La vie fracassée de la fille de Staline

Une biographie revient sur le destin maudit de Svetlana, la fille unique de Staline, marquée par l'ombre sanglante de celui qu'elle comparait à un monstre.

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Svetlana, unique fille de Staline, avec son père.

Svetlana, unique fille de Staline, avec son père.

© Éd. Taillandier

Temps de lecture : 4 min

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« J'aurais préféré que mon père fût un simple cordonnier géorgien », reconnaissait Svetlana dans ses Mémoires. Pas facile, en effet, d'être la fille de Joseph Staline, comme le raconte la biographie de Claude-Catherine Kiejman, publiée chez Tallandier*. Un récit entre la grande et la petite histoire, où le destin de cette fille maudite se fracasse contre un tyran, un système et une guerre froide… « Svetlana est un personnage éminemment tragique, relève sa biographe. Elle voudra toujours échapper au fantôme trop écrasant du père, avec un côté excessif, entier, exalté, très russe, en somme. Sans y parvenir… »

Quand sa fille voit le jour, en février 1926, le tsar rouge a pris la main sur le Parti communiste soviétique et va s'appliquer à consolider son pouvoir en éliminant toute opposition. Pour la petite Svetlana commence une vie protégée, entre les murs du kremlin et les datchas modèles des apparatchiks du régime, ne manquant de rien, quand les privations et les famines s'abattent peu à peu sur le pays. En 1932, c'est le drame : sa mère Nadia se suicide, sans doute poussée à bout par les infidélités et le caractère despotique de son époux… On cache les faits à la petite fille en évoquant une appendicite, elle apprendra la vérité des années plus tard en lisant par hasard un article.

« Sa tendresse est celle du chat pour une souris »

Avec son père, elle entame une relation complexe : Staline est attendri par sa fille, mais il la soumet à une autorité implacable en éprouvant pour elle un amour tyrannique. Enfant choyé, mais enfant objet : « Sa tendresse est celle du chat pour une souris », écrira Khrouchtchev dans ses souvenirs. Sans compter les purges qui frappent jusqu'à l'entourage proche de la jeune Svetlana, déjà traumatisée par la perte de sa mère. Des membres de la famille sont arrêtés, la suspicion et l'omerta sont partout, on éloigne la cuisinière et l'intendante, même la nounou est un temps menacée pour avoir servi dans une famille aristocrate avant la révolution : la jeune fille résiste, on finit par céder…

« Elle traverse l'adolescence en pleine Seconde Guerre mondiale, ce qui ne favorisera guère les échanges, reconnaît sa biographe Claude-Catherine Kiejman. Staline se consacre à la guerre, il la voit moins, les rapports se distendent, surtout quand Svetlana apprend enfin la vérité sur le suicide de sa mère… » En 1942, elle tombe amoureuse d'Alexeï Kapler, un cinéaste juif qui déplaît fortement à Staline : il le traite d'espion, l'envoie illico à la mine, convoque sa fille, lui passe un savon, avant de la gifler et de l'insulter comme un moujik. Suivront deux mariages successifs, le premier, pour agacer le maître du Kremlin, avec un étudiant que Staline refuse de rencontrer, puis un second avec un jeune chimiste apprécié du dictateur. Deux unions, deux échecs, et deux enfants, Joseph et Katia. Svetlana, brillante universitaire, rêve de devenir écrivaine, mais le paternel met son veto à ce métier de « bon à rien ».

En décembre 1952, père et fille se retrouvent une dernière fois autour d'un repas interminable entre camarades et apparatchiks, bien arrosé comme il se doit. Dans ces cas-là, Svetlana reste sur ses gardes, elle sait que ses paroles peuvent entraîner soupçons et arrestations… Selon Khrouchtchev, Staline, ivre mort, traînera ce soir-là sa fille par les cheveux pour qu'elle danse devant ses invités jusqu'au bout de la nuit. Deux mois plus tard, il décède seul dans sa datcha, confiné dans sa paranoïa.

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Fuite aux États-Unis

Svetlana rêve de liberté, elle se trompe : les autorités soviétiques la surveillent de près, elle reste un symbole… Elle commence pourtant sa mue, abandonne le nom de Staline pour celui de sa mère, Allilouïeva, se convertit à la religion orthodoxe, mais, quand elle souhaite épouser un Indien, croisé dans un hôpital, le régime s'y oppose. L'interdiction de trop. En 1967, elle profite d'un voyage en Inde pour réclamer l'asile politique aux États-Unis, trop contents de prendre ce gros poisson dans leurs filets en pleine guerre froide. Le retentissement est énorme, d'autant que Svetlana a laissé ses deux enfants en URSS – sa fille Katia ne le lui pardonnera jamais.

Suivent des années d'errance, où elle connaît de nouveau un échec amoureux – son nouveau mari, vénal, imaginait qu'elle cachait des lingots de Staline en Suisse. Elle met au monde une seconde fille, Olga, déménage régulièrement, notamment pour fuir les paparazzis, prend la nationalité américaine, publie ses souvenirs sans épargner son père, qu'elle qualifie de « monstre », vit un temps aux crochets de la CIA, puis revient en Union soviétique dans les années 1980 – un voyage très décevant –, avant de s'installer cette fois à Londres aux côtés de sa fille Olga… Svetlana est surtout très seule, souvent dépressive, et finit ses jours dans le Wisconsin, très loin de Moscou et de ses fantômes, en novembre 2011. « J'aurai été toute ma vie prisonnière politique de mon père », confiait-elle avant de mourir. Sa dernière hantise fut de voir son corps rapatrié par Poutine à Moscou…

*Svetlana, la fille de Staline, par Claude-Catherine Kiejman, éditions Tallandier.

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Commentaires (12)

  • carser

    Leshan a toujours aimé les hommes "forts "
    il aimait bien Franco maintenant il aime bien Poutine
    Cela s'appelle de la constance !

  • jupicron

    Quelle vie a eu cette femme avec un père dictateur.
    pourtant celle-ci fut plus douce que celle de la plupart des soviétiques à l'époque.
    elle ne risquait pas de finir au goulag.
    Cependant, ses frères ont eux aussi eu une vie pour le moins peu enviable.
    l'ainé à finit exécuté dans un camp de prisonnier allemand après que son père eu refusé un échange entre lui et le général Paulus au motif que l'on n’échange pas un lieutenant contre un général.
    l'autre a fini alcoolique.
    il est à noter que Staline a fait déporter la famille de la mère de Svetlana.
    quel brave homme...

  • Leshan

    Vous osez comparer Poutine à Staline, bravo pour votre objectivité ! Mais à propos vous êtes allé en Russie quand ? Moi j'y suis allé quatre fois, d'ailleurs je vous recommande l'hôtel "Cosmos" à Moscou, certes ce n'est pas très luxueux, mais il n'est pas cher, de plus en face de cet hôtel vous pourrez y admirer une statue de De Gaulle !.