Hema et sa fille Jana. Crédit : Brenna Daldorph
Hema et sa fille Jana. Crédit : Brenna Daldorph

Après un passage en 2015 par Calais et Grand-Synthe dans le nord de la France, Hema et sa famille, des réfugiés kurdes d’Irak, ont finalement réussi à rejoindre illégalement l’Angleterre en novembre 2016. Deux ans après, la journaliste d’InfoMigrants qui les avaient rencontrés en France, les a retrouvés outre-Manche. La famille a obtenu l’asile. Reportage.

"Toi, tu es un tigre et moi je suis une sirène et je dois m’échapper". Jana, 5 ans, confinée chez elle à cause d’une varicelle, s’amuse dans le salon. Difficile de croire que la petite fille, kurde irakienne, est en Angleterre depuis deux ans seulement. Quand elle parle, elle a déjà ce petit accent typique du nord de l’Angleterre, comme si elle avait toujours vécu à Stoke-on-Trent, sa ville d’accueil, où elle réside avec sa famille.

La "jungle" de Grande-Synthe, dans le nord de la France est un lointain souvenir. Elle ne s’en souvient presque plus. Pourtant, Jana a passé six mois dans le nord de la France, avec sa famille. A l’époque, elle n’avait que trois ans. "Maman, c’est là où on vivait dans des tentes", demande-t-elle en grimpant sur le canapé. "C’est comme si on était en vacances ?"

"Oui", répond Hema, sa mère, en souriant.

Jana ne se souvient peut-être pas de la "jungle" boueuse de Grande-Synthe, mais Hema, si. Elle se souvient avoir eu du mal à porter Jana à cause de la boue et du verglas. Elle se souvient de la tombée de la nuit, sous une tente, quand sa famille devait se blottir contre un amas de vieux vêtements et des couvertures pour supporter les températures glaciales. Elle se souvient des longues nuits où sa fille a pleuré à cause du froid et qu’elle ne pouvait rien faire pour l'aider.

En 2015, Hema et sa fille Jana vivent dans le campement boueux de Grande-Synthe. Crédit : Brenna DaldorphHema est aujourd’hui réfugiée en Angleterre. Sa famille est autorisée à rester au Royaume-Uni pour les cinq prochaines années. Malgré cette heureuse nouvelle, Hema reste hantée par les cicatrices psychologiques de son exil en Europe. "J’ai vu trop de choses...", explique-t-elle en secouant doucement la tête.

L’exil

Il y a quelques années, Hema et sa famille vivaient tranquillement à Gawer, un village non loin de Mossoul, en Irak. Ses six sœurs et elle étaient professeures. Hema enseignait l’anglais. Tout a basculé avec l’arrivée du groupe terroriste "État islamique" dans la région.

"Je ne dormais plus", se souvient Hema. "J’avais peur de m’endormir et de voir des jihadistes sous mes yeux en me réveillant".

Hema ne se rappelle pas quelle a été le déclic qui l’a décidé à fuir. Elle a juste su qu’il fallait qu’elle sorte sa fille de cet enfer. En octobre 2015, Hema et son mari Vahid décident donc de quitter l’Irak avec leur petite Jana, tout juste âgée de trois ans. Ils traversent la Turquie, la Grèce, atteignent la France puis Calais, dernier verrou avant l’Angleterre. Quand ils atteignent le nord de la France, la famille n’a plus d’argent. Elle ne peut pas payer son passage vers le Royaume-Uni.

Hema nourrit sa fille Jana dans le camp de Grande-Synthe, en 2015. Crédit : Brenna DaldorphPendant six mois, Hema, Vahid et Jana errent de camp en camp, passant de Calais à Grande-Synthe. L’hiver est là. Après avoir fui l’enfer de Daech et traversé l’Europe à pied, Hema, au milieu de la boue et du froid, se demande comment le sort pourrait s’acharner davantage. Les températures passent sous la barre de 0 degré.

Hema explique aujourd’hui qu’elle doit sa survie à sa fille, Jana. La fillette est vive, espiègle. A Grande-Synthe, elle parle à tout le monde, migrants, bénévoles, humanitaires. C’est d’ailleurs l’un d’eux qui, touché par l’histoire de la famille, les aidera en leur donnant une partie des 8 000 livres nécessaires (environ 9 000 euros) pour payer le passage outre-Manche.

La dernière étape de leur voyage se déroule au mois de mai 2016. Au cours d’une nuit, la famille se lance dans la traversée périlleuse de la frontière franco-anglaise. Un passeur les fait monter dans un camion, en plein nuit, sur une aire d’autoroute, non loin de Calais. La famille restera 17 heures dans le véhicule. L’air se fait rare. Hema raconte qu’elle s’est sentie mal, elle a découvert quelques semaines auparavant qu’elle était enceinte. Elle n’arrive pas à respirer. Elle pense alors qu’elle ne survivra pas au voyage.

