"Greenwashing", "pacte avec le diable", "liaisons dangereuses" : les relations entre ONG et grands groupes ont bien changé. Historiquement habitués à rester chacun dans son coin tout en se dénonçant l'un l'autre, la norme tend désormais à aller vers plus de dialogue, de concertation, voire à la mise en place de collaborations. C'est le cas du WWF qui vient de signer un partenariat avec le groupe Suez, mais aussi de nombreuses autres ONG qui y voient un moyen de faire bouger les lignes.

"Face à l’ampleur des défis environnementaux et humains, on ne peut plus agir individuellement. Au contraire, il faut unir nos forces pour inventer un monde nouveau" croit dur comme fer Hélène Valade, directrice du Développement durable de Suez. "Le WWF va ainsi nous servir d’aiguillon." Le spécialiste de la gestion de l’eau et des déchets vient de signer une convention de partenariat avec l’ONG sur trois ans pour imaginer ensemble la ville de demain, sobre en carbone et capable d’accueillir plus de citadins.
Entreprises blacklistées
Habitué de ces partenariats depuis les années 2000, le WWF France travaille aujourd’hui avec une trentaine d’entreprises telles que Bouygues Construction, Carrefour, Bel, Sodexo ou encore La Maif.  Son directeur, Pascal Canfin, est convaincu : "on ne peut pas se priver d’un tel levier d’action". "Si on veut réellement lutter contre le dérèglement climatique, il faut accompagner les entreprises dans la transformation de leurs pratiques et co-construire avec elles des objectifs ambitieux, mais crédibles. Et si ça ne marche pas, on est aussi en droit de le dire." 
Le succès le plus emblématique de l’ONG reste le travail mené avec Michelin pour la construction d’un marché du caoutchouc naturel responsable. General Motors, Toyota et plusieurs fabricants de pneus se sont déjà engagés. À contrario, le WWF a dû arrêter sa collaboration de 13 ans avec Lafarge et aussi avec Crédit agricole. Pour l’ONG, les entreprises de l’armement, du nucléaire et des énergies fossiles sont blacklistées d’office. Et les revenus issus de ces partenariats ne peuvent pas dépasser 30 % des financements de l’ONG (24 % en 2016-17 en France).
Les associations nous challengent
Dès 2012, un changement d’orientation stratégique a poussé la Banque postale à réunir une dizaine d’associations pour mieux accompagner ses clients en grande difficulté financière. De cette concertation est née la plateforme Appui, un service téléphonique assuré par 38 salariés de la Banque postale, formés au surendettement par l’association Crésus, spécialiste du sujet. Plus de 100 000 personnes ont été conseillées et orientées vers les associations partenaires. Et tous les mois, des échanges sont organisés avec les grandes ONG de l’exclusion pour améliorer le dispositif.
"Les associations continuent de nous challenger sur les solutions de financement, les durées de traitement ou la mise en place de produits adaptés, explique Mouna Aoun, en charge de ce sujet à La Banque Postale. Nous avons ainsi maillé une offre qui puisse répondre aux besoins du quotidien de nos clients afin qu’ils ne basculent pas dans une fragilité structurelle. Et Crésus prend le relais là où nous ne pouvons pas aller plus loin." 
Chacun doit rester dans son rôle
FNE avec PSA, la FIDH (Fédération internationale des Droits de l’Homme) avec Carrefour, LPO (Ligue de protection des oiseaux) avec EDF… Longtemps taxée de "greenwashing", l’alliance des grands groupes et des ONG est de plus en plus courante. "Le monde a changé. Aujourd’hui, les entreprises veulent faire mieux et prendre en compte les enjeux sur lesquels travaillent les ONG. Il est donc normal que ces dernières se placent à côté d’elles plutôt qu’en travers", analyse Bruno Rebelle, ancien dirigeant de Greenpeace, devenu consultant. "Mais pour que ça fonctionne, il faut que chacun reste bien dans son rôle et que les ONG mettent au défi les entreprises et repèrent les signaux faibles." 
"Ce n’est pas juste du greenwashing, réagit Emilie Gobert, directrice des partenariats et de la communication de la LPO. On voit que les choses avancent réellement sur la biodiversité par exemple, qui est devenue un sujet prioritaire. Et nous, on gagne aussi en expertise, on se confronte à la réalité du terrain." L’association travaille par exemple avec l’entreprise de construction Cemex pour préserver le sonneur à ventre jaune, un petit crapaud en danger de disparition en Pays de la Loire, ou encore avec EDF pour la préservation du lézard ocellé. "On espère ne pas y être pour rien…"
Concepcion Alvarez, @conce1

Découvrir gratuitement l'univers Novethic
  • 2 newsletters hebdomadaires
  • Alertes quotidiennes
  • Etudes