L’Homme dauphin. Sur les traces de Jacques Mayol ***

de Lefteris Charitos

Documentaire franco-grec, 1 h 19

Le 22 décembre 2001, le plongeur et recordman du monde d’apnée Jacques Mayol se suicidait, à 74 ans, dans sa maison de l’île d’Elbe. Là même où il était entré dans la légende en étant le premier homme à franchir la barre des 100 mètres de profondeur, jugée jusque-là impossible à atteindre par les médecins. Un exploit largement popularisé par un film, Le Grand Bleu, sorti en 1988 et devenu culte pour toute une génération d’adolescents en quête d’absolu. Inspiré par l’autobiographie de Jacques Mayol parue deux ans plus tôt, Homo Delphinus, le troisième film de Luc Besson, au succès inattendu – près de 10 millions d’entrées –, a paradoxalement rendu célèbre le plongeur dans le monde entier et éclipsé l’homme dans sa complexité.

Un homme victime et spectateur de son propre succès

La jeunesse et l’innocence du personnage interprété par Jean-Marc Barr, ainsi que la mise en scène de sa rivalité supposée avec le plongeur italien Enzo Maiorca, étaient très éloignées du véritable Jacques Mayol, « cent fois plus intéressant et avec bien plus d’aspérités », témoigne aujourd’hui l’acteur franco-américain qui juge sévèrement la « fable » de Luc Besson. D’autant que le plongeur, pourtant conseiller sur Le Grand Bleu, aurait mal vécu l’aventure. « J’ai été témoin de la souffrance et de la frustration que lui a causées la popularité du film. Quand un être humain se voit dépossédé de son histoire, et de la magie qu’il a créée, c’est une petite tragédie », estime Jean-Marc Barr.

Trente ans plus tard, celui-ci a donc accepté de prêter sa voix au passionnant documentaire du réalisateur grec Lefteris Charitos (1), qui a pour ambition de rétablir quelques vérités sur l’homme et sa philosophie. S’appuyant sur des extraits de son livre, le témoignage de ses deux enfants, des amis et plongeurs qui ont croisé sa route, et d’images rares tournées en 16 mm, il raconte l’incroyable destin de cet aventurier, bourlingueur, amoureux de la mer et des dauphins, écologiste avant l’heure qui avait fait de sa vie une philosophie. Sans toutefois occulter la face sombre d’une personnalité profondément instable, qui a traversé plusieurs dépressions et avait fini par développer une forte misanthropie.

Au fond, pour celui qui a pulvérisé plusieurs records du monde en apnée, la compétition n’avait guère d’importance. « La motivation doit venir de plus loin », expliquait-il lui-même dans son livre. Toute sa vie Jacques Mayol cherchera avant tout à repousser ses limites personnelles, à se reconnecter aux éléments, à retrouver dans la mer la pureté de l’homme originel. Une plongée intérieure quasi mystique qui le conduisit en Inde suivre les cours d’un maître yogi, au Japon faire une retraite dans un temple bouddhiste pour s’initier au zen et pratiquer intensément la méditation.

Retour sur une vie contrastée, entre joie et tristesse

Hors de l’eau, l’homme était plutôt jovial. Un brin hâbleur, il aimait rire, collectionnait les femmes, et a vécu – à l’exception des années où il a travaillé au Seaquarium de Miami avec les dauphins – une vie de nomade, au point d’abandonner littéralement femme et enfants au Canada où il s’était installé jeune homme. Cette apparente légèreté dissimulait des blessures profondes, comme la perte de sa deuxième compagne Gerda en 1975, morte dans ses bras après avoir été poignardée par un déséquilibré en Floride, et un mal-être qui ont recouvert toutes ces années d’un voile de tristesse qui l’accompagnera jusqu’à la fin.

Le documentaire très complet s’accompagne de magnifiques images sous-marines cherchant à restituer par les sens l’expérience des grandes profondeurs et la dimension spirituelle de la démarche du plongeur, qui est « universelle », explique Jean-Marc Barr. « Le film traite de sujets essentiels liés à la condition humaine, ajoute son réalisateur. La mort, les limites physiques, le retour vers la mère nature, les pièges de l’ambition personnelle et de la célébrité, l’équilibre du corps et de l’esprit. » Des thèmes qui résonnent fortement avec l’époque.

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Jacques Mayol, un pionnier de l’apnée

1er avril 1927. Naissance à Shanghaï (Chine). Il passe son enfance en Extrême-Orient et apprend à plonger dans la mer du Japon où les femmes, les « ama », pratiquaient l’apnée pour ramasser les huîtres.

1939. Revenu à Marseille, il plonge avec Albert Falco, futur capitaine de la Calypso de Jacques-Yves Cousteau.

1957. Travaille au Seaquarium de Miami avec le dauphin Clown, dont l’observation lui permet d’améliorer son apnée.

20 juin 1966. Il établit son premier record de plongée en apnée à 60 m aux Bahamas, prouvant qu’un homme peut résister à la pression de l’eau au-delà de 40 m.

11 septembre 1970. À Izu au Japon, il établit un nouveau record à 76 m.

23 novembre 1976. À 49 ans, il est le premier homme à descendre en apnée à 100 m de profondeur.

1983. Il atteint 105 m à 56 ans (le record actuel est de 132 m).

(1) Version longue et inédite d’un documentaire déjà diffusé sur Arte le 30 septembre 2017.