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Interpellations en manifestation : Collomb ressuscite la droite

Les textes utilisés par la police, vivement critiqués car ils justifient des arrestations massives de manifestants, sont issus d’une proposition législative de Christian Estrosi en 2010.
Lors de la manifestation du 1er mai, à Paris. (Photo Albert Facelly. )
publié le 29 mai 2018 à 20h36

Gérard Collomb cultive-t-il, à sa façon, une nostalgie pour Mai 68 ? Une passion dont il tirerait un certain goût pour les interpellations massives et la gestion policière des mouvements sociaux. «Si on veut garder demain le droit de manifester, qui est une liberté fondamentale, il faut que les personnes qui veulent exprimer leur opinion puissent aussi s'opposer aux casseurs», a dit le ministre de l'Intérieur après la dernière manifestation parisienne contre la politique du gouvernement, le 26 mai. Pour Collomb, la «passivité» des manifestants les rend «d'un certain point de vue, complices de ce qui se passe».

«Bandes»

De ces propos transparaît la logique, connue dans l’histoire des mouvements sociaux, d’une recherche de la responsabilité collective des manifestants. Une conception juridique de nouveau présente dans le code pénal depuis une loi votée par la droite en 2010. C’est dans ces dispositions, très peu utilisées jusqu’à présent, que la préfecture est allée piocher deux délits pour procéder récemment à de très nombreuses interpellations.

Ces deux infractions, qui seront au cœur ce mercredi des premiers procès des manifestants arrêtés le 1er mai, nous renvoient quelques années en arrière. A l'époque où Nicolas Sarkozy était président de la République, et l'un de ses poulains, Christian Estrosi, député des Alpes-Maritimes. L'actuel maire de Nice, déjà très inspiré pour suggérer de nouvelles mesures sécuritaires, avait proposé le vote d'une loi pour lutter contre «les bandes» qui s'adonnent aux «violences aux personnes, commises sur des tiers ou des membres de bandes rivales», ainsi qu'aux «dégradations et destructions de biens». Avec une logique préventive, voire prédictive, parfois difficilement compatible avec les fondamentaux du droit.

«Il s'agit avant tout par ce texte de démanteler les bandes pour prévenir les violences qu'elles pourraient commettre» indiquait l'exposé des motifs de cette proposition de loi portée par le parlementaire Estrosi. L'idée n'est donc pas de rechercher la matérialité de violences ou de dégradations imputables à une personne, mais de constater par sa présence dans un groupe, son intention d'y prendre part. Ce texte, adopté en 2010, introduit notamment deux nouveaux délits : la «participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations» et «l'intrusion dans un établissement scolaire».

C'est sur le fondement de ce dernier délit qu'ont été interpellés plus d'une centaine de lycéens et étudiants, le 22 mai au lycée Arago, à Paris. Son application extensive permet de poursuivre toutes les personnes présentes dans l'enceinte de l'établissement au moment de l'intervention de la police. Sans nécessité de constater individuellement les éventuelles dégradations ou violences commises. Ce délit est passible d'un an d'emprisonnement (qui monte à trois ans avec la circonstance aggravante d'une action menée en réunion, comme c'était le cas au lycée Arago) et de 7 500 euros d'amende. Tandis que le délit de participation à un groupement, qui a été utilisé pour l'interpellation 283 manifestants lors de la manifestation du 1er mai, est passible d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

«Un filet assez large»

A peine nommé préfet de police de Paris, en avril 2017, Michel Delpuech a fait le choix d'un retour à la philosophie classique de maintien de l'ordre, en repoussant au plus tard les contacts avec les manifestants. Avec un résultat probant le 1er mai : malgré d'importants affrontements entre un black bloc composé d'environ 1 000 personnes et les policiers, il n'y a eu, d'un côté comme de l'autre, pratiquement aucun blessé.

Mais avec un corollaire : quelques dégradations matérielles sur le parcours. Pour y répondre judiciairement, la préfecture a fait le choix d'interpeller près de 300 personnes en retenant systématiquement l'infraction de participation à un groupement. «On s'est calé avec le parquet de Paris pour que les procédures rédigées par nos équipes visent ce texte», précise Michel Delpuech à Libération. Il reconnaît que ces interpellations ont tout de même été effectuées avec «un filet assez large».

«Cela crée un spectacle où l'on jette en pâture des gens pour les médias», réplique l'avocat Raphaël Kempf, qui a assisté plusieurs prévenus lors des comparutions immédiates organisées dans la foulée des gardes à vue. «Ces interpellations avaient pour seul but de faire du nombre pour les télés le soir, estime un manifestant présent dans le black bloc ce jour-là. Et poursuit : «A ma connaissance, aucune des personnes du black bloc n'a été interpellée. C'est ceux qui étaient à l'arrière et qui se sont écartés des affrontements qui se sont retrouvés en garde à vue. D'ailleurs, on a réfléchi à écrire un texte pour s'excuser auprès d'eux.» Pour l'avocat Henri Leclerc, qui a obtenu la relaxe, fin 2017, d'un prévenu poursuivi à ce titre dans l'affaire du quai de Valmy - ou des policiers avaient été agressés et leur voiture incendiée - cette infraction «permet d'arrêter n'importe qui dans une manifestation et s'inscrit dans la grande tradition de répression des mouvements sociaux, de ce qu'on avait appelé les lois scélérates à la fin du XIXe siècle, ou encore de la loi anticasseurs au début des années 70». A l'époque, deux ans après les événements de Mai 68, la droite vote plusieurs articles de loi permettant de réprimer durement les manifestations. Il était alors possible de condamner les auteurs de violences commises au sein d'un groupe, ainsi que ceux qui bien que présents, ne participaient pas aux violences. Avec une subtilité supplémentaire, toutes ces personnes pouvaient être tenues responsables financièrement des dégradations. Michel Rocard avait qualifié ces dispositions de «monstres juridiques» et ce texte avait finalement été abrogé par la gauche, après son arrivée au pouvoir en 1981.

En 2010, le risque d’une application trop extensive des délits votés par la droite sous Nicolas Sarkozy avait déjà été soulevé. Au Parlement, la gauche s’était élevée contre les risques d’atteintes au droit fondamental de manifestation en saisissant le Conseil constitutionnel. Parmi eux, il y avait un certain Gérard Collomb.

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