère de la Recherche et de l’Enseignement également lorsqu’on parle de l’éducation d’une nouvelle génération qui va intégrer cet écosystème, mais aussi de l’éducation à la recherche et l’innovation. Parmi les autres acteurs publics, dans le cadre du projet de French Tech Central à Station F, il y a aussi la Cnil, l’Urssaf, les impôts, l’Inpi, etc…  L’idée, c’est d’encore mieux travailler ensemble. C’est pour cela que Mounir (Mahjoubi, ndlr) parle de la création de correspondants French Tech dans les ministères. Moi, en interne, j’utilise beaucoup le terme "catalyseurs" parce que c’est un peu comme ça que je les vois. Ce sont des gens qui vont évangéliser, faire bouger les lignes de l’intérieur.

Le quatrième axe porte sur la communauté. Les trois premiers axes dépendent en grande partie de la Mission French Tech. Après, comment soutient-on au maximum les communautés French Tech partout où elles sont ? Comment fait-on pour que ce soit plus collégial, plus inclusif et qu’on arrive à intégrer au maximum des entrepreneurs engagés pour la France et qui ont beaucoup de choses à apporter à l’ensemble de l’écosystème ?  De là découlent aussi les sujets de diversité, d’inclusion, du type d’écosystème que l’on souhaite devenir.
 

Quelle est la "Roadmap" ?

K. B : Je suis à un stade où j’ai besoin d’un mail et d’un pass pour entrer dans nos propres locaux (rires). Je ne peux pas donner ma roadmap maintenant, parce que je ne suis pas arrivée avec une idée préconçue sur ce que la Mission French Tech V2  doit être, sans prendre le temps de consulter, je suis encore en phase d’écoute. Je vais passer beaucoup de temps les prochaines semaines avec les entrepreneurs, les partenaires…
Mais il y a une urgence. Notre fenêtre de tir n’est pas si large que ça. Et si on ne réussit pas dans les 3 à 4 prochaines années, on va rater un virage. Je me dois de dire d’ici la rentrée : "Voilà notre équipe. Et nous, on doit aller là". 

Si on ne réussit pas dans les 3 à 4 prochaines années, on va rater un virage.


Quelle organisation allez-vous mettre en place par rapport à cette stratégie ?

K. B : Cela va passer par le recrutement d’abord, parce que nouvelle mission veut dire nouvelles compétences. Par exemple, en termes de marketing. Il va falloir qu’on commence à mieux manipuler nos propres données. Et à l’international, il y a des zones comme la Chine, New York…  où on a besoin de plus de personnes dans les French Tech Hubs.
Je souhaite mieux intégrer l’ensemble des partenaires dans l’équipe de pilotage de la French Tech. Pour moi, ce ne sont pas juste 10 personnes mais tous les entrepreneurs engagés qui travaillent à nos côtés, tous nos partenaires, toutes les personnes dans les métropoles, dans les hubs… C’est une "équipe/communauté", une équipe atypique, parce qu’il n’y a pas forcément de lien hiérarchique, mais on avance tous ensemble pour le même cause. Il faut qu’on soutienne mieux cette dynamique-là. Il faut ré-architecturer la Mission French Tech pour cette ouverture à une plus grande échelle.

Je souhaite mieux intégrer l’ensemble des partenaires dans l’équipe de pilotage de la French Tech. Pour moi, ce ne sont pas juste 10 personnes.


Aujourd’hui, il y a en effet les Métropoles, les hubs, les réseaux thématiques… On s’y perd tous un peu et le CES de Las Vegas, avec d’un côté les régions et de l’autre l’allée French Tech, en est un exemple...

K. B : D’un côté, il y a une architecture de la marque, qui est complexe, avec beaucoup de déclinaisons par communautés en régions et à l’international… Et de l’autre, l’équipe et les différents programmes que nous pilotons (Pass French Tech, French Tech Ticket, etc)
Sur la partie architecture de marque, je trouve que le  "bordel" (rires) dans lequel on se trouve est un signe que la première direction de la French Tech a réussi. Parce que ça foisonne et parce que beaucoup de personnes s’en sont emparée.
L’idée n’est pas de réparer comme s’il y avait eu des erreurs. L’idée est de l’adapter en faisant en sorte qu’on arrive à distinguer les actions du gouvernement et celles de la communauté. C’est maintenant une question de lisibilité. Tout le monde a vu ce qu’il s’est passé au CES, je pense que je n’aurai pas besoin d’imposer quelque chose très "top-down" par rapport à ce sujet. On va aller vers une équipe de France. L’enjeu est de préserver  les communautés derrière.

Sur la partie architecture de marque, je trouve que le "bordel" (rires) dans lequel on se trouve est un signe que la première direction de la French Tech a réussi.

 


Et sur le sujet de l’équipe et des programmes ?

K. B : Il y a une chose dont je suis sûre à 100%, c’est que les hubs et les métropoles French Tech font partie de la même communauté. Peu importe où ils se trouvent, ce sont les "community organizers" qui essaient d’œuvrer pour le bien de leur écosystème local ou international. On va essayer de faire en sorte qu’il y ait plus de ponts entre eux. On va donner beaucoup plus de pouvoir aux pilotes, la plupart du temps des entrepreneurs,  qui sont dans le board, en les impliquant davantage sur la stratégie nationale, de manière assez organisée.  Car c’est leur écosystème.

J’ai tendance à favoriser les start-up qui sont en train de résoudre de "vrais" problèmes.


Quelles thématiques allez-vous privilégier ?

K. B : Je suis assez agnostique sur les thématiques. Mais il vrai que j’ai tendance à favoriser des start-up qui sont en train de résoudre de “vrais” problèmes. Par exemple, quand on parle de deeptech, une des verticales où elles pourraient avoir un impact énorme, c’est la santé et l’éducation.


Le budget était de l’ordre de 15 millions d’euros pour l’international. De combien sera-t-il ?

K. B :C’est en cours. On est en train de faire notre “levée de fonds”, d’aller chercher des financements.

Je me suis engagée sur trois ans car au-delà, ce n’est pas une carrière, c’est une mission.


Comment voyez-vous la French Tech dans 5 ans ?

K. B :La France sera devenue l’écosystème tech de référence de l’Europe. La base, c’est qu’on ait réussi les quatre piliers, que la France soit une vraie destination de choix pour les talents non francophones, les investisseurs et les start-up qui cherchent un pied en Europe. Notre écosystème aura produit plus de licornes, sans sacrifier les valeurs du pays. Je me suis engagée sur trois ans car au-delà, ce n’est pas une carrière, c’est une mission. Ce que je dois accomplir est très clair.

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