L’arrivée en Grande-Bretagne

Hema ne mourra pas. A son arrivée en Angleterre, la famille est prise en charge par les autorités. Direction un centre pour demandeurs d’asile. Au mois de novembre 2016. Hema met au monde une deuxième petite fille, Mina. Dans le même temps, la première demande d’asile de la famille est rejetée. Hema et Vahid font appel. C’est gagné : ils obtiennent un titre de séjour de 5 ans.

Jana, dans la cuisine de sa maison, à Stock-on-Trent. Crédit : Brenna DaldorphUne fois ce délai écoulé, la famille devra redemander une protection internationale, un nouveau droit d’asile. Même Mina, née sur le sol britannique, devra effectuer des démarches administratives. Le droit du sol n’existe pas en Angleterre. Ses deux parents étant étrangers, Mina devra demander la nationalité britannique quand elle sera plus grande.

Hema vit dans la crainte permanente d’être renvoyée un jour en Irak. 

La famille n’a pas eu le choix de s’installer à Stoke-on-Trent, dans le nord de l’Angleterre. La politique migratoire au Royaume-Uni prévoit la dispersion des migrants sur tout le territoire pour éviter les goulots d’étranglement dans les grandes villes.

La ville d’environ 250 000 habitants connaît des difficultés depuis l’effondrement de l’industrie locale de céramique et la fermeture des mines de charbon. La famille vit dans une petite maison délabrée – fournie par le gouvernement anglais. Un répit pour Hema et sa famille.

Mais la vie est dure. Le manque du pays se fait ressentir, chaque jour. Hema se sent seule. En Irak, elle avait un travail, une vie sociale. Ici, elle reste à la maison pour s’occuper de ses deux filles.

Mina, la seconde fille de Hema, à Stock-on-Trent. Crédit : Brenna DaldorphSeule une bénévole anglaise, rencontrée à Calais, rend visite à la famille de temps en temps. C’est tout. Pour autant qu’elle le sache, Hema pense qu’il n’y a pas d’autres étrangers dans le quartier. "Jana est la seule réfugiée de son école", précise-t-elle. "Au début, les voisins nous dévisageaient un peu", se rappelle Hema. "Maintenant, ça va. Une voisine m’a même proposé de venir prendre le thé".

Le mal du pays

Le couple résiste difficilement à cette nouvelle vie. Vahid et Hema se disputent souvent. Hema pense d’ailleurs qu’elle se séparera de son mari quand les filles seront plus grandes.

La nuit, Hema ne dort pas. Allongée dans le lit entre ses deux filles, le sommeil ne vient pas, raconte-t-elle encore. "Pourtant, je suis épuisée… Je pourrais dormir pendant une semaine". Mais quand sa tête touche l’oreiller, elle n’y arrive pas. Impossible de s’endormir.

Dans l’entrée de sa maison, des feuilles de rendez-vous médicaux s’accumulent. Hema n’a que 35 ans, mais l’exil a été une épreuve morale et physique. Pendant de longs mois, sur la route de l'exil, elle a porté Jana dans ses bras. Depuis, son dos la fait terriblement souffrir. Ses genoux aussi. Les douleurs sont si intenses que monter les escaliers de sa maison est devenu un combat.

Hema et Mina jouent sur leur lit à Stock-on-Trent. Crédit : Brenna DaldorphMalgré les médicaments, les traitements, les douleurs reviennent toujours. Comme ses souvenirs. De temps en temps, en pleine journée, Hema est absente. Son visage s’assombrit, elle s’éloigne. "Parfois, je me sens folle", confie-t-elle en expliquant avoir du mal à faire face à des flashbacks incessants.

Parfois, quand le blues est trop fort, elle regarde les arbres dehors par la fenêtre de sa cuisine. Ils lui rappellent les arbres de son pays natal. Elle se compare à un arbre dénudé, dépouillé de feuilles. Elle enfouit son visage dans les cheveux de Mina.

"Quand je suis triste, je respire son odeur et ça m’aide", dit-elle en levant les yeux vers Jana, qui improvise une danse au milieu du salon.

"Je veux juste que Jana et Mina soient heureuses. Ici, au Royaume-Uni, elles auront une belle vie, une vie meilleure", conclut-elle. "Et moi, en revanche, je pense que je resterais toujours une femme triste".

* Tous les prénoms ont été changés


 

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